"La pression monte"

Olivier De Schutter, le rapporteur spécial de l’Onu pour le droit à l’alimentation, se sent "extrêmement encouragé". "On a compris aujourd’hui que la question de la faim n’était pas seulement une question technique de production insuffisante mais une question politique." La reconnaissance du droit à l’alimentation comme véritable droit de l’homme progresse, "absolument" !

Sabine Verhest

Entretien Olivier De Schutter, le rapporteur spécial de l’Onu pour le droit à l’alimentation, se sent "extrêmement encouragé". "On a compris aujourd’hui que la question de la faim n’était pas seulement une question technique de production insuffisante mais une question politique." La reconnaissance du droit à l’alimentation comme véritable droit de l’homme progresse, "absolument" !

Les cours des céréales s’envolent à nouveau. Les efforts entrepris pour stopper la spéculation sur les produits agricoles dans la foulée de la crise alimentaire de 2008 étaient-ils suffisants ?

Non, rien n’a été fait et, malheureusement, tous les Etats n’ont pas été convaincus au même degré qu’il s’agissait d’un vrai problème. Je suis persuadé que c’est un des facteurs qui accélèrent cette volatilité considérable. Car il n’y a pas de raison de paniquer : les stocks sont nettement meilleurs qu’en 2008, grâce à de très bonnes récoltes en 2008, 2009 et 2010. On a globalement cette année la troisième meilleure récolte historique de céréales.

Qui est responsable de la volatilité ?

Malheureusement, la logique financière n’est pas la logique économique Face à des prix qui s’envolent, il faut faire son examen de conscience. Pourquoi n’a-t-on pas tiré les leçons de 2008 ? On se trouve dans un contexte où la volatilité va s’accroître du fait de phénomènes météorologiques extrêmes. En 2009, la canicule et la sécheresse frappaient en Inde. Cet été, les incendies de forêts ont fait rage en Russie. Les changements climatiques constituent déjà une source de volatilité considérable sur les marchés : les productions sont de moins en moins prévisibles, les saisons des pluies de plus en plus courtes, etc.

Que faire face aux changements climatiques qui affectent l’agriculture ?

Il faut se rappeler que l’agriculture est victime des changements climatiques, mais en est aussi une des causes principales : 33 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine viennent de l’agriculture et de la déforestation. L’agriculture doit se développer de manière à être plus résiliente aux chocs climatiques. Diversifier et déconcentrer la production est une manière de s’assurer contre le risque. Il faut aussi réorienter l’agriculture vers une agriculture faible en carbone, avec des méthodes de production durables, qui utilisent moins d’engrais chimiques et de mécanisation, et plus de main-d’œuvre. Il n’est plus possible de le faire chez nous, mais dans les pays en voie de développement, mon message est très clair : développons l’agriculture de manière à en faire une solution aux changements climatiques plutôt qu’un problème.

Etes-vous entendu pour autant ?

Cela commence, parce que la pression monte : les agriculteurs des pays en voie de développement sont les premières victimes des changements climatiques. Malgré tout, il faut reconnaître que beaucoup de gouvernements restent prisonniers d’une vue unidirectionnelle, ils ne voient d’avenir que dans une industrialisation et une mécanisation plus fortes. La modernisation agricole, ce n’est pas juste reproduire le schéma qu’on a suivi chez nous, cela peut et doit être autre chose pour ne pas tomber dans les mêmes vulnérabilités, comme le piège de la dépendance énergétique par exemple. Seule l’agriculture résiliente et faible en carbone peut être à la hauteur des enjeux du XXIe siècle.

L’accaparement des terres est-il sur la voie de la régulation par ailleurs ?

Cette question est extraordinairement sensible, pour les pays investisseurs - la Chine, les pays du Golfe ou l’Egypte - et les pays cibles. Il faut explorer deux pistes réalistes. Un, l’Union africaine a des directives sur les politiques foncières à mettre en œuvre et mon espoir est que les gouvernements de la région se surveillent eux-mêmes. Deux, les pays se rendent compte que leur intérêt à long terme est que ces investissements bénéficient aux collectivités locales. S’ils veulent la stabilité politique et le soutien de leur population, ils doivent s’assurer que la pauvreté rurale recule et, pour cela, investir dans l’agriculture familiale plutôt qu’être appâtés par les promesses que leur font miroiter les investisseurs.

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