Le bras de fer pour les eaux du Nil continue

Va-t-on enfin avancer ? Dix ans après le début des négociations sur le Nil, l’accord-cadre pour instaurer le développement du bassin de ce fleuve n’est toujours pas en vigueur.

Marie-France Cros

Va-t-on enfin avancer ? Dix ans après le début des négociations sur le Nil, l’accord-cadre pour instaurer le développement du bassin de ce fleuve n’est toujours pas en vigueur.

Neuf des dix Etats riverains (Burundi, Congo-Kinshasa, Egypte, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan, Tanzanie - mais pas l’Erythrée) se sont regroupés il y a dix ans dans l’Initiative du bassin du Nil (IBN). Mais l’accord bute sur l’attitude intransigeante de l’Egypte, appuyée par le Soudan, qui ne veut pas renoncer à des accords bilatéraux datant de l’époque coloniale et lui attribuant la part du lion dans les eaux du Nil.

Il s’agit d’un accord de 1929 (les Britanniques avaient accordé en 1922 une indépendance formelle à l’Egypte mais avaient, en réalité, à peine desserré leur étreinte jusqu’à ce qu’ils soient mis à la porte, lors de la révolution de 1952) signé par Le Caire et Londres. Le texte donnait un droit de veto à l’Egypte sur les projets hydrauliques des colonies britanniques d’Afrique de l’Est, afin que celles-ci ne puisent pas dans les eaux du Nil au détriment du pays des pharaons, situé en bout de cours.

Un second accord, signé en 1959 par l’Egypte et le Soudan, partage les eaux du fleuve entre ces deux riverains sans tenir compte des huit autres : 55,5 milliards de m3 par an pour l’Egypte et 18,5 m3 pour le Soudan, les deux pays accaparant ainsi plus des trois quarts de l’eau disponible.

Selon l’ambassadeur Minelik Alemu Getahun, négociateur de l’Ethiopie (dont proviennent plus de 80 % des eaux du Nil) aux discussions de l’IBN, "ces accords et la répartition volumétrique des eaux du Nil qui en résulte ont toujours été rejetés par l’Ethiopie et les autres Etats riverains".

Car, depuis cette époque, les autres pays riverains ont vu leurs populations croître et leurs besoins en énergie et cultures pour assurer la survie de leurs nations augmenter. Conscients de la valeur de l’eau, ils sont donc en discussion depuis dix ans avec l’Egypte et le Soudan pour moderniser les rapports entre pays riverains du Nil en mettant fin "au manque de coopération sur l’utilisation et le développement des ressources partagées du bassin du Nil".

"L’accord n’est pas destiné à nous permettre d’arrêter l’eau du Nil au détriment de l’Egypte mais à assurer l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Nil par tous les Etats riverains", explique à "La Libre Belgique" l’ambassadeur Minelik. "L’Ethiopie, par exemple, veut pouvoir construire quatre barrages, développer l’irrigation et assurer la protection de l’environnement des eaux du Nil. Nous avons longtemps dépendu de l’aide alimentaire; aujourd’hui, nous développons notre pays et voulons assurer sa subsistance. Mais l’énergie que nous tirerons du Nil bleu pourrait être vendue au Soudan et l’eau servir aussi à irriguer ce pays, qui est bien plus doté que l’Ethiopie pour l’agriculture et qui utilisera certainement plus d’eau que nous. Le cours du Nil bleu, en Ethiopie, est en altitude; il y a moins d’évaporation qu’au Soudan et en Egypte, où beaucoup d’eau se perd. C’est donc un projet rationnel, une coopération gagnante pour tous les pays riverains parce que les bénéfices d’une modernisation et d’une meilleure coopération seront multiples."

L’Egypte et le Soudan, toutefois, freinent des quatre fers. Les deux pays refusent un accord qui n’incluerait pas ce qu’ils appellent leurs "droits historiques" sur les eaux du fleuve. Géographiquement en position de faiblesse - en aval du fleuve - Le Caire avait été, en mars dernier, jusqu’à adopter un ton menaçant, affirmant que le Nil était pour l’Egypte "une question de sécurité nationale" (voir LLB 14 mai 2010).

Le texte de l’accord à ratifier indique que les signataires "reconnaissent l’importance de la sécurité de l’approvisionnement en eau pour chacun d’eux et que celle-ci sera renforcée par une coopération dans le développement et la gestion des eaux". Le Caire et Khartoum proposent, pour signer le texte, de remplacer cet article par un autre, spécifiant que les projets de développement des riverains ne doivent "pas affecter de manière adverse la sécurité de l’eau actuelle et les futurs usages et droits d’un autre membre" - ce qui équivaut à donner à ces deux pays le droit de veto de l’époque coloniale, au détriment des autres riverains.

Lassés de l’immobilisme des deux réfractaires, les sept autres membres de l’IBN ont décidé en mai dernier d’ouvrir à la signature, pendant un an, le texte d’accord tel qu’il existe aujourd’hui. L’Ethiopie, la Tanzanie, le Rwanda et l’Ouganda l’ont signé, ensuite rejoints par le Kenya - soit cinq des neuf membres. Or, pour que le texte entre en vigueur, il faut qu’il ait été ratifié par six membres au moins. Une lutte d’influence est donc en train de s’exercer par les deux camps sur le Burundi et le Congo-Kinshasa, qui n’ont pas manifesté de désaccord de principe mais qui n’ont pas encore signé. L’Egypte vient notamment, quant à elle, d’ouvrir quatre nouvelles stations de radio émettant à destination des pays riverains du Nil.

A la fin de ce mois, une nouvelle réunion de l’IBN est prévue au Kénya, pour voir ce qui arriverait si le texte était ratifié.


Moins de riz d’Egypte20 % de l’eau du Nil. À Kafr el-Cheikh, gros bourg égyptien du delta du Nil, les paysans attendaient une saison rizicole prospère. Mais aujourd’hui, ils se désespèrent : pour économiser l’eau, "on nous interdit de cultiver le riz, alors nous n’avons plus de travail". Cette mesure menace les approvisionnements, les prix, les exportations et l’emploi agricole. "Beaucoup de métiers dépendent de la production du riz : les paysans, les ateliers de traitement, le transport routier, l’exportation... C’est une industrie très importante pour Kafr el-Cheikh et une source de revenus essentielle pour ses habitants", souligne Ahmad Nasr, de la chambre de commerce de la ville. Préserver l’eau est devenu un impératif pour l’Egypte face à la fronde de pays en amont du Nil, qui veulent un partage plus équilibré de cette ressource. Environ 20 % de l’eau va à la riziculture, selon des données officielles, une activité pour cette raison fortement réglementée par les pouvoirs publics, qui l’interdisent au sud du Caire pour la confiner à quelques régions du delta, traditionnel "grenier" de l’Egypte. Suite aux restrictions, les rizières égyptiennes ne couvrent plus que la moitié de la surface qu’elles occupaient il y a deux ans, soit environ 460 000 hectares. La production, de 3,8 millions de tonnes en 2009, dont environ 300 000 pour l’exportation, devrait être sérieusement amputée. (AFP)

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