Le Fine Gael va récolter les raisins de la colère

Les bureaux de vote ont ouvert vendredi à 07h00 GMT en Irlande pour des législatives qui devraient consacrer la fin du gouvernement sortant du Premier ministre Brian Cowen, première victime de la crise de la dette en Europe.

Olivier le Bussy
Le Fine Gael va récolter les raisins de la colère
©AP

Éclairage Envoyé spécial en Irlande Appelés à se rendre aux urnes ce vendredi pour des élections législatives anticipées ­- après que l’impopulaire Taioiseach (Premier ministre) Brian Cowen a été contraint de les convoquer, faute de soutien au sein de son propre parti, le Fianna Faíl -, les Irlandais sont en colère. Très en colère. Plutôt qu’une rage qui explose dans les rues, c’est une colère rentrée, mêlée d’amertume et de désespoir, nourrie par la débâcle économique, financière et sociale d’un pays qui était, il y a trois ans encore, un des plus prospères d’Europe.

Les banquiers et les promoteurs immobiliers en sont les premières cibles, eux dont les excès, l’imprudence et l’appât immodéré du gain ont contribué à pousser l’économie et les finances publiques du pays dans le fossé.

L’autre objet de leur courroux est le Fianna Faíl (FF), le parti républicain de centre-droit qui a dirigé toutes les coalitions gouvernementales depuis 1994 (et plus largement a toujours été aux affaires depuis l’indépendance du pays, hormis de courtes éclipses dans l’opposition). Lourd est le bilan du FF : il a encouragé la formation d’une bulle immobilière au début des années 2000, dont l’éclatement a fait des ravages visibles dans tout le pays (voir pages suivantes); il a lâché les chevaux du secteur financier local, en pratiquant une politique de dérégulation; enfin, il a laissé les finances publiques aller à vau-l’eau, avant de donner un coup de barre aussi vigoureux que tardif. Une crise entraînant l’autre, l’Irlande s’est retrouvée dans une telle situation économique qu’elle a accepté, en novembre dernier, la mise en place d’un plan d’aide de 85 milliards d’euros élaboré par l’Union européenne et le Fonds monétaire international - un appel au secours vécu comme une humiliation dans un pays ou fierté et souveraineté nationales ne sont pas des vains mots. "Le Fianna Faíl aurait dû essayer de régler la crise au niveau européen plus tôt et faire la lumière sur la fiabilité des banques irlandaises tout de suite", commente Tom McDonnell, analyste politique du think tank irlandais Tasc. "Faire appel au FMI, c’est perçu comme un aveu d’incompétence et la chronique d’un échec électoral annoncé. Tout profit pour le Fine Gael."

Car la vie politique est ainsi faite que si ce n’est toi qui diriges, c’est donc ton frère (ennemi) - le Fine Gael (FG, centre-droit) étant, comme le Fianna Faíl, un acteur historique de la lutte de l’Irlande pour son indépendance, acquise en 1922. Il ne fait absolument aucun doute qu’Enda Kenny, leader du Fine Gael sera le prochain Taoiseach. Pendant toute la campagne, préparée bien longtemps avant l’annonce de la tenue du scrutin, Kenny et les siens ont martelé leur slogan : "Let’s get Irland working." Ce qui peut se traduire à la fois par un "Mettons l’Irlande au travail", plutôt pertinent, vu l’explosion du taux de chômage, mais aussi par "Faisons fonctionner l’Irlande".

Ils ont également servi à tous les repas politiques et médiatiques leur plan de relance de l’économie en cinq points : création d’emploi, assainissement des finances publiques, réformes du secteur public, de celui des soins de santé et du système politique.

Couplés aux circonstances, les arguments ont porté. "Selon les sondages, le Fine Gael est crédité de 35 à 40 % des intentions de vote", confirme Clodagh Harris, professeur en sciences politiques à l’université de Cork. "Mais il faut toujours tenir compte des 20 % d’indécis." Et de toute façon, malgré l’avance dont dispose le Fine Gael sur ses rivaux du Labour, du Fianna Faíl, des nationalistes du Sinn Feín et des Verts , "il ne pourra pas former un gouvernement seul", poursuit Mme Harris, "même si certains économistes estiment que c’est ce qu’ils devraient faire pour pouvoir réaliser son plan, en cherchant l’appui d’élus indépendants".

L’autre option est de former une coalition avec le Labour, en passe de devenir la seconde force du pays. Au fil de la campagne, constatant qu’il ne l’emporterait pas, le leader travailliste Eamon Gilmoure a d’ailleurs atténué ses attaques contre Enda Kenny, préférant avancer l’argument selon lequel il serait préférable pour l’Irlande d’avoir un "gouvernement stable et équilibré" . Sous-entendu, une coalition droite-gauche.

Même si, crise oblige, les programmes deux partis convergent sur certains points, cela n’en resterait pas moins une union potentiellement conflictuelle, compte tenu des fortes divergences qui subsistent sur d’autres points. Pour ne prendre qu’un exemple : le FG estime que 73 % de l’argent que doit trouver l’Etat pour le déficit budgétaire, doivent provenir d’une réduction des dépenses publiques, et le reste de nouvelles recettes fiscales. Le Labour, lui, propose une approche 50/50, avec une taxation pesant d’abord sur les mieux lotis.

Coalition au pas, "ce dont l’Irlande a besoin, c’est de certitude, ce que peut offrir un gouvernement stable, avec une approche cohérente", assure Tom McDonnell. Fergal O’Brien, chef économiste de la fédération patronale Ibec acquiesce : "Il faut un gouvernement qui tiendra plusieurs années, il en va de la crédibilité de l’Irlande, qui a été sévèrement entamée." Clodagh Harris ne dit pas autre chose, "même si elle regrette que les débats (aient) essentiellement tourné autour de l’économie. Je ne vois pas dans les programmes des différents partis une vision de ce que devra être l’Irlande dans le futur".


Un système électoral très particulierA côté du nom du candidat qui a votre préférence, cochez 1. A côté du nom de votre second choix, cochez 2. Pour autant qu’il se soient enregistrés comme électeur leur circonscription, tous les Irlandais de 18 ans et plus disposent du droit de vote. Jusque-là, rien de bien différent de ce qu’on connaît chez nous, si ce n’est que le vote est facultatif. Ce qui diffère, en revanche, c’est que le vote irlandais est un "vote unique transférable", une particularité électorale que l’Irlande partage, en Europe, avec Malte. Vote unique transférable ? C’est-à-dire ? Tous les candidats d’une circonscription, tous partis confondus, se retrouvent sur le même bulletin de vote. A charge de l’électeur d’indiquer son ordre de préférence, en indiquant le chiffre 1 devant le nom de son candidat favori, le 2 devant le suivant qui recueille ses faveurs et ainsi de suite Pour obtenir un siège, un candidat doit obtenir un quota de voix, soit la division du nombre de votes valides par le nombre de siège à pourvoir dans la circonscription plus un. S’il y a deux sièges à pourvoir; le quota à atteindre est de 34 %, par exemple. Ce n’est pas tout. Une fois qu’un ou plusieurs candidats désignés comme première préférence ont atteint le quota, les autres "numéros 1" qui n’ont pas atteint ce quota sont éliminés. Mais un élu ne gagne rien à dépasser le quota, puisque les votes en surplus des élus sont équitablement redistribués aux "deuxièmes choix". Une fois que plus aucun n°2 n’est en mesure d’atteindre le quota, on passe, le cas échéant, aux troisièmes, puis quatrièmes choix, etc. jusqu’à ce que tous les votes aient été répartis. Une des critiques fréquemment adressées à ce système de vote est qu’il ouvre la porte au clientélisme. "C’est vrai qu’il crée beaucoup de compétition entre candidats, parfois du même parti", explique la politologue Clodagh Harris, de l’université de Cork. "Il y a une étude en cours sur cette question menée par l’University College de Dublin, mais c’est difficile de se prononcer fermement sur ce point." OleB

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