Les fantômes de la bulle immobilière
Une fois que le train qui relie la capitale irlandaise à Galway, à l’ouest du pays, a dépassé les faubourgs de Dublin, c’est une Irlande de carte postale qui s’offre aux regards des voyageurs.
Publié le 25-02-2011 à 04h16 - Mis à jour le 25-02-2011 à 07h49
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Reportage à Athlone Une fois que le train qui relie la capitale irlandaise à Galway, à l’ouest du pays, a dépassé les faubourgs de Dublin, c’est une Irlande de carte postale qui s’offre aux regards des voyageurs. Des collines, des prairies à n’en plus finir, où paissent ça et là des moutons, des haies, des arbres attendant le printemps. Et soudain apparaissent dans le paysage, comme sortis de nulle part, des quartiers résidentiels déserts, ou des chantiers de construction à l’abandon. Comme autant de fantômes de la frénésie immobilière qui s’empara de l’Irlande de 2000 à 2007, grosso modo.
La bulle a éclaté plus ou moins en même temps que se déclarait la crise financière. La crise bancaire irlandaise a donné le coup de grâce à des milliers de projets qui ont été abandonnés, quasi du jour au lendemain. Les uns plus ou moins achevés, parfois même partiellement habités, les autres laissés en plan, avant même la fin du gros œuvre. A ces projets avortés, les Irlandais ont donné le nom évocateur de "ghost estate" : lotissements fantômes. "On en trouve dans absolument toute l’Irlande", soupire Rob Kitchin, spécialiste de l’aménagement du territoire, directeur du National Institute of Regional and Spatial Analysis (Nisra) et enseignant à la Nui University de Maynooth. "Il y en a près des grandes villes, des petites bourgades, mais certains sont situés au milieu de nulle part".
Selon le patient décompte effectué par le Pr Kitchin pour Nisra, on dénombre en Irlande 2 846 ghost estates, pour un total de 121 248 maisons, dont 78 000 seulement sont occupées. Les autres étant soit inachevées - privés d’accès au crédit par la crise bancaire, les promoteurs et entrepreneurs n’ont plus été en mesure de poursuivre les travaux et ont laissé les choses en l’état - soit terminées, mais inoccupées.
Sept projets sur dix lancés dans "les années folles" ont été abandonnés. Et 777 de ces lotissements de dix maisons ou plus ont un taux d’occupation ou de construction d’au moins cinquante pour cent, soit la définition scientifique désormais admise pour qu’un lotissement soit qualifié de "fantôme".
C’est dans les comtés de Leitrim, près de la frontière avec l’Irlande du Nord, de Cavan, de Roscommon et de Longford, dans les Midlands, que l’on trouve les plus grandes concentrations de lotissements à l’abandon - de 5 à 9 ghost estates pour 1 000 habitants. "A partir des années 2000, avec la croissance démographique, l’augmentation des prix des terrains est devenue incontrôlable - et le gouvernement n’a pas cherché à la contrôler. Les investisseurs et les promoteurs ont commencé à acheter des terrains éloignés des grandes villes, et donc moins chers. Et puis ils ont encore acheté des terres plus loin. Et puis encore un peu plus loin. Il y a une déconnexion totale entre les endroits où ces maisons ont été construites et les gens auxquels elles étaient destinées", déplore Aideen Hayden, directrice de l’organisation caritative Threshold (le seuil, en français) qui aide et conseille les personnes les moins favorisées en butte à des problèmes de logement.
Bien que moins touché que ses voisins, le comté de Westmeath n’a pas été épargné par le phénomène. On peut le constater à Athlone, petite bourgade de 28 000 habitants, plantée au milieu de la campagne. A deux kilomètres à l’extérieur de la ville, une entrée de pierre très "nouveaux riches" ouvre sur le lotissement Glenatore. Un vaste panneau dévoile les charmes de l’endroit, ses maisons coquettes aux façades recouvertes de pierre du pays, sa convivialité. En fait de convivialité, Glenatore se pose là. Une vingtaine de maisons ont certes été bâties, mais à travers les baies vitrées poussiéreuses de la majorité d’entre elles, on n’aperçoit que de sols de béton nus, des murs sans plafonnage, des fils en attente d’un raccordement qui ne viendra jamais. Seules deux maisons ont été terminées et sont apparemment occupées, si l’on se fie aux voitures garées devant. Une porte s’ouvre. Cherchant les clés de sa voiture, la propriétaire préfère esquiver les questions. "Vous savez, ce n’est pas quelque chose dont nous avons très envie de parler", souffle-t-elle, avant de s’engouffrer dans son véhicule. "Et dire qu’en 2006-2007, les gens faisaient la queue pour obtenir un logement ici, avant que tout s’effondre", se rappelle Malachy, le chauffeur de taxi.
Ceux qui ont acheté, à travers tout le pays, des maisons dans ce genre de lotissements se retrouvent aujourd’hui avec des bâtisses qui valent de 40 à 60 % de moins que le prix d’origine, mais continuent à rembourser un prêt hypothécaire établi sur la valeur supposée de la maison de l’achat. C’est le cas de Natacha, qui avec sa famille, réside dans une des cinq maisons (sur une quinzaine) d’un autre lotissement d’Athlone. "Nous sommes arrivés il y a huit ans", explique-t-elle, tandis que ses enfants jouent au ballon devant les grillages des maisons inachevées et inhabitées. "Il y a deux ans, le chantier s’est complètement arrêté. On ne se plaint pas, parce que nous ne sommes près du centre. Mais c’est difficile de payer le prêt hypothécaire avec la baisse des salaires", ajoute-t-elle, timidement, avant de retourner à ses occupations.
"Il y a actuellement plus de 300 000 ménages en negative equity (qui remboursent un prêt hypothécaire plus élevé que le prix de la maison - NdlR) et 90 000 qui ont des arriérés de paiements. Et cela va aller de mal en pis", prévient Aideen Hayden. "Parmi eux, il y a des gens coincés dans ces lotissements, parce que vous ne pouvez pas simplement ramener vos clés à la banque pour qu’elle se paie avec votre maison. Vous devez rembourser le capital et les intérêts jusqu’au dernier euro. Donc il est impossible d’acheter ou de louer autre chose."
Au-delà de l’aspect financier, le phénomène des ghost estates pose une quantité d’autres problèmes et quelques bombes à retardement. "Beaucoup de logements sont incomplets - et, donc, ne correspondant pas aux standards - ou ne sont pas entretenus. Les chantiers posent des problèmes de sécurité, de santé, il y a du vandalisme ", liste Rob Kitchin. Sans négliger le poids psychologique de l’isolement. "Je connais des gens qui vivent dans un lotissement de cent maisons, dont seules cinq sont occupées. Ne pas avoir de voisin ne favorise pas le sentiment d’appartenir à une communauté." Pour compléter le noir tableau, l’arrêt du développement de projet a entraîné celui des services. "Parfois, il n’y pas d’éclairage public, les routes ne sont pas entretenues, il n’y a pas de transport en commun à proximité, ni d’école, ni de crèches, ni de magasin "
Le secteur résidentiel n’a pas été le seul a être pris d’une insatiable boulimie immobilière. Les ghost estates symbolisent un malaise plus vaste. Athlone compte ainsi trois centres commerciaux. L’un florissant, fréquenté, voisine un bloc d’appartements neufs, mais vides fautes d’avoir trouvé un acquéreur. Les deux autres mall n’accueillent, au mieux, que deux ou trois magasins, le commerce du détail étant l’une des grandes victimes de la crise. "On pointe souvent le secteur bancaire, à raison, comme responsable de la bulle immobilière. Mais il y a également eu un échec complet du système de planning. La législation est bien faite, mais on ne l’a pas appliquée", poursuit Rob Kitchin. "On ne s’est pas interrogé sur les besoins (logement, transports, infrastructures, etc.) à remplir à long terme dans tel ou tel endroit, ni comment articuler les choses entre elles. Un centre commercial par région, c’est suffisant. Mais comme les autorités locales disposent de peu de ressources propres, elles ont accueilli les promoteurs à bras ouverts, parce que ces projets, soumis à un impôt sur le développement, leur rapportaient des revenus financiers. Et puis, comme elles ne voulaient pas rater le train du développement économique, les petites villes sont entrées en compétition". Résultat : un surplus hallucinant de logements, de bureaux, de centres commerciaux, d’affaires, de chambres d’hôtels
Ces spectres immobiliers continueront-ils de hanter le paysage irlandais ? Les projets les moins avancés seront détruits. D’autres attendront des jours meilleurs pour que les chantiers repartent. Des maisons finiront pas trouver preneur. D’autres seront réaffectées. Mais rien n’est très clair, pour le moment. "Il y a des dizaines de milliers de familles qui attendent un logement", insiste Aideen Hayden. Quid de ceux qui ne pourront plus rembourser leur prêt ? "Le nouveau gouvernement devra prendre des mesures significatives pour empêcher que les gens soient indéfiniment endettés. L’Etat pourrait, par exemple, reprendre 25 % du prêt, que le propriétaire lui rachèterait plus tard. Ou racheter la maison et la louer au propriétaire. Les économistes nous disent que l’Etat n’a pas les moyens financiers de faire de pareilles choses, mais il les a trouvés pour sauver les banques. Et si les gens sont jetés à la rue, les dépenses sociales augmenteront. De toute façon, il faut aider ces gens. C’ est un devoir moral !"
Un système électoral très particulierA côté du nom du candidat qui a votre préférence, cochez 1. A côté du nom de votre second choix, cochez 2. Pour autant qu’il se soient enregistrés comme électeur leur circonscription, tous les Irlandais de 18 ans et plus disposent du droit de vote. Jusque-là, rien de bien différent de ce qu’on connaît chez nous, si ce n’est que le vote est facultatif. Ce qui diffère, en revanche, c’est que le vote irlandais est un "vote unique transférable", une particularité électorale que l’Irlande partage, en Europe, avec Malte. Vote unique transférable ? C’est-à-dire ? Tous les candidats d’une circonscription, tous partis confondus, se retrouvent sur le même bulletin de vote. A charge de l’électeur d’indiquer son ordre de préférence, en indiquant le chiffre 1 devant le nom de son candidat favori, le 2 devant le suivant qui recueille ses faveurs et ainsi de suite Pour obtenir un siège, un candidat doit obtenir un quota de voix, soit la division du nombre de votes valides par le nombre de siège à pourvoir dans la circonscription plus un. S’il y a deux sièges à pourvoir; le quota à atteindre est de 34 %, par exemple. Ce n’est pas tout. Une fois qu’un ou plusieurs candidats désignés comme première préférence ont atteint le quota, les autres "numéros 1" qui n’ont pas atteint ce quota sont éliminés. Mais un élu ne gagne rien à dépasser le quota, puisque les votes en surplus des élus sont équitablement redistribués aux "deuxièmes choix". Une fois que plus aucun n°2 n’est en mesure d’atteindre le quota, on passe, le cas échéant, aux troisièmes, puis quatrièmes choix, etc. jusqu’à ce que tous les votes aient été répartis. Une des critiques fréquemment adressées à ce système de vote est qu’il ouvre la porte au clientélisme. "C’est vrai qu’il crée beaucoup de compétition entre candidats, parfois du même parti", explique la politologue Clodagh Harris, de l’université de Cork. "Il y a une étude en cours sur cette question menée par l’University College de Dublin, mais c’est difficile de se prononcer fermement sur ce point." OleB