Seuls les riches pourront être élus
Les vainqueurs des élections de 2006 sont-ils persuadés qu’ils ne peuvent pas l’être à nouveau, à moins d’un changement de règle les favorisant ? C’est la réflexion qui vient à l’esprit au vu des multiples modifications du jeu électoral à quelques mois des présidentielles (novembre 2011), qui devraient être suivies des autres scrutins.
Publié le 09-04-2011 à 04h16
Les vainqueurs des élections de 2006 sont-ils persuadés qu’ils ne peuvent pas l’être à nouveau, à moins d’un changement de règle les favorisant ? C’est la réflexion qui vient à l’esprit au vu des multiples modifications du jeu électoral à quelques mois des présidentielles (novembre 2011), qui devraient être suivies des autres scrutins.
En effet, après avoir fait passer la présidentielle de deux à un seul tour - ce qui favorise le chef d’Etat sortant - et placé un parent de ce dernier à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), dont la légalité pose question, les autorités congolaises viennent de concocter une nouvelle loi électorale. La proposition de loi aurait été rédigée sous la conduite du président de l’assemblée nationale, Evariste Boshab (PPRD, parti présidentiel) et déposée au cabinet de ce dernier le 11 mars; elle a déjà été discutée à la veille de la rentrée parlementaire, le 14 mars, lors de la réunion interinstitutionnelle (Président, présidents des deux chambres, Premier ministre, ministre de l’Intérieur, président de la CENI ).
La nouveauté la plus marquante, que les tenants du pouvoir comptent introduire est une explosion des frais d’enregistrement des candidatures, appelés "cautions", improprement puisqu’elles sont "non remboursables" . S’il est vrai que nombre de pays utilisent le système des cautions pour écarter les candidatures farfelues, elles sont remboursables : généralement quand le candidat a obtenu entre 2 % et 5 % des voix.
Ainsi, il faut verser au Trésor public "100 000 dollars" (Article 105) pour être candidat à la présidence. Cette somme se monte à "5 000 dollars" (Art. 121 et 132) pour un candidat député ou sénateur national; "2 500 dollars" pour un candidat député provincial (Art. 148); "200 dollars" pour un candidat conseiller urbain ou chef de secteur (Art. 174 et 215), et "100 dollars" (Art. 192) pour être candidat conseiller municipal. Cela dans un pays où 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars/jour et 49 % avec moins de 1 dollar, un pays où le PIB/habitant est de 298 dollars/an.
Lors des élections de 2006, il ne fallait "que" 50 000 dollars pour être candidat à la présidence, et 250 dollars par liste - pas par candidat - pour les législatives. Tout est fait, donc, pour que seuls les riches puissent se présenter - soit, de facto, bien souvent ceux qui étaient déjà aux affaires politiques et entendent y rester, ce qui risque d’empêcher le renouvellement démocratique de la classe politique congolaise.
Depuis des mois, déjà, le principal but des électeurs que nous avons sondés empiriquement est presque toujours : "sanctionner" l’élu qui a "mal travaillé" en ne votant plus pour lui.
Autre nouveauté surprenante : la loi, si elle était adoptée telle quelle, ferait passer le système électoral de la proportionnelle à un système hybride - "mixte" , dit la proposition de loi. La proportionnelle, en effet, ne serait plus d’application que là où il y a plusieurs sièges à pourvoir (il y a 61 circonscriptions à un seul siège sur environ 500 sièges au total) et où aucun parti n’emporte la majorité absolue des voix; si un parti dépasse 50 %, "il emporte la totalité des sièges" (Art. 119).
De facto, cela veut dire que là où un parti - présidentiel ou d’opposition - est fort, il emporte toute la mise. Cette disposition, combinée avec une présidentielle à un seul tour, risque de donner un Congo où seule une partie du pays aurait voté pour le chef d’Etat et où ce dernier gouvernerait avec elle contre la partie du pays où l’opposition, forte, aurait remporté la totalité des sièges ! On juge à quel point ce serait explosif !
On notera par ailleurs l’impossibilité, désormais, de se présenter comme indépendant, hormis pour les scrutins uninominaux (Art. 11). Il faudra au minimum se présenter dans un regroupement d’indépendants.
Sur les listes de trois personnes au moins, "un tiers au moins des candidats présentés [ ] doit être de l’autre sexe" (Art. 12).
Enfin, on ne peut utiliser les biens, les finances, le personnel de l’Etat, des établissements publics ou sociétés mixtes pour une campagne (Art. 35).