Pas d’apaisement au Tibet
Un ancien moine tibétain du monastère de Kirti s’est immolé par le feu, samedi, sur le marché de fruits et légumes de la ville d’Aba (Ngaba en tibétain), dans la province chinoise de Sichuan, portant à huit le nombre d’actions de ce genre depuis le 16 mars dernier.
Publié le 18-10-2011 à 04h15 - Mis à jour le 18-10-2011 à 07h29
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Un ancien moine tibétain du monastère de Kirti s’est immolé par le feu, samedi, sur le marché de fruits et légumes de la ville d’Aba (Ngaba en tibétain), dans la province chinoise de Sichuan, portant à huit le nombre d’actions de ce genre depuis le 16 mars dernier en ce haut lieu du bouddhisme tibétain, rapporte l’ONG Free Tibet basée à Londres. Un geste de désespoir et de défi qui témoigne des rapports toujours difficiles entre pouvoir chinois et minorité tibétaine, en particulier dans cette région du sud-ouest de la Chine qui fut dévastée par le tremblement de terre de mai 2008.
Agé de 19 ans, Norbu Damdrul s’est écrié : "Nous avons besoin de liberté et d’indépendance pour le Tibet !" et "Sa Sainteté le Dalaï-Lama doit revenir !" avant de mettre le feu à ses vêtements. Des policiers en armes sont intervenus pour éteindre les flammes et disperser la foule que l’incident avait attirée. Le jeune homme aurait été évacué gravement brûlé, mais toujours vivant, selon des témoins cités par l’ONG, lesquels ajoutent que le véhicule le transportant serait, cependant, parti dans la direction opposée à celle de l’hôpital local. Free Tibet ignore ce que l’homme est devenu.
On est pareillement sans nouvelles d’autres contestataires qui se sont sacrifiés à Aba ces dernières semaines. Le 7 octobre, deux anciens bonzes de Kirti, identifiés comme étant Choephel, 19 ans, et Khayang, 18 ans, s’étaient également immolés par le feu et seraient décédés, à en croire l’organisation International Campaign for Tibet (ICT), également basée à Londres. Cette information a, toutefois, été démentie par les autorités locales, contactées par l’AFP. "Ils sont vivants et hospitalisés", avait déclaré un porte-parole du Parti communiste à Aba, ajoutant : "Ils ne sont parvenus à rien. Ils ne vont pas influencer la politique du gouvernement."
Les manifestations antichinoises, récurrentes dans cette région de la République populaire de Chine qui fait historiquement partie de l’Amdo, une des divisions du "Grand Tibet", ont pris une tournure violente depuis le printemps de 2008, dans la foulée des émeutes durement réprimées à Lhassa, quelques mois avant la tenue des Jeux olympiques à Pékin. L’intervention des forces de l’ordre, le 14 mars 2008, avait fait une dizaine ou une vingtaine de morts, selon les sources. Pour marquer le troisième anniversaire de ces événements, un moine de 20 ans, nommé Phuntsog, s’est donné la mort à Aba, le 16 mars dernier, inaugurant une macabre série d’immolations par le feu.
Dans l’intervalle, le 27 février 2009, un jeune bonze de Kirti nommé Tapey s’était déjà immolé par le feu pour protester contre l’interdiction faite au monastère de célébrer le Monlam, la fête de prières qui suit traditionnellement le Nouvel An tibétain. Au demeurant, ce sont les restrictions mises par les autorités chinoises à la pratique du culte qui motivent surtout les contestataires de Kirti. Depuis son exil à Dharamsala, en Inde, le responsable du monastère, Kirti Rinpoché, n’hésite pas à affirmer que celui-ci est devenu "une prison virtuelle". On ignore d’ailleurs si les anciens moines qui se sont immolés ont quitté la robe de leur plein gré ou s’ils y ont été obligés par les autorités chinoises.
"La religion et la culture tibétaines subissent de telles entraves et le désespoir a atteint un tel niveau que les gens préfèrent se suicider", confiait récemment Kirti Rinpoché à l’ICT. En avril, le monastère de Kirti - édifié au XVe siècle par un disciple de Tsongkhapa, le fondateur de la secte des "Bonnets jaunes" dont le Dalaï-Lama est le chef spirituel, et à ce titre un des plus importants du lamaïsme - fut soumis à un véritable blocus par l’armée chinoise pour contenir toute nouvelle vague de protestations.
Ces événements, dont les autorités attribuent la responsabilité à des séparatistes, apportent un démenti à la politique d’apaisement recherchée au Tibet depuis le lancement des réformes en Chine. Ils font également obstacle au programme de développement qui vise à faire du Tibet la première destination touristique de Chine grâce à la construction d’aéroports, de voies ferrées et de routes modernes, mais aussi à la restauration, voire à la reconstruction pure et simple, des monastères bouddhiques qui, comme le montre le cas de Kirti, peuvent difficilement être réduits au seul rôle de musées.