Israël, aveugle, entre ses murs
Murs et clôtures s'érigent le long des frontières israéliennes, isolant physiquement le pays de ses voisins. Lalibre.be en analyse les raisons avec Sébastien Boussois, spécialiste de la question israélo-palestinienne et chercheur associé à l'ULB.
Publié le 30-05-2012 à 17h44 - Mis à jour le 31-05-2012 à 11h26
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Du nord au sud, d'est en ouest, Israël se barricade et s'isole de ses voisins. Jeudi dernier, on apprenait par la voix du Premier ministre Benjamin Netanyahu qu'Israël avait débuté l'érection d'une clôture de 250 km de long la séparant de l’Égypte, via le Sinaï, afin d'endiguer les arrivées massives (environs 60.000 immigrations illégales) en provenance du Soudan et du Sud Soudan.
A sa frontière avec le Liban, un mur a commencé à être construit (en accord avec les forces de l'ONU présentes sur place) il y a quelques semaines (1km et 3 millions d'euros). Ces deux cloisons viennent s'ajouter à celles dont la construction a débuté en 2002; l'un encercle la Bande de Gaza, l'autre, illégale aux yeux du droit international, sinue entre les villages de Cisjordanie et s'étendra, à terme, sur une longueur de 760 km.
Pour justifier ses actes, Israël invoque deux raisons : sa sécurité d'une part et la préservation du caractère juif de l’État d'autre part. "Le phénomène de l'infiltration illégale à partir de l'Afrique est extrêmement grave et menace les fondements de la société israélienne, la sécurité nationale et l'identité nationale", résumait ainsi, il y a une dizaine de jours, Benjamin Netanyahu.
Lalibre.be analyse la situation avec Sébastien Boussois, spécialiste de la question israélo-palestinienne et chercheur associé à l'ULB
Comment peut-on interpréter l'isolement physique d'Israël via ces quatre murs ? La construction de ce nouveau mur au sud du pays s'inscrit dans un processus beaucoup plus ancien. On remonte ici aux fondements d'Israël et du sionisme : ces murs suivent la logique de ghettoïsation qui consiste en une barricade physique et psychologique dans un but de protection et de survie de l’État. Les gouvernements successifs ont suivi cette logique de la menace. Aujourd'hui, le gouvernement Netanyahu fait preuve d'un jusqu’au-boutisme aveugle qui dépasse le cadre physique et identitaire.
Israël ou l'obsession de sa sécurité, qu'elle voit comme synonyme de survie dans une région qui lui est hostile?
Le premier mur, isolant la Cisjordanie, entamait un processus "normal" au regard de cet objectif sécuritaire. Le mur avec l’Égypte, entamé en 2010 et qui doit s'achever en 2013 (pour 200 millions d'euros), renforce aujourd'hui cette idée de protection vis-à-vis des migrants et de tous ceux qui constitueraient un problème à l'intégrité physique et identitaire de l’État. Ajoutons à ce cas-ci les craintes de voir un régime hostile à Israël et aux accords de paix (Camp David) arriver au pouvoir en Égypte. Les questions des ressources naturelles venant d’Égypte sont également non négligeables. On assiste à un travestissement complet d'un État d'Israël juif et démocratique. C'est une fuite en avant d'Israël qui voit le processus d'enfermement comme une force et non comme un handicap.
Le mur construit à la frontière nord s'inscrit-il dans la même logique d'empêchement du danger de l'extérieur ?
Il empêche je ne sais quoi... Ce mur doit, à terme, longer la ligne bleue sur 1 km (ndlr : ligne tracée en juin 2000 par l'ONU, après le retrait israélien du Liban le 25 mai 2000 mettant fin à l'occupation commencée en juin 1982). Le gouvernement israélien y anticipe les prémices d'une déstabilisation. Le mur construit autour de la Cisjordanie venait prévenir un danger venant des territoires occupés. Puis, le danger venait de l'Iran. Maintenant, il est reporté sur le Liban et l'extension du conflit en Syrie. Ce mur, au nord, a cependant ceci de particulier qu'il est supervisé par la FINUL (ONU) alors qu'il est jugé illégal en Cisjordanie par les Nations unies. Il y a là une logique de deux poids deux mesures dans l'acceptation de la politique d'Israël.
Israël se sent-elle au-dessus des lois ?
Il y a cette forme de folie du gouvernement de s'enfermer sans respecter le droit international, en n'écoutant personne. Les dirigeants historiques d'Israël ont souvent fait prévaloir le droit d'Israël à sa protection, quite à violer le droit international s'il le jugeait contraire à ses intérêts. Israël s'inscrit donc dans une logique de protection et s'autorise de transgresser le droit international, même si celui-ci dépasse le cadre des États.
Il est l’État qui compile le plus de résolutions des Nations Unies non respectées, il jouit d'une image aussi mauvaise que la Corée du Nord en dehors de ses frontières. Mais il continue d'agir en toute impunité. Tant que les USA seront la plus grande puissance économique et politique mondiale, Israël ne verra pas de raison de remettre en cause la manière dont elle agit. Cependant, sans ce soutien indéfectible, elle sera contrainte de le faire.
Vous remettez en cause, si l'on reprend l'expression communément admise en Israël, l'"unique démocratie au Proche-Orient"...
Israël fait fi des minorités présentes sur son territoire (Arabes, Éthiopiens, Africains subsahariens, Thaîlandais,...) contre qui elle se retourne aujourd'hui. Les tensions sociales de l'an dernier avaient été construites sur le mouvement des Indignés. Or, Netanyahu, sans opérer aucune réforme sociale, a fait glisser ces tensions vers les catégories fragiles de la population. C'est un "coup" remarquable puisqu'il a réussi à faire revenir l'aspect "sécurité" au premier plan (30% du budget). De plus, l'opposition est réduite à peau de chagrin. 100 députés sur 120 font partie de la majorité gouvernementale.
Sébastien BOUSSOIS - Président du CCMO (Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient) Chercheur associé à l'Institut d'Etudes Européennes/ REPI (Université Libre de Bruxelles) et chercheur associé au Centre Jacques Berque (Rabat) Directeur des collections "Reportages" et "Recto-Verso" aux éditions du Cygne