Alep : les chrétiens s’engagent
Les habitants d’Alep dénoncent le racket des forces gouvernementales. Leur solidarité semble pencher vers le camp des insurgés.
Publié le 01-08-2012 à 09h10
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Les discussions et les paris sur la provenance et la nature des différents tirs sont devenues l’une des principales distractions des Aleppins. "Verticaux ou horizontaux ? Tirés depuis des hélicoptères, mortiers ou mitrailleuses lourdes ? Sur Sakhour au nord ou sur Salaheddine au sud ? A 500 mètres ou à 5kilomètres ? Mes deux fils sont devenus experts en bombardements", dit une habitante d’un quartier résidentiel proche de la citadelle d’Alep. "Mardi soir, ils ont été surpris d’identifier un tir de mortier contre le siège des renseignements militaires. Ils en ont conclu que la brigade Al-Tawhid de l’Armée syrienne libre a reçu une nouvelle livraison d’armes, plus puissantes que les RPG anti-chars", dit une mère de famille avisée.
La nuit de lundi "est relativement calme en comparaison avec les jours précédents", prévient le docteur N., depuis l’un des quartiers nord de la ville "entouré de zones militaires". Comme lui, "les combattants marquent une pause entre l’Iftar et le Souhour" (NdlR : le repas de rupture du Ramadan et celui qui précède le jeûne). Le jeune médecin ne peut plus se rendre depuis une quinzaine de jours à l’hôpital où il travaille en raison des tirs et des barrages armés qui divisent la ville ainsi que du manque d’essence. Il s’occupe donc essentiellement de gérer l’aide médicale et humanitaire aux civils, victimes des bombardements. "Les hôpitaux sont débordés de blessés venus des quartiers embrasés. Ils souffrent davantage du manque de personnel que de matériel médical, que nous parvenons à acquérir grâce aux dons de la population. Mais le plus gros problème est le sang", conclut-il.
Dans les quartiers d’Alep qu’elles contrôlent encore, les forces gouvernementales se sont pour la plupart recyclées dans un racket généralisé. "Ils mettent la main sur ces produits essentiels pour les revendre cinq à dix fois leur prix. J’ai vu ce matin un groupe s’attaquer à une boulangerie. Ils ont tout emporté en menaçant les ouvriers de leurs armes puis ont chargé tous les sacs de pain dans leur véhicule", raconte le Dr N.
Tous les services publics et municipaux se sont arrêtés. Sur Facebook, des groupes de garçons et filles du quartier chic de Suleimanyeh, en baskets, jeans et tee-shirt, sourient. A côté des grands sacs poubelles noirs, balais et pelles à la main, visages couverts de masques hygiéniques, ils ramassent les ordures. Ces étudiants chrétiens d’Alep n’ont pas voulu suivre leurs parents en "vacances" dans la montagne libanaise. "Nous devons veiller sur notre ville et sa population aujourd’hui dans l’épreuve", commente Lina, 20 ans, qui reconnaît le privilège d’avoir "mené une vie et une année universitaire normales alors que le reste de la Syrie était dans la souffrance."
Nombre de chrétiens restés à Alep sont mobilisés ces jours-ci, notamment pour venir en aide aux réfugiés des quartiers populaires livrés aux combats. Ils préparent les repas et vont les porter à l’heure de l’Iftar dans les écoles ou les jardins publics où sont entassées des familles entières. "La population sinistrée a tendance à faire davantage confiance aux organisations chrétiennes, notamment pour les soins médicaux, parce que le Croissant Rouge syrien est considéré comme infiltré par le régime", explique Salam Kawakibi, chercheur originaire d’Alep.
Ingénieur de 38 ans, "Momo", selon son pseudo sur Skype, s’est engagé avec un groupe de jeunes chrétiens autour d’un Père jésuite du Couvent de Deir Wartan pour venir en aide aux familles déplacées. "Nous avons commencé il y a cinq mois de nous mobiliser pour les réfugiés de Homs, pour leur trouver des logements, parfois des emplois et collecter des fonds pour subvenir à leurs besoins. Je n’aurais jamais cru que j’en viendrai à faire un jour la même chose pour des familles d’Alep !", dit celui qui s’occupe essentiellement aujourd’hui des réfugiés à la Cité universitaire. Situé à quelques kilomètres au nord du quartier de Salaheddine, épicentre des combats, le campus accueille quelque 7 000 personnes venues des quartiers sous le feu.
La générosité et la solidarité de tous les habitants d’Alep ne se tarissent pas, selon l’ingénieur bénévole. La population de la capitale économique du pays qui comptait pour 40 % du PIB syrien, ne manque pas de ressources. Le retournement d’Alep et de sa population représente une perte substantielle pour le régime, aussi bien sur le plan économique que sur le plan de la sécurité. "Elle ne coûtait rien au régime puisque sa docilité ne nécessitait pas la mobilisation de forces armées pour la contrôler", observe Salam Kawakibi.
Depuis, la ville a basculé © Libération
Combats pour la première fois près des quartiers chrétiens de Damas Des combats entre armée syrienne et rebelles ont éclaté mercredi pour la première fois aux abords de deux quartiers chrétiens dans le centre de Damas, rapporte l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). "Des combats ont éclaté mercredi à l'aube, après 02H00 (23H00 GMT mardi), aux abords des quartiers de Bab Touma et Bab Charqi. Les premières informations font état d'un mort parmi les soldats", indique l'ONG. "Ce sont des combats inédits. Ce sont des zones auxquelles les combattants (rebelles) n'avaient pas accès jusqu'à présent", a affirmé à l'AFP Rami Abdel Rahmane, président de l'OSDH, qui se base sur un large réseau de militants. Le calme était revenu dans la zone mercredi dans la matinée, a constaté une correspondante de l'AFP. Bab Touma et Bab Charqi sont des quartiers traditionnels chrétiens dans le Vieux Damas, particulièrement prisés par les touristes et où se trouvent de nombreux hôtels. C'est dans ces quartiers que se sont déroulées à plusieurs reprises des manifestations de soutien au président Bachar al-Assad.