Assange: le droit international dans tous ses états

Australien, recherché par la justice suédoise pour viol et agression sexuelle, retranché dans l’ambassade équatorienne sur le sol britannique et réclamé par les USA qui l’accusent d’espionnage. Qui peut faire quoi, comment et pour combien de temps ? Le "cas d'école" par excellence...

Caroline Grimberghs
Assange: le droit international dans tous ses états
©AP

Cofondateur du site Wikileaks, le cyberactiviste Julian Assange est apparu, dimanche, à la fenêtre de l’ambassade d’Equateur à Londres, où il est réfugié, s’adressant aux centaines de supporters et journalistes présents. Un pied de nez à la justice internationale qui attend de pouvoir l’intercepter dès qu’il sortira s’acheter des clopes. Il est australien, recherché par la justice suédoise pour viol et agression sexuelle, retranché dans l’ambassade équatorienne sur le sol britannique et réclamé par les Etats-Unis qui l’accusent d’espionnage. Qui peut faire quoi, comment et pour combien de temps ? Une question d’examen toute trouvée pour le prochain test que Michel Liégeois imposera à ses étudiants. Professeur de droit international à l’UCL, il tente lui-même d’y répondre.

Juridiquement, comment justifier qu’un Etat, non partie à une situation judiciaire, accepte d’héberger dans son ambassade, une personne recherchée ?

Il s’agit ici d’une décision de nature politique. Selon le principe, « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », Correa, Chavez et consort volent au secours du fondateur de Wikileaks qui – en rendant public nombre de documents militaires et diplomatiques confidentiels – a placé Washington dans une position inconfortable. L’ambassade héberge Assange parce que l’Equateur estime qu’il fait l’objet d’une persécution orchestrée par les Etats-Unis.

Combien de temps Julian Assange peut-il vivre dans l’ambassade sans être inquiété ?

Il peut y demeurer aussi longtemps que l’Equateur accepte de l’héberger et que ce pays conserve une ambassade à Londres. On pourrait imaginer un scénario où Wikileaks engage un bras de fer avec les autorités britanniques en rendant public des documents confidentiels gênants pour le Royaume-Uni dans l’espoir que celui-ci cède sous la pression et délivre un sauf-conduit à Assange. Considérant que les activités menées au sein de l’ambassade portent gravement atteinte à sa sécurité, le Royaume-Uni pourrait alors décider de rompre ses relations diplomatiques avec l’Equateur ce qui impliquerait la fermeture de l’ambassade et, après un délai raisonnable, la fin de l’inviolabilité du bâtiment dans lequel se trouve Assange. Un scénario plausible mais très peu probable. Il en faut bien davantage pour que des Etats en viennent à rompre leurs relations diplomatiques.

Un ‘assaut’ sur une ambassade est-elle possible ?

Julian Assange n’étant pas diplomate et encore moins accrédité, il ne bénéficie pas de la protection diplomatique. Si son arrestation par les forces de l’ordre britanniques est impossible, c’est en vertu d’une disposition de la Convention de Vienne qui prévoit l’inviolabilité des locaux diplomatiques. Notons à cet égard qu’il s’agit là d’un principe fonctionnel qui peut souffrir des exceptions et qui ne relève en aucune façon, comme on le pense parfois à tort, d’un statut d’extraterritorialité de l’ambassade. Assange ne se trouve pas sur un morceau de territoire équatorien au cœur de Londres. Il s’agit bien du territoire du Royaume-Uni et le droit britannique y est applicable. Cependant, le bon fonctionnement d’une ambassade requiert que ses activités ne puissent faire l’objet d’intrusions incessantes de l’Etat hôte. L’éventuelle irruption de vive force de la police britannique dans les locaux de l’ambassade équatorienne ne fait pas partie des scénarios envisageables car une telle action affecterait la sécurité des postes diplomatiques britanniques situés dans une série de pays. Ce serait cher payer pour une affaire ennuyeuse mais pas vitale pour Londres.

On dit que Londres est tenu d’extrader Assange vers la Suède. Pourquoi ? Et comment la Grande-Bretagne peut-elle reprendre la main ?

L’extradition – c’est-à-dire le fait pour un pays de mettre un individu à la disposition de la justice d’un autre pays – est régie par des traités internationaux bilatéraux. Dès lors que le Royaume-Uni a conclu un tel traité avec la Suède, elle est tenue de s’exécuter si Stockholm lui en fait la demande, ce qui est le cas. Cependant, à l’impossible nul n’est tenu. Si la police britannique se trouve dans l’incapacité d’interpeller l’intéressé sous peine de commettre une violation caractérisée des dispositions de la Convention de Vienne relatives à l’inviolabilité des locaux diplomatiques, rien ne pourra être reproché aux Britanniques qui, somme toute, ont dans cette affaire une obligation de moyens mais pas une obligation de résultat.

Le coup de la ‘valise diplomatique’ apparaît pour le moins cocasse … est-ce envisageable de le faire sortir de cette manière ?

En principe inviolable, au même titre et pour les mêmes raisons que les locaux diplomatiques, la valise diplomatique pourra néanmoins être ouverte pour des motifs impérieux tels que les risques sanitaires ou de sécurité. Mais le simple bon sens permet d’observer que le transport sur de longues distances d’un être humain dans un colis scellé pose d’évidents problèmes techniques. Ce scénario a été porté au cinéma par Lautner. Le film contait les tribulations d’un agent israélien réfugié à l’ambassade de France à Tripoli et exfiltré vers Paris par la valise diplomatique. Tout porte à croire que, cette fois, la réalité ne dépassera pas la fiction.

Pour le moment, la solution privilégiée par les États parties est moins rocambolesque. L'Équateur mise sur une résolution négociée du conflit diplomatique avec les autorités britanniques pour laisser le cyberactiviste rejoindre Quito.


Anonymous revendique des attaques sur des sites web du gouvernement britannique Le collectif de pirates informatiques Anonymous a revendiqué mardi des attaques sur des sites internet du gouvernement britannique, en représailles à la gestion par Londres du cas Julian Assange, retranché dans l'ambassade d'Equateur au Royaume-Uni. Anonymous a endossé sur Twitter la responsabilité de cyber-attaques dans le cadre de l'opération "Libérez Assange". De son côté, le ministère britannique de la Justice a reconnu mardi que son site avait connu des "interruptions". "Des mesures ont été prises pour que le site fonctionne mais des visiteurs pourraient ne pas y accéder de façon intermittente", a ajouté le ministère qui précisant que le site ne contenait aucune "donnée sensible". Les services du Premier ministre britannique David Cameron ont eux affirmé que des attaques visant le site de Downing Street avaient "échoué". Julian Assange, fondateur du site internet WikiLeaks, est cloîtré dans l'ambassade de l'Equateur à Londres depuis deux mois alors qu'il est sous le coup d'une extradition vers la Suède, où il est accusé de viol et d'agression sexuelle par deux jeunes femmes. M. Assange et ses défenseurs affirment que s'il est extradé en Suède, il risque d'être envoyé aux Etats-Unis où il encourt, selon lui, la peine de mort pour espionnage, après la publication en 2010 par son site internet WikiLeaks de télégrammes diplomatiques américains. L'Equateur lui a accordé le 16 août l'asile politique, mais Londres refuse de laisser l'Australien quitter le Royaume-Uni libre.


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