"Ambassador Brenton, si vous pensez avoir compris la Belgique, c’est qu’on vous l’a mal expliquée!"
"Les Belges ont un talent pour résoudre les problèmes !" L’Ambassadeur de sa majesté et de la Grande-Bretagne en Belgique évoque pour nous le ‘Royal Baby’, le couronnement du Roi Philippe, l’Europe ‘made in London’, le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse et la polémique 'Bruxelles pas belle !'. Jonathan Brenton est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 26-07-2013 à 10h10 - Mis à jour le 09-10-2013 à 11h36
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"Les Belges ont un talent pour résoudre les problèmes !"
L’Ambassadeur de sa majesté et de la Grande-Bretagne en Belgique évoque pour nous le ‘Royal Baby’, le couronnement du Roi Philippe, l’Europe ‘made in London’, le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, la crise économique et la polémique 'Bruxelles pas belle !'.
Jonathan Brenton est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Depuis la naissance du ‘Royal Baby’, les chaines de télévision britanniques nous montrent la ferveur populaire qu’elle suscite. Cet engouement est-il réel et comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’il est réel et avant tout lié à un évènement humain, familial et privé dans lequel de nombreux Britanniques se reconnaissent et se remémorent leur propre expérience. Je pense aussi que la famille royale est très populaire. Dans toutes les monarchies, comme en Belgique, la famille royale reste un symbole du pays, de ses valeurs et de son Histoire. Voyez le choix du prénom : on fait immédiatement un lien avec ses prédécesseurs, comme une forme de continuité de notre histoire nationale.
De nombreux pays observent cet engouement avec une certaine fascination ou perplexité.
Cette naissance marque aussi un changement, car c’est la première fois que l’enfant né est appelé à monter sur le Trône uniquement parce qu’il est l’aîné et non un garçon. Pour que la tradition se poursuive, il faut une sorte de modernisation de la monarchie. Cette nouvelle règle de succession, que la Belgique a adoptée avant nous, est un élément de ce changement. Puis, le style change aussi… il est difficilement imaginable qu’il y a 60 ans un prince britannique explique avoir déjà changé un lange. (rires)
Des économistes estiment à 280 millions d’euros l’impact de cette naissance sur l’économie britannique. Cela semble énorme. Vous y croyez ?
Je tiens à préciser qu’on a une famille royale pour ses valeurs, pas pour son bénéfice économique. C’est clair qu’une telle naissance à un impact sur le tourisme, la visibilité et la médiatisation du pays à l’étranger et sur la consommation : souvenirs, gadgets et célébrations diverses. 280 millions, pourquoi pas ? L’impact des Jeux olympiques était estimé à 10 milliards…
Après les abdications de la Reine Béatrix des Pays-Bas et d’Albert II, ainsi que la renonciation du Pape Benoît XVI, est-il envisageable que la Reine Elisabeth II suive l’exemple ?
J’espère que la Reine continuera sa remarquable carrière et je suis même persuadé qu’elle le souhaite. C’est la tradition chez nous…
Quel regard portez-vous sur la monarchie belge ?
On observe avec admiration la manière avec laquelle le prince Philippe – devenu Roi – menait les missions économiques. Les entreprises nous le disent, elles admirent beaucoup ce qu’il a fait pour l’économie belge dans le monde. Cela démontre aussi la modernisation de la monarchie… On imagine mal le protocole d’il y a 100 ans accepter que le prince héritier joue un tel rôle d’ambassadeur économique.
Vous étiez présent à la prestation de serment du roi Philippe.
J’ai trouvé cette journée remarquable, c’était un honneur et un privilège d’assister à ce moment historique. Le fait d’avoir un Roi qui jure de respecter la Constitution devant le Parlement, c’est le symbole d’une tradition mise en place par la révolution. Bravo aussi pour le travail réalisé par le protocole et la diplomatie belge.
Comment voyez-vous la Belgique ?
Quand je suis arrivé, on m’a dit : "Ambassador Brenton, si vous pensez avoir compris la Belgique, c’est qu’on ne vous l’a pas expliquée correctement !" (rires) Cela dit, je pense que c’est un pays avec un talent humain très riche ! On voit cela avec le nombre de Belges qui reçoivent et occupent des postes internationaux prestigieux. En Grande-Bretagne, on cite souvent Chris Dercon (directeur du musée Tate Modern à Londres), le footballeur Vincent Kompany qui a gagné la Premier League en 2012, Jacques Rogge qui était très important lors des JO de Londres, le chief economist Peter Praet de la BCE, Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen, et bien d’autres moins connus. Pour de nombreux responsables, cela démontre qu’il y a de l’innovation ici et que les Belges ont un talent pour résoudre les problèmes. Ils sont très pragmatiques. Par exemple, ils connaissent d’énormes succès dans l’exportation. Quand je demande pourquoi, on me dit "Ben, nous sommes obligés !".
Guy Verhofstadt était notre Invité du samedi au lendemain du grand discours sur l’Europe de David Cameron. L’eurodéputé nous affirmait que si la Grande-Bretagne quittait l’Europe se serait avant tout ‘une tragédie’ pour les Britanniques. Vous le pensez aussi ?
Je pense que David Cameron cherche les moyens pour rester dans l’Union européenne, une Union européenne réformée. Les changements que l’on souhaite sont des changements qui sont bons pour tous ! Il ne se bat pas pour les exceptions britanniques, mais pour davantage de croissance économique et de compétitivité, une Europe plus proche des citoyens,… Je représente un gouvernement qui veut rester dans l’Union européenne et qui doit persuader son électorat de cela. Soyons clairs, sans le soutien du peuple – ce qui passe par un référendum – cela serait plus difficile de rester dans l’Union. Quant aux arguments de Guy Verhofstadt, par exemple qu’il faut y avoir un seul référendum sur l’ensemble de l’Union, c’est un discours logique pour un fédéraliste mais en même temps absurde - car les citoyens veulent maintenir leur souveraineté nationale quand ils doivent décider sur leur avenir.
Ce sera malgré tout un moment de vérité, un pari ?
Oui, mais le pire serait de continuer sans le soutien des Britanniques ou sans des changements en Europe. Je pense qu’on peut gagner ce référendum. De plus, d’autres pays comprennent et soutiennent nos positions comme on a vu lors de l’accord sur le budget.
Il y a actuellement une polémique autour du gaz de schiste. David Cameron veut alléger l’imposition sur les bénéfices de cette exploitation afin de favoriser ce secteur énergétique.
C’est clair qu’il y a un débat et qu’il faut prendre en compte les facteurs environnementaux. Mais nos entreprises doivent être compétitives. Les groupes chimiques et autres entreprises font une comparaison entre les coûts énergétiques ici et ceux aux Etats-Unis. Dans l’intérêt de la compétitivité et la prospérité de l’Europe, c’est bien de tenter l’exploitation du gaz de schiste. La Grande-Bretagne ose poser les questions difficiles… je comprends donc que certains soient fatigués des questions soulevées par les Britanniques, mais ce sont des questions nécessaires pour toute l'Europe: budgets, union bancaire, marché avec les Etats-Unis,…
Vous comprenez les critiques ? Le marché transatlantique – pour ne reprendre que cet exemple – est très sévèrement dénoncé par de nombreux Européens.
Il faut toujours avoir un débat et accepter de négocier sur ces sujets. Comme a dit notre Ministre de l’Europe, en Grande-Bretagne on ne devrait pas sous-estimer notre capacité de négocier, tout comme on ne devrait pas la surestimer. D’ailleurs le marché transatlantique serait bon pour l’Europe et bon pour la Belgique.
En septembre 2014, l’Ecosse organise un référendum sur son indépendance. Vous pensez qu’il pourrait être voté?
C’est une question démocratique, mais notre gouvernement veut le maintien de la Grande-Bretagne actuelle. Je suis convaincu que la majorité votera contre l’indépendance de l’Ecosse. Selon les sondages, les Ecossais reconnaissent qu’on est plus fort ensemble.
Vous qui vivez ici, quelle est votre opinion sur la polémique ‘Bruxelles pas belle !’ lancée par le correspondant à Bruxelles de Libération ? Jean Quatremer critiquait la saleté de Bruxelles et les trop nombreux chantiers…
C’est un peu une tradition, dans chaque pays, les correspondants aiment bien critiquer le pays dans lequel ils sont envoyés. Moi, j’habite Bruxelles depuis 5 ans. J’aime bien cette ville et ses nombreux atouts : une vie culturelle superbe (Bozar,…), une nature magnifique (Bois de la Cambre), un réseau ferré central pour les autres capitales (Londres, Paris et Amsterdam), mais aussi une économie bien plus importante qu’on ne le croit. Bruxelles, c’est bien plus que les institutions européennes, l’OTAN, les lobbys,… Le défi pour Bruxelles, c’est de garder sa place face aux autres métropoles européennes.
Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Bruxelles, pas belle ?
Oh, personnellement, je trouve cette ville belle, et en particulier certains quartiers, comme Ixelles où je réside. Mais je crois qu’on y a fait des erreurs urbanistiques dans les années ’50, avec la ‘bruxellisation’. C’est un peu dommage d’avoir détruit tant de bâtiments superbes. Mais je ne suis pas le seul à le dénoncer… Puis, on a fait de telles erreurs aussi en Grande-Bretagne. (rires)
Votre français est excellent, mais parlez-vous néerlandais ?
Je le comprends mieux que je ne le parle. C’est mon point le plus faible dans mon métier, mais je prends des cours hebdomadaires. C’est très important de parler comme les Belges différentes langues pour être un bon diplomate…
Entretien : Dorian de Meeûs