Silvio Berlusconi, caricature grotesque de l'Italie
La Cour de cassation a confirmé la condamnation de Silvio Berlusconi à quatre ans de prison. Portrait du Cavaliere.
- Publié le 02-08-2013 à 11h53
- Mis à jour le 14-08-2013 à 16h12
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Silvio Berlusconi est l’un des dirigeants "les plus controversés, dans l’histoire d’un pays connu pour la corruption et l’inconduite de ses gouvernements", précisait la notice biographique du président du Conseil italien destinée à la presse accompagnant le président américain George W. Bush, au sommet du G8 au Japon, en 2008. Washington s’était confondu en excuses pour la gaffe diplomatique du service de presse de la Maison-Blanche. Qui n’avait pas tout faux pour autant : Berlusconi, politicien et homme d’affaires (dans toutes les acceptions du terme affaire) prête le flanc à la controverse. Dix fois plutôt qu’une.
On perd le compte des polémiques soulevées par ses actes et ses déclarations à l’emporte-pièce. Contre les juges "communistes" qui veulent sa perte; sur la supériorité de l’Occident sur l’islam; sur le "bronzage" de Barack Obama ou son invitation aux victimes du tremblement de terre de l’Aquila à considérer leur relogement provisoire comme "un week-end de camping" - on en passe.
On s’égare aussi dans les méandres de la saga judiciaire dont il est l’antihéros depuis trois décennies - plus de trente procès dont, jusqu’à ce vendredi, aucun n’avait abouti à une condamnation ferme et définitive, quand bien même fut-il reconnu coupable à six reprises et condamné à un total de 18 ans et 5 mois de prison ferme. Dont il n'a pas purgé une minute, étant à plusieurs reprises acquitté en appel ou en cassation, bénéficiant d'amnisties ou étant sauvé par la prescription.
Un tel passif aurait dû, normalement, l’empêcher de perdurer en politique. Mais en Italie, la vie politique est hors norme. Et il faut croire que les Italiens ont un faible pour les fanfarons. En la matière, l’égotique Berlusconi est un maître. Qui dit un jour de lui : "Je suis le meilleur au monde, seul Bill Gates peut me porter ombrage." Rien de tel que la poudre aux yeux, pour mieux dissimuler les zones d’ombre de son ascension.
Le seul capable de sauver l’Italie du "péril rouge"
Ce fils d’un employé de banque et d’une secrétaire, né à Milan le 29 septembre 1936, entame son escalade vers les sommets par le versant affaires. Dans l’immobilier d’abord, dès les années 60. En 1978, il fonde la méga-holding Fininvest, son empire financier, qui couvre les secteurs des médias (Mediaset), de l’édition (Mondadori), des services financiers (Mediolanum), du cinéma (Medusa) et du football (le Milan AC). Richissime - sa fortune personnelle est estimée par le magazine "Forbes" à 6,2 milliards de dollars -, Berlusconi aime à se définir comme un self-made-man. L’homme, c’est certain, possède un sens aiguisé des affaires; ne manque ni de flair, ni de culot. Pèsent cependant de lourds soupçons - pour dire le moins - que la recette de son succès intègre aussi les ingrédients corruption, faux, fraude fiscale, appartenance à la loge "noire" P2 et collusion, jamais avérée, avec la mafia.
S’il est entré en politique, c’est, assure-t-il, parce qu’il était le seul capable de sauver l’Italie du péril rouge et d’en faire un pays libéral. Mais loin d’être un idéologue, Berlusconi est surtout un opportuniste. L’homme d’affaires finançait le Parti socialiste italien de son "protecteur", Bettino Craxi ? C’est un parti de droite, Forza Italia, que le néo-politicien crée en janvier 94. Deux (!) mois plus tard Forza Italia l’emporte aux législatives, profitant de la chute du PSI et de la Démocratie chrétienne, laminés par l’opération anticorruption "Mains propres". Le premier passage de Silvio Berlusconi à la tête du gouvernement sera bref : 252 jours.
Mais grâce à son stupéfiant bagou d’ancien chanteur de croisière et au spectacle de pyrotechnie médiatique qu’orchestrent ses télévisions, radios et organes de presse, Sua Emittenza revient au pouvoir en juin 2001, à la tête de la coalition de "La Maison des libertés", dans laquelle on retrouve, outre Forza Italia, la régionalo-populiste-xénophobe Ligue du Nord et l’ultra- droitière Alliance nationale. Premier ministre, hommes d’affaires et mogul, Citizen Berlusconi est un conflit d’intérêts ambulant. Il profite de ses cinq années au faîte du pouvoir pour faire adopter des lois préservant ses intérêts financiers et le protégeant de la justice, tout en mettant au pas la Rai, l’audiovisuel public. Défait, de peu, en 2006 par Romano Prodi, il prend sa revanche aux élections en 2008. En mai, le revoilà président du Conseil.
Gloire, chute, rebond, condamnation
Leader de l’attelage composite de droite le "Peuple de la liberté" (PdL), il est alors au zénith de sa popularité. Plus dure sera la chute. Il apparaît, en 2011, que l’Italie est un des maillons faibles d’une zone euro luttant pour sa survie. Le président-entrepreneur est-il l’homme de la situation pour redresser l’économie et les finances publiques italiennes ? A cette question, posée à l'issue d'un sommet européen en octobre 2011, le président français Sarkozy et la chancelière allemande Merkel (que l'"élégant" Berlusconi qualifia un jour de "gros cul imbaisable") répondent par un silence significatif et un sourire entendu. Le Cavaliere est humilié, sa cote est au plus bas sur la place européenne.
D'autant qu'en politique domestique, il est déjà très affaibli et que le pire est à venir. En 2009, lasse des incartades de Papounet avec de (très) jeunes bimbos, sa seconde femme (et mère des trois derniers de ses cinq enfants), Veronica avait demandé le divorce. Au cours des années qui suivent, les turpitudes de la vie privée du Premier ministre, peu conforme avec l’honorabilité de sa fonction, s’étalent dans la presse (non berlusconienne). Qui se fait l’écho d’orgiaques soirées bunga-bunga organisées dans sa villa d’Arcore, lors desquelles de jeunes femmes monnaient leur faveurs.. L’une d’elle, Ruby, est mineure. Lorsque la lolita marocaine est arrêtée pour vol, en mai 2010, Berlusconi la fait libérer, prétextant qu’elle est la nièce du raïs égyptien Moubarak. Mensonge éhonté. Celui de trop.
Essoré, Berlusconi est contraint à abandonner son poste en novembre 2011. Son sourire figé vire au jaune, les liftings ont transformé son visage éternellement bronzé en masque de cire. Il feint de jeter l’éponge, avant de se présenter aux élections de février de 2013. Où, contre toute attente, il réalise un meilleur score que prévu, parvenant à imposer le PdL dans la coalition dirigée par le Parti démocrate d’Enrico Letta. Mais la justice n’en a pas fini avec lui. Le 24 juin 2013, Berlusconi est condamné à sept ans de prison et à l’inéligibilité à vie pour abus de pouvoir et prostitution de mineure - il fait appel. L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Mediaset pourrait mettre un terme à ses ambitions et à son influence politique. En principe.
Quoi qu’il en soit, hors de la Botte, on continuera à s’interroger sur la façon dont il aura hypnotisé son pays pendant vingt ans. Le talent du multimilliardaire est d’avoir persuadé une majorité d’Italiens qu’il était comme eux, leur renvoyant leur image, déformée, caricaturale : séducteur, charmeur, fou de Calcio; frimeur, désinvolte et espiègle, rusé jusqu’à la filouterie. Berlusconi est tout cela, mais dans des proportions excessives, touchant au grotesque. Mais voilà : la farce ne fait plus rire grand-monde depuis quelques temps, déjà.