L’Europe s'attaque aux mafias
Le Parlement européen a adopté un rapport sur la lutte contre le crime organisé. Les députés veulent en faire la base d’un plan d’action globale au niveau européen. Sonia Alfano, connue pour son engagement contre la mafia, en parle.
Publié le 24-10-2013 à 05h37 - Mis à jour le 18-03-2014 à 14h39
En 2009, lors de la campagne électorale, j’avais dit que je voulais porter la question de la mafia au niveau européen et j’ai tout fait pour réaliser cet objectif. Alors oui c’est vrai, aujourd’hui je me réjouis du vote du rapport de mon compatriote et collègue Salvatore Iacolino (Parti populaire européen, centre droit) consacré à la criminalité organisée, à la corruption et au blanchiment de capitaux". Elégante et lumineuse dans sa blondeur et la force de ses convictions, l’eurodéputée italienne Sonia Alfano (groupe libéral-démocrate, ALDE) refuse cependant de parler "d’aboutissement" en ce mercredi strasbourgeois. Même si, élaboré au sein de la commission spéciale "Criminalité" (Crim) qu’elle préside depuis sa création en 2012, le texte adopté ce mercredi en séance plénière du Parlement européen à une large majorité (526 voix contre 25 et 87 abstentions) est une belle concrétisation du sens qu’elle a voulu donner à son mandat.
Il est vrai qu’il reste du travail à accomplir à partir de cet état des lieux aussi complet qu’alarmant. Les recommandations concrètes dont il est assorti sont là pour donner à la Commission européenne les bases d’un travail législatif qui devrait mener à un plan d’action global destiné à lutter contre les mafias en tout genre à l’œuvre dans l’espace communautaire.
Un coût faramineux
"Le coût des mafias, difficile à évaluer, représente entre 4 et 5 points de pourcentage du PIB de l’UE", a déclaré le rapporteur Salvatore Iacolino. Rien que les activités de corruption et de blanchiment d’argent coûtent à l’Europe un minimum de 120 milliards d’euros par an (soit 1,1 % du produit intérieur brut de l’Union, plus que le budget européen), signale de son côté Sonia Alfano.
Qui précise que l’enquête menée pendant 18 mois par la commission Crim a mis en relief l’activité en Europe de mafias russe, balkanique, chinoise, japonaise, africaine et bien sûr italienne, la plus puissante - au travers de la ’Ndrangheta, branche d’origine calabraise. "Première en ce qui concerne la drogue, celle-ci dispose d’une force financière qui lui assure un contrôle sur d’autres systèmes criminels", poursuit l’eurodéputée en donnant par ailleurs quelques exemples des méthodes de cette mafia.
C’est ainsi que l’on apprend qu’en Espagne, elle s’est "offerte" une chaîne de restaurants baptisée cyniquement "A table avec la mafia" où des noms de victimes sont utilisés dans les menus. Ou encore qu’en Belgique, elle a acquis en 2004 pour 30 millions d’euros un quartier entier de la périphérie bruxelloise à des fins de spéculation immobilière.
Fondée sur la corruption qui est "son ciment", selon Sonia Alfano, la criminalité organisée draine dans son sillage européen la traite des êtres humains et le blanchiment d’argent, au fil de trafics qui vont de la drogue aux déchets en passant par les œuvres d’art ou les espèces protégées, sans oublier le trucage de rencontres sportives ou l’achat de votes.
Frapper le crime organisé au portefeuille
Du point de vue de Sonia Alfano, les mesures les plus efficaces proposées par le rapport Iacolino sont l’introduction du délit d’association de malfaiteurs dans tous les pays européens, la suppression de l’inviolabilité du patrimoine financier criminel qui devrait pouvoir être saisi, l’abolition du secret bancaire. De même que l’instauration d’un parquet unique européen pour coordonner les enquêtes nationales même si l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume-Uni notamment rechignent à cette idée.
Autre proposition à laquelle est sensible Sonia Alfano, dont le père journaliste a été assassiné par la mafia en 1993 : l’instauration d’une journée européenne de la mémoire et de l’engagement pour commémorer les victimes de la criminalité organisée. Son combat, entamé en Italie il y a 20 ans, est lié à cette histoire familiale dramatique, confirme-t-elle. Il se poursuit actuellement au niveau européen par son travail sur la directive "confiscation des produits du crime" et continuera sans doute au-delà des élections de mai 2014.
"L’Europe ne m’a pas déçue", confie cette élue de la liste italienne du juge Di Pietro. Sonia Alfano se dit prête à repartir pour une mandature si les électeurs la soutiennent. Son groupe la réclame et d’autres la sollicitent. "Au moins, puis-je y voir une reconnaissance de mon travail."