Pourquoi l'Église veut vous reconquérir

Car elle n'a pas oublié votre adresse et entend vous le faire comprendre. Mais pourquoi ? Un récit de Bosco d'Otreppe depuis le Vatican.

Un récit de Bosco d'Otreppe depuis le Vatican

On sentait bien que ce restaurant n'était pas un restaurant comme les autres. Comment dire ? Le service, la décoration, la saveur des plats ? Tout était pourtant rigoureusement professionnel...

C'est à 22 heures tapantes que nous avons découvert le stratagème, ou plutôt la Sainte Vierge illuminée soudain dans un coin de la vaste salle à manger par deux cierges embrasés. Tout s'est alors arrêté : le service, les conversations, le bruit, les regards furtifs, pour se fixer sur les quelques serveuses retrouvant leur vocation première, celle de religieuses, et leur activité essentielle, la prière. De l'eau vive alors, cet étrange restaurant, s'est élevé dans la nuit une série de cantiques à la Vierge, dont les étoiles romaines connaissent si bien les refrains.

L'eau vive, nous explique notre guide, n'est pas un restaurant comme les autres. « Il y a quelques années encore, avant que le lieu ne soit trop connu, il était un véritable repère à évêques et cardinaux. Échappés des murs du Vatican, en tenues discrètes, ils venaient y débriefer les journées. Mais la qualité première de cette adresse est qu'elle soit tenue par des religieuses qui y assurent le service et la gestion : les Travailleuses missionnaires de l'Immaculée. » Un nom bien long, pour des soeurs venues des quatre horizons ayant décidé d'offrir leur vie pour le Christ et son message. Le restaurant leur permet de financer leurs études à Rome, mais surtout, nous explique l'une d'elle, « de servir le pain quotidien, et en met principal, la nourriture spirituelle, la prière, l'eau vive, le message du Christ qui rassasie les âmes ».

Dans le centre historique de Rome, L'eau vive est à lui seul le résumé de la mission internationale de l'Église. Les religieuses, pour la plupart asiatiques ou africaines, nous rappellent son histoire et son expansion réalisée depuis nos contrées ; leur présence à Rome, nous remémore combien la vétérane, mais parfois si fatiguée Église occidentale se nourrit aujourd'hui de la spiritualité énergique de ces continents plus lointains.

Mais trêve de resto, allons à l'essentiel. Car finalement, pourquoi cela doit-il exister des Travailleuses missionnaires ? Pourquoi tant de religieux à travers les temps, les terres, les mers se sont-ils usé les semelles pour aller clamer l'Évangile aux âmes les plus reculées ? Ne pouvaient-ils pas s'en satisfaire de leur foi, de leur Dieu, de leurs crucifix pour ne pas aller le proposer aux différents points cardinaux ? Et aujourd'hui que la crise de la chaise vide touche la grande majorité des églises occidentales, que la sécularisation taille des croupières aux paroisses, que la globalisation, la mondialisation et le multiculturalisme plongent nos langages (quels qu'ils soient) dans des doutes profonds, qu'ont-ils à parler, au Vatican, de la nouvelle évangélisation qui entend reconquérir l'Europe perdue ? Car ne vous en faites pas, pratiquants fidèles ou intrépides païens que vous êtes : le Vatican n'a pas oublié votre adresse, et entend bien rappeler le Christ à votre bon souvenir. Alors, passons les faits : oui en Europe occidentale l'Église est en crise de vocation, de foi, de ferveur ; et venons-en aux racines : comment, avec qui et pourquoi l'Église compte nous reconquérir.

Pourquoi ? Parce qu'il y eut un homme en Galilée

Car Jésus, aussi bon qu'il fut sur les chemins de Galilée, n'a pas trop laissé le choix à ses apôtres (qui ne se sont pas fait prier – reconnaissons-le). « Allez, faites de toutes les nations des disciples ». Pouvait-on être plus clair ? Mais le Christ avait solidement assuré ses arrières pour ne pas prêcher dans le vide. Relisez les textes, les témoignages, écoutez les prêtres, les missionnaires d'aujourd'hui, un mot leur revient avec constance à la bouche : la joie. « Jésus est source de joie, de liberté, de bonheur, il a changé ma vie » nous raconte Anne-Laure, 21 ans, en pleine mission d'évangélisation pour la communauté de l'Emmanuel. « Un moment, cette joie déborde du coeur, que puis-je faire d'autre que de la partager ? » « Cela devient une vraie nécessité que de partager la foi » renchérit sa comparse Sixtine.

« La foi est la clé de mon bonheur, que pourrais-je offrir de plus beaux aux autres que le message du Christ, de quoi pourrais-je témoigner d'autre si ce n'est de l'amour de Dieu ?» Anne-Laure résume à elle seule ce que nous avons perçu chez de nombreux croyants. On peut y voir bien entendu une version naïve et bien éloignée des véritables desseins de l'Église, impatiente qu'elle serait, tel un puissant lobby, de reconquérir un pouvoir d'influence perdu. Sans doute y a-t-il des deux, mais sans doute pouvons-nous dire avec assurance que l'élan principal est bien cette envie sincère de partager un sentiment intérieur. « Le bonheur n'est rien s'il n'est pas partagé », rapporte un dicton. C'est exactement cela, avec chez les catholiques, si on les écoute, une dimension essentielle et vitale dans ce partage.

« Allez vers les autres, vers les périphéries » insiste sans cesse le Pape François. « Souvenez-vous du Christ mort sur la croix, pour nous sauver, les bras grands ouverts sur le monde » rappelle un vieux prêtre romain en pleine homélie. « Notre Dieu est un dieu centrifuge qui nous envoie vers les autres pour partager et jamais imposer » explique le philosophe catholique Martin Steffens. Car le chrétien a des balises bien claires pour évangéliser, celles de la liberté de l'autre. Pourtant est-il possible d'évangéliser sans tomber dans le prosélytisme ? L'équation est-elle envisageable ? Comment les catholiques se justifient-ils ? Il nous reste trois articles, et tant de choses à découvrir.

Ce lundi, découvrez la suite de la série : "Et pour l'Église, c'est qui le monde ?"

Une série réalisée avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles


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