Cambodge: la "campagne finale" contre Hun Sen
L’opposition politique s’appuie sur la révolte du secteur du textile.
Publié le 15-01-2014 à 05h39 - Mis à jour le 15-01-2014 à 13h08
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Rarement la pression aura été aussi forte sur le Premier ministre Hun Sen, qui fêtait mardi ses vingt-neuf ans à la tête du gouvernement cambodgien (il fut bien, de 1993 à 1997, le "second Premier ministre", mais son emprise sur le pouvoir n’en était guère amoindrie). Jusqu’ici dans un rapport de forces défavorable, l’opposition incarnée par Sam Rainsy et son Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) peut en effet compter désormais sur le soutien des travailleurs mécontents : les 700000 ouvriers de l’industrie textile, qui représentent à eux seuls 5 % de la population khmère.
Interdit de manifestations dans la capitale, Phnom Penh, par les autorités, qui ont chassé ses partisans du parc de la Démocratie qu’ils occupaient depuis plusieurs semaines, Sam Rainsy mobilise désormais ses troupes en province. Vendredi, c’est dans celle de Siem Reap, dans le nord-ouest du pays, qu’il les a haranguées, promettant de "commencer une campagne finale" contre Hun Sen s’il n’acceptait pas de nouvelles élections.
L’opposition, qui dénonce des "fraudes massives", rejette, en effet, les résultats des législatives du 28 juillet dernier qui lui ont donné 55 sièges à l’Assemblée nationale, contre 68 au parti au pouvoir, l’ancien parti communiste cambodgien qui a enregistré, à cette occasion, le plus mauvais score de son histoire. Elle réclame donc la démission du Premier ministre et la tenue d’un nouveau scrutin.
Intimidation judiciaire
Le régime a renoué avec ses pratiques habituelles d’intimidation en faisant convoquer, mardi, Sam Rainsy et son adjoint, Kem Sokha, par un tribunal de Phnom Penh. Il leur est reproché d’avoir causé les troubles qui ont conduit à la sanglante répression d’une manifestation des travailleurs du textile qui fit, le 3 janvier, quatre morts et plusieurs dizaines de blessés. Interrogés pendant plusieurs heures à huis clos, les deux dirigeants de l’opposition sont ressortis sans qu’aucune charge ne soit, à ce stade, retenue contre eux.
Le mouvement de protestation des ouvriers du textile est motivé par des revendications salariales. Quelque 400000 Cambodgiens travaillent pour de grandes marques occidentales comme Gap, H&M ou Nike, mais sont payés moins de 75 euros par mois. Ils demandent le double, mais le gouvernement ne veut concéder qu’une maigre augmentation.
Après une période d’autarcie dramatique de 1975 à 1978 sous les Khmers rouges (dont Hun Sen était un cadre subalterne) et une autre d’isolement diplomatique de 1979 à 1993 sous le régime provietnamien (dont Hun Sen fut le ministre des Affaires étrangères), le Cambodge a peu à peu profité du développement général en Asie du Sud-Est pour connaître un véritable boom économique, alimenté par les investissements chinois et thaïlandais, et les délocalisations des multinationales occidentales. Mais ce décollage est largement le fruit de l’exploitation d’une main-d’œuvre non qualifiée et sous-payée qui travaille souvent dix heures par jour et six jours sur sept. C’est vrai en particulier dans le secteur du textile, coupable de produire, selon Sam Rainsy, "les vêtements du sang".
Les autorités mettent en garde contre toute perte de compétitivité qui profiterait aux pays voisins : le Bangladesh, mais aussi la Birmanie, en passe de devenir le nouvel eldorado des investisseurs occidentaux. L’opposition entrevoit, quant à elle, la possibilité de mettre fin à l’ère Hun Sen en prenant appui sur cette vague sans précédent d’exaspération sociale.