L'Iran ou la quadrature du cercle

L'Iran est-il un pays fréquentable ? Quelle position stratégique adopte la République islamique ? Hassan Rohani est-il vraiment un "modéré" ? LaLibre.be a interrogé Thierry Kellner (ULB), spécialiste de l'Iran.

Jonas Legge

L'Iran a suspendu ce lundi, pour une période de six mois, ses activités d'enrichissement d'uranium à 20%. Cet acte fait suite à un accord avec les grandes puissances internationales qui, en échange, vont lever une partie de leurs sanctions contre la République islamique. Dans le même temps, l'Arabie Saoudite et l'opposition syrienne refusent de participer aux négociations de Genève II (sur la paix en Syrie) en cas de présence iranienne autour de la table.

L'Iran est-il un pays fréquentable ? Le président Hassan Rohani est-il vraiment un "modéré" ? LaLibre.be a interrogé Thierry Kellner, chargé de cours à l'ULB et spécialiste de l'Iran.

Le pays se présente sous un nouveau visage en négociant avec les grandes puissances. Peut-on parler de tournant ?

Il est un peu tôt pour le dire. Le tournant, c'est que les Iraniens et les Américains ont réussi à reprendre langue, ce qu'ils n'avaient pas fait depuis 30 ans. Le véritable changement serait un accord sur le nucléaire d'ici six mois. Cela réintroduirait les Iraniens sur la scène internationale dans une position de pays beaucoup plus modéré.

L'Iran cherche justement à être reconnu comme grande puissance régionale...

Il est clair que le Moyen-Orient et le Golfe persique sont deux zones où l'Iran a vocation à être une des plus importantes puissances, avec la Turquie ou l'Arabie Saoudite. Les difficultés avec les Occidentaux l'ont isolé très longtemps dans la région, lui ont fait perdre le bénéfice de son positionnement géographique exceptionnel. S'il y avait un changement de sa politique extérieure, avec un retour des normalités dans les rapports, alors l'Iran aurait vocation à devenir un acteur régional majeur sur la scène internationale.

Cependant, le Congrès américain veut renforcer les sanctions et les tenants de la ligne dure en Iran sont opposés au gel de l'enrichissement nucléaire. Les écueils sont fameux !

En interne, des critiques ont été émises à l'égard de M. Rohani, une partie de l'élite politique se méfie de cette ligne "conciliante". C'est aussi un instrument utile pour Hassan Rohani. A partir du moment où vous avez une opposition interne qui s'exprime assez durement, vous pouvez alors dire à vos partenaires internationaux qu'ils doivent faire attention à ce qu'ils vous imposent. Sinon, vous aurez du mal à le faire accepter à votre opinion publique ou à l'autre partie du régime... Ça peut donc être un instrument de négociation utile. N'oublions pas que sur le nucléaire, Rohani a de toutes façons l'accord du "Guide" (NdlR : Ali Khamenei qui occupe le poste le plus élevé de la République). Dans ces conditions, cette ligne va être suivie. L'Iran se présente donc sous un visage rationnel, celui du pays avec lequel on peut conclure un accord. C'est une transformation profonde par rapport à Ahmadinejad.

Il n'est donc pas exagéré de présenter Hassan Rohani comme "modéré" ?

Sur le plan interne, peu de choses évoluent. Une quarantaine de personnes ont encore été exécutées ces 15 derniers jours... Par contre, sur la question du nucléaire, Rohani est bien modéré. Mais l'est-il sur tous les aspects de la politique étrangère ? Pour l'instant, on n'a pas vu de modifications en profondeur des positions iraniennes. Mais M. Rohani n'a pas toutes les cartes en mains, puisque les Gardiens de la révolution (NdlR : qui dépendent du "Guide") ont leur mot à dire sur ce qui relève de la politique régionale.

Il ne sera donc pas évident d'obtenir de sa part une position plus modérée...

Tout à fait, mais l'Iran a intérêt de passer pour un pays modéré et donc qu'il y ait des avancées à Genève et un accord définitif sur le nucléaire dans six mois. Ça l'aidera à asseoir son statut régional et à lui offrir des bénéfices économiques dont l'Iran a grandement besoin. L'Iran a tout de même rejoint la table des négociations parce que les pressions internationales étaient beaucoup trop grandes. La population a d'ailleurs fait pression sur M. Rohani parce qu'elle-même était très touchée par les pressions économiques.

Pourtant, l'Iran reste le principal allié régional de la Syrie. N'est-ce pas contradictoire vis-à-vis de la communauté internationale ?

Sur le plan global, l'Iran se présente comme acteur modéré. Sur la question syrienne, par contre, on n'a pas vu d’évolution. L'Iran est le seul pays qui a envoyé des hommes pour soutenir Bashar al-Assad. Mais la situation en Syrie a évolué depuis un an. Sur le terrain, des groupes armés extrémistes sont des ennemis tant des Occidentaux que de l'Iran. On a donc des ennemis communs... Ce qui est dérangeant, c'est que si l'Iran participe aux négociations de Genève II, la position de Bashar al-Assad risque d'être renforcée. Pour les Occidentaux, ce serait une pilule difficile à avaler. Les Occidentaux vont donc devoir trouver un compromis entre les exigences de la Russie, de l'Iran, des Syriens et les leurs.

L'ran pourrait ne pas être représentée à Genève, comme le demandent l'Arabie Saoudite et l'opposition syrienne ?

Il y a un problème de fond. Les Nations Unies poussent pour que l'Iran en soit. Les Etats-Unis, eux, ne s'y opposent pas si l'Iran reconnait Genève I (qui indique que toutes les parties s'engagent à œuvrer à un gouvernement de transition en Syrie, sans Bashar al-Assad), et ça on en est encore loin. Et il faut tenir compte du fait qu'un accord pourrait ne pas arranger l'Arabie Saoudite (représentant du monde sunnite) qui est en compétition avec l'Iran (représentant du monde chiite). Car une victoire de l'Iran dans les négociations conforterait le clan chiite au détriment de l'Arabie Saoudite.

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