L'homosexualité en Afrique, entre peur et répression

Un citoyen belge a été arrêté puis libéré sous caution cette semaine en Ouganda. Sa faute: son homosexualité. Au Nigéria, au Cameroun, en Ouganda et dans 38 pays africains, l'homosexualité est criminalisée. Entretien avec Neela Ghoshal, spécialiste "Droits LGBT" à Nairobi.

Jacques Besnard

Au Nigéria, au Liberia, en Ouganda des projets de lois anti-gays émergent depuis deux ans. Pourquoi ces pays adoptent de telles mesures ? Quelle est la situation de la communauté homosexuelle sur le continent ? LaLibre.be a interrogé Neela Ghoshal, chercheuse au sein de la division des "droits LGBT" d'Human Rights Watch. Elle vit depuis 7 ans en Afrique.

Un citoyen belge et son compagnon kényan ont été arrêtés à Kampala en Ouganda. Ils ont été libérés sous caution mais doivent comparaître pour avoir eu "des comportements sexuels contraires aux lois de la nature". Que risquent-ils ?

En Ouganda, le codé pénal prévoit des peines allant de 30 ans jusqu'à la perpétuité. En décembre, le parlement a voté une loi qui pénalise également la promotion de l'homosexualité mais le président s'est finalement prononcé contre cette loi. Pour le moment... Jusqu'à présent, il y a eu des arrestations mais très peu de poursuites. Alors qu'avant les homosexuels étaient souvent mis au cachot pendant 2-3 jours puis relâchés, on observe désormais une nouvelle tendance à des poursuites qui s'étalent sur plusieurs mois. Un militant gay, Sam Ganafa, est, par exemple, poursuivi depuis le mois de novembre. Un couple (un Britannique qui s'est fait expulser et un Ougandais) a également été poursuivi. Ces derniers ont dû subir une anuscopie forcée qui n'a aucune valeur médicale et qui peut être considérée comme de la torture du point de vue de la Convention des Nations Unies.

Plusieurs pays ont adopté (ou sont en passe de le faire) ces derniers mois des lois anti-gays. Comment expliquez-vous ces initiatives ?

Ce sont des mesures populistes. Les politiciens détournent l'attention des citoyens des vrais problèmes. La préoccupation des citoyens, c'est la santé, la pauvreté, la corruption... Pas l'homosexualité. C'est une période de changement, les gens ont peur. Les politiques mettent le doigt dessus. Le président nigérian Goodluck Jonathan, impopulaire, s'est ainsi fait l'étendard de la protection de la famille traditionnelle africaine. La loi qu'il a promulguée est la plus répressive du continent. Les réunions, les organisations, les rencontres, les rassemblements gays sont pénalisés. Au Liberia, une telle loi a également été proposée il y a deux ans, mais elle n'a jamais été votée.

Les homosexuels sont donc condamnés à la clandestinité sur tout le continent ?

Les lois pénalisant l'homosexualité sont, en général, des copier-coller des lois qui existaient durant la colonisation britannique. Sur le continent, 16 pays ne pénalisent pas l'homosexualité mais même dans ces pays il est difficile pour les homosexuels de saisir la justice. On observe, en revanche, des améliorations à l’île Maurice ou au Botswana. En Afrique du Sud également où le mariage homosexuel est légal depuis 2006. De même, il y a des boîtes de nuit homos dans des grandes villes comme Nairobi où leur sécurité est assurée.

Eric Ohena Lembembe militant assassiné en 2013 à Yaoundé.

Internet a-t-il servi d'outil d'émancipation ?

Internet ouvre un peu la communauté homosexuelle, des associations se fondent aussi. Il y a 20 ans, il y avait évidemment déjà des homosexuels en Afrique mais ils ne s'exprimaient pas beaucoup. Au contraire, le Cameroun est l'un des pays les plus répressifs. La loi n'est pas la plus sévère mais il y a de nombreuses arrestations et des violences contre des militants. L'assassinat en juillet 2013 d'Eric Ohena Lembembe, journaliste et directeur de la Fondation camerounaise de lutte contre le sida (CAMFAIDS), en témoigne. C'était l'un des leaders. Après son assassinat, au lieu d'envoyer un message positif, le gouvernement s'en était pris aux médias accusés d'avoir terni l'image du pays. Ces projets de loi sont une réaction à l'activisme. Certains ont peur de voir les gays s'établir en Afrique.

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