Le Grand abécédaire décalé de l'Europe
La rédaction de La Libre vous propose de faire le tour, de A à Z et sur un ton décalé, des couloirs aux airs de labyrinthes des institutions de l'UE et de leurs occupants. D'Angela à Zone euro en passant par Bruxelles (évidemment), Jeudi ou Olaf.
- Publié le 24-04-2014 à 18h17
- Mis à jour le 05-04-2017 à 13h27
La rédaction de La Libre vous propose de faire le tour, de A à Z et sur un ton décalé, des couloirs aux airs de labyrinthes des institutions de l'UE et de leurs occupants. D'Angela à Zone euro en passant par Bruxelles (évidemment), Jeudi ou Olaf.
A comme Angela. On les entend d’ici, les voix qui déplorent la sous-représentation des femmes aux plus hauts échelons politiques européens. Sans leur donner tort, on se permettra de leur faire remarquer que la personnalité politique la plus puissante et la plus influente de l’Union européenne est une femme. Ci-devant Angela Merkel, née Kasner en 1954, chancelière chrétienne-démocrate de la République fédérale d’Allemagne depuis 2005. Elle est celle qui murmurait hier à l’oreille d’Herman (Van Rompuy) et José Manuel (Barroso) ce qu’elle a envie de leur entendre dire. Elle ne se privera pas de le faire, directement en allemand, avec Donald (Tusk) et Jean-Claude (Juncker), ci-devant nouveau président du Conseil européen et nouveau président de la Commission. C’est à elle que Barack Obama téléphone quand il s’inquiète de la façon dont l’Europe compte se sortir du bourbier de la crise de la dette (voir Z comme Zone euro). C’est aussi à cette enfant d’ex-RDA, qui parle le russe, que Vladimir Poutine s’adresse en priorité pour parler d’énergie ou mentir sur l’Ukraine. Et quand il s’agit d’espionner le téléphone d’un dirigeant européen, ce n’est pas celui d’Elio Di Rupo que la NSA choisit de piéger… L’influence d’Angela Merkel tient moins à son sourire - rare mais, à notre estime, fort joli - qu’au fait qu’elle dirige le gouvernement du pays le plus peuplé de l’Union (80 millions d’habitants), dont il se trouve être également la locomotive économique. Aucune grande décision ni orientation n’est prise à la table du Conseil européen sans qu’Angela l’ait approuvée. Et quand c’est nein , c’est nein . Le romantisme européen de son mentor Helmut Kohl, très peu pour la pragmatique Angela. Elle a mis l’Europe à l’heure de Berlin. Son style est aux antipodes de celui de l’ancien président français avec lequel elle formait le tandem Merkozy. A Nicolas la posture bling-bling, toc-toc, pan-pan, c’est moi j’arrive ! A Angela, la rigueur et le sens aigu de la Disziplin (en tout cas pour les autres). Mais la forteresse n’est pas sans faille. Il arrive parfois que Mutti , comme la surnomment ses compatriotes, feigne l’assurance et la détermination alors qu’elle n’a aucune idée de la direction à prendre. Sa prodigieuse capacité à dissimuler son indécision n’est pas son moindre talent politique.
B comme Bruxelles. Métonymie utilisée dans tous les pays de l’Union pour désigner la Commission (et, par extension, l’Europe) par le nom de la ville où elle siège. Sauf en Belgique, dont Bruxelles est la capitale (en plus d’être celle de la Flandre et de la Communauté française), parce que, sinon, on n’y comprendrait plus rien à ce qui est déjà assez compliqué sans cela. Généralement, quand on commence à parler de l’Europe en utilisant Bruxelles, ce n’est pas pour en dire du bien. La prédominance de l’idéologie ultralibérale ? C’est la faute à Bruxelles. L’obsession réglementaire qui plombe la compétitivité des entreprises et empoisonne la vie des honnêtes citoyens ? La faute à Bruxelles. Le prix trop élevé de ceci ou trop bas de cela ? La faute à Bruxelles. La dilution de l’esprit national sacré et séculaire dans un gloubiboulga européiste ? La faute à Bruxelles. Les frontières poreuses qui laissent passer des hordes d’immigrés-pas-comme-nous ? La faute à Bruxelles. Perdu vos clés ? Il pleut sur le pique-nique ? La faute à Bruxelles, on vous dit.
C comme Codécision. Combien de fois n’a-t-on pas entendu pester que le Parlement n’avait "aucun pouvoir" ? Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, l’a institué colégislateur, à égalité avec le Conseil des ministres de l’Union, pour la quasi-totalité des matières européennes. Cette indéniable avancée démocratique permet aux parlementaires élus d’amender les propositions de la Commission (jamais assez ambitieuses) et de menacer les Etats membres de faire barrage à tout accord législatif s’ils ne revoient pas leur position (qui reflète toujours le plus petit dénominateur commun des intérêts nationaux). Puis, après que les députés européens se sont fait taper sur les doigts par leur capitale ou parti respectif, le Parlement rentre très souvent gentiment dans le rang en se contentant de minimes concessions. On force le trait, évidemment…
D comme Démocratie. La démocratie est l’art délicat de faire cohabiter des points de vue parfois radicalement opposés sans envoyer personne au goulag ou à Guantanamo. A ne pas confondre avec la gérontocratie (être gouverné par des vieux); la technocratie (être gouverné par des ordinateurs) ou l’hippocratie (être gouverné par des turfistes). La faiblesse de la démocratie repose dans le fait que ceux qui y sont opposés s’emparent de ses principes pour tenter de s’en débarrasser. Globalement, la majorité des partis politiques de l’Union continuent à défendre ses valeurs fondamentales. Et le déficit démocratique souvent reproché à l’Europe s’est quelque peu résorbé avec le traité de Lisbonne qui a renforcé les pouvoirs du Parlement (voir C comme Codécision) - ce dont les citoyens devraient se réjouir, mais dont ils font finalement peu de cas. Le taux de participation des élections européennes de mai a plafonné à 42,5%.
E comme Erasmus. Le nom de ce théologien néerlandais (XVe-XVIe siècles) résonne comme une belle promesse européenne au XXIe siècle : découvrir une autre culture, apprendre une nouvelle langue, élargir son champ d’études (comme les jeunes l’expliquent à papa et maman), mais aussi faire la fête, goûter aux alcools locaux et tester la manière d’embrasser hors de nos frontières (merci Facebook). Erasmus, donc, est le programme d’échange d’étudiants entre universités ou grandes écoles, immortalisé par "L’Auberge espagnole" de Cédric Klapisch. Un succès, il faut bien le dire. Cette année, Erasmus est devenu Erasmus + pour en faire encore plus, paraît-il, en l’ouvrant à l’éducation, à la formation professionnelle ou au sport (mais oui) avec un budget de 14,7 milliards d’euros sur sept ans. Plus de quatre millions de personnes - étudiants, enseignants, apprentis, etc. - devraient toucher une bourse pour aller étudier, suivre une formation, travailler ou faire du bénévolat à l’étranger d’ici à 2020. Et la somme allouée dépendra, plus qu’aujourd’hui, du coût de la vie dans le pays de destination (ce qui n’est pas un luxe). Merci qui ?
F comme Fonds européens. Les fonds européens sont la réponse la plus concrète apportée à la question "à quoi, elle sert, l’Europe, à la fin ?" Ils permettent de financer, en tout ou en partie, la Politique agricole commune, le rattrapage économique et social des régions en retard de développement, le recyclage professionnel des travailleurs victimes de la mondialisation, l’aide aux plus démunis, les échanges d’étudiants (voir E comme Erasmus), le développement des réseaux transeuropéens de transport, d’énergie et de communication, des programmes de recherche et d’innovation, l’aide humanitaire, la coopération au développement, la rénovation des remparts de Binche (on est taquin : ça, c’était avant), les panneaux "Ce schmilblik est financé avec le concours de l’Union européenne" et on en passe… Les Etats membres ont vis-à-vis des fonds européens une attitude schizophrénique. D’une part, ils se félicitent de bénéficier de la manne puisée dans le pot commun qu’est le budget européen. D’autre part, ils rechignent à délier les cordons de leurs bourses pour alimenter ce même pot commun, tout en refusant que l’Union se dote de vraies ressources propres pour le remplir sans rien demander à personne. Résultat : le budget 2014-2020, en baisse par rapport au cycle précédent, a été cantonné à 958 milliards d’euros de crédits de paiement. Dit comme ça, ça paraît énorme, et c’est vrai que ce n’est pas rien, mais ça représente à peine 1 % du produit intérieur brut de l’UE. Et ce, alors que l’Union compte plus d’Etats membres, doit gérer plus de politiques et que les fonds européens ont un effet multiplicateur. Alors des fois, on se demande…
G comme Gaz (De l’eau dans…). En 2009, après les premières crispations russo-ukrainiennes, l’Agence internationale de l’énergie avait adressé un courrier aux Européens pour les mettre en garde contre leur dépendance malsaine à un nombre toujours plus restreint de pays producteurs de gaz, peu férus de démocratie. La lettre semble n’être jamais arrivée… Qu’à cela ne tienne. En 2014, alors que les importations de gaz russe vers l’Union ont continué à croître, la posture va-t-en-guerre de Vladimir Poutine est venue rappeler aux Européens que cette situation de dépendance était décidément bien embêtante pour eux. A défaut d’une réelle politique commune de l’énergie, certains Etats membres se sont ainsi mis à rêver d’une révolution du gaz de schiste à l’américaine. Nombre d’études soulignent que cela n’arrivera pas, mais ces rapports se sont également égarés. Comme quoi, la libéralisation des services postaux ne va pas sans mal
H comme Haut(e) représentant(e) de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. On est bien d’accord : le titre de ministre des Affaires étrangères de l’Union eût été plus concis, mais les Britanniques ne voulaient pas d’une appellation aussi explicite. Ironie de l’histoire, c’est à une sujette de Sa Gracieuse Majesté, la baronne Catherine Ashton of Upholland (mais appelez-la Cathy), qu’est revenu l’honneur d’essuyer les plâtres de la fonction créée par le traité de Lisbonne. Depuis le 1er novembre, c'est l'Italienne Federica Mogherini qui s'y colle. Tu parles d’un cadeau. Pour éminent qu’il soit, le poste de HR - à la fois président permanent du Conseil des ministres des Affaires étrangères, vice-président de la Commission et boss du Service européen d’action extérieure - est l’un des plus ingrats de l’Union. Parce que parvenir à harmoniser les accents et les priorités d’Etats membres peu enclins à lâcher le morceau diplomatique, pour permettre à l’Union de parler d’une seule voix et d’affirmer son soft power sur la scène mondiale, revient à vouloir résoudre la quadrature du cercle.
I comme Immigration. Lampedusa, sa plage, son cimetière… Tandis qu’un nombre croissant d’Européens affirment en avoir marre de l’Union, un nombre grandissant de victimes de la guerre, de persécutés, de miséreux venus d’Afrique et d’ailleurs rêvent de cette terre d’asile où règnent la paix et, malgré certaines difficultés, une certaine douceur de vivre. On échange ?
J comme Jeudi . Le jeudi, la semaine est finie ! Avant d’empiler leurs costards dans de petites valises à roulettes pour rentrer dire bonjour à la famille le temps d’un week-end, les centaines d’eurocrates en poste à Bruxelles descendent sur la place du Luxembourg pour networker en vingt-quatre langues (gaélique compris) et vider de grandes pintes de bière. C’est chic, branché, et les plus anciens enchaînent les tournées sous les yeux de leurs stagiaires dévoués, prêts à dégainer les cartes de visite à la moindre opportunité. Passé 18h, des nuées de jolies filles viennent s’ajouter à l’ensemble pour chasser de l’eurocrate en goguette, poursuivies à leur tour par une très fine sélection de jeunes cadres dynamiques locaux et autres "loups" de la finance en devenir, avides de reconnaissance et d’apéros mondains.
K comme Keynésien . Adjectif dérivé du nom de l’économiste britannique John Mayard Keynes (1883-1946). Pour faire (vraiment) très court, le keynésianisme, à l’opposé de ceux qui estiment que la main invisible des marchés finit toujours par arranger les bidons, réserve à l’Etat un rôle d’intervention dans la politique économique. Keynes estime, notamment, que l’Etat doit mettre en place des politiques d’investissements financées par les deniers publics, qui alimenteront un cercle vertueux en favorisant la hausse de la production, qui entraînera l’augmentation des revenus, donc de la consommation, donc de la demande, donc de la production… Tombé en désuétude depuis les années 70, Keynes a été remis au goût du jour par les opposants des politiques d’austérité menées en Europe depuis le début de la crise de la zone euro. Lesquels défendent que seule l’adoption de politiques keynésiennes permettra de relancer l’économie européenne. François Hollande, Elio Di Rupo, Martin Schulz et Matteo Renzi, entre autres, like that. Non sans faire soupirer - "n’importe quoi !" - les partisans d’une politique monétariste destinée à maîtriser l’inflation. Dont l’Allemagne (voire A comme Angela). L'investissement, la Commission Juncker est pour. Elle a même promis de dévoiler un grand plan dans ce domaine, avant la fin de l'année : 300 milliards, étalé sur 3 ans. Cela dit, partant du principe que les Etats ne peuvent pas dépenser l'argent qu'ils n'ont pas, le Team Juncker compte que ce soit le secteur privé qui finance l'essentiel de ce plan, avec l'appui de la Banque européenne d'investissement.
L comme Lobbying . Le lobbying vise à faire valoir, de manière directe ou détournée, son point de vue auprès des décideurs politiques. A ces derniers, ensuite, de faire la balance entre ce qui bénéficie plus aux intérêts particuliers et ce qui bénéficie davantage à l’intérêt général. Entre, par exemple, "fumer des cigarettes au menthol le matin est bon pour la santé car ça dégage les bronches" et "le tabac tue chaque année 700 000 personnes en Europe" . A Bruxelles, on recense environ 15 000 lobbyistes pour 766 eurodéputés et 28 commissaires. Un secteur où les moyens financiers déployés par les multinationales sont sans commune mesure avec ceux des ONG, syndicats et autres associations de la société civile. A défaut d’être rassurant pour le citoyen lambda, c’est bon pour l’immobilier. En Europe, les activités de lobbying sont encadrées de manière très lâche via l’inscription, sur base volontaire, dans un registre et le respect d’un code de conduite. Petit truc pour reconnaître les "agents d’influence" les plus douteux : prononcez le mot "transparence" , ça les fait éternuer.
M comme Monnaie (unique). En circulation depuis le 1er janvier 2002, l’euro est la monnaie commune de dix-huit Etats membres de l’Union (voir Z comme Zone euro). Les illustrations des billets aux couleurs tapageuses (surtout les gros) évoquent l’évolution de l’architecture européenne symbolisée par des édifices et des constructions qui n’existent pas - ce qui a permis d’éviter les débats fastidieux et les fâcheries ( "Et pourquoi on ne mettrait pas l’Atomium plutôt que le Colisée sur les billets de 100 euros, s’il vous plaît ?" ). Les pièces sont, elles, ornées, côté face, par le royal profil de Philippe de Belgique. Sauf dans les autres pays, qui les ont frappées du visage de leur souverain à eux, ou opté, qui pour l’Arbre de vie, qui pour la Porte de Brandebourg, qui pour l’Enlèvement d’Europe, qui pour la harpe celtique. A noter : les pièces de 1 et 2 cents, qui n’existent d’ailleurs pas partout, ne sont pas acceptées par la machine à café.
N comme Non. Réponse fréquemment apportée aux traités européens dans les pays où leur approbation est soumise à un référendum. Les Danois ont ainsi dit nej à Maastricht en 1992. Les Français et les Néerlandais ont coulé le traité constitutionnel en 2005 en votant successivement non et neen . Les Irlandais, qui ont de la suite dans les idées, ont déposé dans les urnes une majorité de bulletins no/nil lors du référendum sur le traité de Nice en 2001 avant de récidiver en 2009 en rejetant celui de Lisbonne. "Non" n’est pas une réponse acceptable pour les dirigeants européens, que chaque refus plonge dans un profond embarras. Une fois qu’ils ont recouvré leurs esprits, les leaders européens développent des trésors de créativité pour favoriser une victoire du "oui" lors d’un second référendum qui ne manquera pas d’être organisé par le pays "fautif". Celui-ci se verra donc accorder des exemptions et/ou des concessions, assorties d’assurances censées calmer les inquiétudes des nonistes, que l’on insérera (les assurances, pas les nonistes) dans des protocoles que personne ne lira. Pour plus de sécurité, on agitera sous le nez des populations récalcitrantes (qui n’avaient évidemment rien compris) une menace imprécise de rétorsion au cas où le "non" viendrait encore à l’emporter. Une autre option consiste à maquiller comme une voiture volée un texte rejeté par référendum (le traité constitutionnel) et à le vendre ensuite comme un nouveau (l’illisible traité de Lisbonne) qui, idéalement, peut être approuvé par voie parlementaire.
O comme Olaf. Non, il ne s’agit pas d’une marque de crème glacée scandinave, mais de l’Office européen de lutte antifraude. Créé en 1999, cet appendice "indépendant" de la Commission européenne a pour mission de lutter contre les trafics, fraudes et actes de corruption en tout genre susceptibles de nuire aux intérêts financiers des institutions communautaires. Au cours de la législature écoulée, l’Office s’est essentiellement illustré par sa créativité juridique. C’est en effet sur base de son rapport concluant à des "preuves circonstancielles non ambiguës" que le commissaire à la Santé, le Maltais John Dalli, a été contraint à la démission, à la suite d’un nébuleux scandale de corruption présumée lié à la révision de la directive tabac. Huit mois plus tard, la justice pénale de son pays a jugé que ces poursuites ne reposaient sur rien. Olaf 0 - Dalli 1.
P comme Préoccupations. Les dirigeants européens sont des gens très préoccupés. Ou, pour le dire en anglais - langue qui écrase les autres langues officielles de l’Union -, ils sont "concerned ". Tout l’art des diplomates européens consiste à qualifier la préoccupation européenne face aux situations conflictuelles dans le monde. Prenons le Conseil des ministres des Affaires étrangères du 12 avril 2011 - un modèle du genre - en plein printemps arabe. A l’époque, le Yémen inspirait un "utmost concern ", la Libye un "deep concern" et Bahrein un "grave concern" . Les Vingt-sept étaient aussi "extremely concerned" par la Syrie, " deeply concerned" par les violences entre Gaza et Israël et à peine " concerned" par le conflit au Nagorno-Karabagh. Quand les crises durent, comme en Ukraine ou en Syrie, l’Union ne cesse de "noter" et "déplorer" . Elle "réaffirme" et "réitère" aussi beaucoup, comme ce 14 avril 2014 : "réaffirme qu’il ne saurait y avoir qu’une solution politique au conflit syrien qui dure depuis plus de trois ans" , "réitère sa ferme condamnation de l’annexion illégale de la Crimée" . Le vocabulaire est étendu mais pas infini non plus.
Q comme Quota. Un vilain mot que voilà ! Popularisés au milieu des années 80 quand il s’est agi de maîtriser les excès de la Politique agricole commune, les quotas sont peu à peu tombés en désuétude afin de stimuler la compétitivité des producteurs face au défi de la mondialisation. De manière générale, les quotas sont des instruments de régulation auxquels on fait appel quand tout va mal, après avoir cru qu’en laissant faire la nature ou le marché, tout irait mieux. En Europe, on trouve, par exemple, des quotas pour garantir la représentation des femmes dans les hautes sphères politiques et économiques ou pour protéger la morue de mer du Nord de la surpêche - deux dossiers en aucun cas liés.
R comme Recommandations (spécifiques par pays).
Passablement ébranlés par la crise de la dette, les Etats membres ont confié à la Commission européenne la mission de scruter avec minutie leurs politiques budgétaires et économiques. Et de leur signaler les problèmes patents ou potentiels qu’ils connaissent déjà. C’est ainsi que, dans le cadre du "semestre européen" (comme on dit en jargon), la Commission adresse au printemps des recommandations spécifiques à chaque capitale, après avoir épluché les programmes de stabilité et les plans de réformes nationaux. Certes, ces recommandations spécifiques n’ont pas de caractère contraignant, mais les gouvernements sont invités à ne pas simplement les considérer comme d’aimables suggestions. Généralement, les partis conservateurs et libéraux estiment que les recommandations vont dans le sens de ce qu’ils préconisent depuis des années (sans le mettre en œuvre). Tandis que les formations de gauche et de centre-gauche jugent que la Commission, aveuglée par son tropisme ultralibéral, n’a rien compris (voir K comme Keynésien), que ses estimations sont fausses et qu’elle pousse bobonne dans les orties. Ainsi, sous l'ancienne Commission, l'ancien président ff. du PS, Paul Magnette, s'est longtemps demandé qui donc était cet Olli Rehn pour se permettre de recommander à la Belgique de revoir son système d’indexation automatique des salaires (voir W comme Who’s who, Paul). On suppose qu'il connaît mieux son successeur, Pierre Moscovici.
S comme Schengen . Socle de la construction européenne, l’espace Schengen couvre aujourd’hui vingt-deux Etats membres et quatre pays associés (l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein). Il vise à faciliter la libre circulation des personnes et des marchandises en supprimant les contrôles systématiques aux frontières internes, tout en renforçant les frontières extérieures de l’Union. Voilà pour la théorie. En pratique, si vous êtes slovaque d’origine rom et pauvre , certains aimeraient que ça vaille moins. De manière générale, les principes de Schengen sont le chiffon rouge des partisans de l’immigration choisie.
T comme Traité(s). Actes juridiques successifs (traités de Rome, Acte unique, traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne, dernier en date) qui définissent (plus ou moins clairement) les objectifs et les compétences de ce qui est devenu l’Union européenne, son fonctionnement, ses processus décisionnels ainsi que les relations entre ses institutions et ses Etats membres. Le contenu final des traités est longuement négocié par les chefs d’Etat et de gouvernement. L’accord est conclu une fois qu’il est acté que personne, autour de la table, n’est tout à fait mécontent, ni pleinement satisfait. Signé (avec un stylo de luxe) par les leaders européens, le traité doit ensuite être ratifié par tous les Etats membres. Le processus de ratification est une épreuve périlleuse - surtout dans les pays où le traité doit être approuvé par référendum (voir N comme Non) - qui s’apparente à une course de 10 000 mètres, avec des haies hautes comme des portes cochères et des fossés remplis de pieux pointus. Car c’est le moment où se réveillent tous ceux qui, jusque-là, n’avaient suivi l’affaire que de loin, pour réclamer une révision de ce qui a été âprement négocié. Heureusement, tout se termine toujours en chanson et les dirigeants européens, qui ont redouté d’y arriver jamais, se promettent de ne pas réitérer l’expérience avant longtemps. Une fois le traité entré en vigueur, il est alors temps de constater son incomplétude et ses imperfections et d’envisager la rédaction d’un nouveau texte, plus complexe que le précédent, dont la lecture sera une punition.
U comme Union (?). Il faut reconnaître que l’appellation Union européenne (UE pour les intimes), en vigueur depuis 1993, a quand même un autre cachet que Communauté (économique) européenne et plus encore que Communauté européenne du charbon et de l’acier. On veillera cependant à ne pas confondre Union et unité, ce que souligne d’ailleurs la devise européenne "Unis dans la diversité" ( "Unis dans la cacophonie" , ironiseront les mauvaises langues). Pas simple en effet de faire coexister, de coordonner, voire d’harmoniser les traditions politiques, économiques, juridiques, sociales culturelles, etc. de vingt-huit (trente demain, trente-cinq après-demain) Etats membres; ni de faire émerger un intérêt européen commun supérieur à la somme d’intérêts nationaux parfois étriqués et divergents. D’autant qu’il y a quasi autant d’avis que d’Etat membres sur ce que doit être l’Union - objet politique pas clairement identifiable dont la nature et le fonctionnement tiennent à la fois du fédéralisme, du confédéralisme et de l’organisation internationale -, ainsi que d’opinions sur ce dont elle doit s’occuper. Point positif : depuis qu’ils sont occupés à débattre du sexe de l’ange européen, les Etats de l’Union ont abandonné cette vilaine manie millénaire de se déclarer la guerre pour un oui pour un non. C’est déjà beaucoup.
V comme Voisinage. La politique de voisinage de l’Union européenne vise à développer et consolider les relations politiques et économiques avec les pays qui se trouvent à ses marches méridionales et orientales - sans non plus les laisser se bercer d’illusion quant à une possible adhésion. A travers divers partenariats, l’Europe cherche à promouvoir la prospérité, la stabilité et (un peu) la démocratie chez ses voisins, afin de se préserver des tumultes qui surviendraient à ses frontières extérieures et de s’ouvrir des marchés, tant qu’on y est. Et cela fonctionne ? Pas trop, non. L’Union pour la Méditerranée est un échec de dimension. Après s’être accommodée des potentats tunisien, libyen, égyptien et syrien, l’Europe n’a pas vu venir le printemps arabe et se révèle incapable d’accompagner le mouvement. Au Proche-Orient, elle n’est pas invitée à jouer les utilités pour tenter de sortir le processus de paix israélo-palestinien du coma. A l’Est, la tentative d’établir un partenariat oriental avec six pays issus de l’ancien empire soviétique, dont l’Ukraine, s’est heurtée frontalement à l’ombrageuse Russie, qui ne veut pas que les Européens viennent jouer dans son jardin. Les relations avec Moscou n'ont plus été aussi tendues depuis la fin de la guerre froide, c'est dire. Même avec ce paisible voisin de l’intérieur qu’est la Suisse, les relations ont viré à l’aigre suite à une votation restreignant la libre circulation des travailleurs européens dans la Confédération helvétique. Bref, ce n’est pas tous les jours la fête des voisins.
W comme Who’s who ? C’est qui, encore, le remplaçant d'Olli Rehn en tant que commissaire aux Affaires économiques et financières ? (Voir R comme Recommandations.) A côté d’Angela Merkel, c’est le Slovaque ou le Maltais ? Et la jolie blonde, c’est qui ? Ah, ce n’est plus Jerzy Buzek, le président du Parlement européen ? Pas toujours simple de savoir qui est qui et qui fait quoi dans le dédale européen. Il faut reconnaître qu’il y a de quoi s’y perdre, entre vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement (et pas toujours les mêmes d’un sommet à l’autre), autant de commissaires européens, 751 eurodéputés, dix formations du Conseil des ministres de l’Union, un Service d’action extérieure, un Comité politique et de sécurité, une Cour de justice (ses 28 juges et 9 avocats généraux), une Cour des comptes (et ses 28 auditeurs), une Banque centrale (et son Conseil des gouverneurs), une Banque d’investissement, une médiatrice européenne, un Comité des Régions, un Comité économique et social, sans oublier des agences européennes en veux-tu en voilà. D’où l’utilité de disposer d’un bon Who’s who doublé d’un trombinoscope (et d’un meuble solide qui supportera le poids d’une telle brique).
X comme XXL. On allait juger les Etats sur leurs mérites, qu’ils disaient. Résultat : dix pays d’Europe centrale (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Slovénie), baltique (Estonie, Lettonie et Lituanie) et méridionale (Chypre et Malte) ont intégré d’un coup d’un seul l’Union le 1er mai 2004. Suivis par la Roumanie et la Bulgarie le 1er janvier 2007, puis la Croatie le 1er juillet 2013. Il n’y avait que le Premier ministre hongrois Viktor Orban, avec lequel nous avions parié une caisse de bouteilles de champagne (ce qui nous permet de le lui rappeler au passage), pour croire les Européens allaient se baser sur le seul mérite des candidats et leur capacité à se conformer au droit européen avant de leur ouvrir les portes de l’Union. Non, l’élargissement aux anciens pays communistes - historique - n’allait pas commencer par une ouverture à quatre ou cinq petits pays très bien préparés. Il allait être XXL, pour une simple et bonne raison : il n’était politiquement pas question de faire attendre le "gros morceau" polonais. Depuis, l’Union européenne digère, pour le meilleur et pour le pire. De part et d’autre, on a vu - pour reprendre une expression de Jacques Delors - que la corbeille de mariée était remplie de roses, mais aussi d’épines.
Y comme Youth (ou Génération Y). Les cadors de l’Union se sont beaucoup préoccupés des jeunes au cours de la législature écoulée. Confrontés au vieillissement de leur population, les Etats membres s’inquiètent, il est vrai, de savoir qui va payer les pensions des futurs seniors. Et comme près d’un quart des jeunes Européens de moins de 25 ans sont aujourd’hui au chômage, c’est mal engagé. Pour mettre au boulot tous ces glandeurs, l’UE a notamment mis sur la table 6 milliards d’euros afin de développer un système de "garantie pour la jeunesse". Ce mécanisme doit permettre aux moins de 25 ans de trouver un job, une formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois qui suivent la fin de leurs études ou la perte d’un emploi. En contrepartie, on attend de ceux-ci qu’ils soient bardés de diplômes, parlent au moins trois langues et acceptent de bosser au rabais pour preuve de leur bonne volonté. Selon certaines estimations, plus de 70 % de la jeunesse européenne devrait s’abstenir lors du prochain scrutin. On peut y voir l’espoir que les 30 % restants continuent à soutenir le projet communautaire. D’autres parleront de syndrome de Stockholm.
Z comme Zone euro .La zone euro compte dix-huit Etats membres. Pour le moment. Car depuis sa création, en 1999, elle s’étend à de nouveaux pays à un rythme régulier. Tous les Etats membres de l’Union sont en effet censés adopter l’euro, tôt ou tard (très tard, dans le cas des Bulgares et des Roumains). Tous, ou presque. Les Britanniques et les Danois ont obtenu une dérogation. Les Suédois ont dit "finalement, non, merci". Les Tchèques et les Hongrois font semblant de rien. Lors des dîners en ville, à l’appellation zone euro (ou à celle, tellement vulgaire, d’eurozone), on préférera celle, plus chic, d’Union économique et monétaire (UEM), au moment de se vanter, entre la poire et le fromage, d’avoir prévu depuis longtemps que cette histoire de monnaie unique allait mal tourner. L’architecture de l’UEM comportait en effet de sérieux défauts de conception, que le déclenchement de la crise de la dette grecque, fin 2009, a exposés sous une lumière crue. Les autres pays de la zone ont dans un premier temps rechigné à voler au secours financier de ces joueurs de bouzouki truqueurs et négligents. Jusqu’au moment où il est apparu qu’un défaut de paiement grec risquait d’entraîner le naufrage de la zone euro dans son ensemble, par effet de contagion. Les Seize-devenus-Dix-neuf ont fini par faire preuve de solidarité financière (avec intérêts et en contrepartie d’impitoyables plans d’austérité) envers la Grèce, puis les autres maillons faibles de l’Union économique et monétaire, à savoir l’Irlande, la Portugal, Chypre et les banques espagnoles, en créant ex nihilo des fonds de secours dotés de centaines de milliards. Dans le même temps, les Européens se sont attachés à consolider l’édifice, en bétonnant les règles de discipline budgétaire et en renforçant la surveillance des déséquilibres macroéconomiques avec la Commission dans le double rôle de Big Brother/Père Fouettard. De son côté, la Banque centrale européenne a sorti son gros bazooka (soit le lancement, si nécessaire, d’un plan massif de rachat de dette publique, qu’alliez-vous imaginer ?) pour tenir les marchés en respect. Les Européens se disent déterminés à transformer la zone euro en "véritable Union économique et monétaire" . L’Union bancaire, dont les contours ont été arrêtés en toute fin de législature, en est la première pierre. La zone euro vogue à présent en eaux plus calmes. Mais le vent de la croissance tarde à se lever.