Pourquoi les Vingt-huit ont choisi Tusk et Mogherini
La désignation du Polonais à la tête du Conseil européen et de l'Italienne au poste de Haute représentante répondent à des impératifs politiques, économiques et stratégiques. Explications.
- Publié le 31-08-2014 à 08h18
- Mis à jour le 31-08-2014 à 22h29
Le “paquet” des nominations a été ficelé en un rien de temps. Dès avant le début du sommet, l’Italienne Federica Mogherini était assurée de prendre la suite de Cathy Ashton à la tête de la diplomatie européenne. Et le (très léger) doute quant à la désignation du polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen a été tôt levé, involontairement, par le titulaire du poste, Herman Van Rompuy. Alors que les caméras filmaient l’arrivée des participants dans la salle de travail, le Belge, ignorant que le micro devant lui était ouvert, a répondu par l’affirmative au Chypriote Anastadiades, qui lui demandait si le choix était arrêté.
Mogherini, à l’usure
La candidature de Federica Mogherini avait pourtant été recalée, le 16 juillet. La quadragénaire était jugée trop inexpérimentée. De plus, la Pologne et les Etats baltes craignaient qu’elle soit trop coulante envers Moscou, en raison de la dépendance italienne au gaz russe. Ce n’est peut-être pas uniquement le contexte ukrainien, qui explique que Rome se soit mis au diapason des autres capitales et ait durci le ton face à la Russie.
Si Federica Mogherini s’est imposée, c’est avant tout parce que le président du Conseil italien, Matteo Renzi, a obstinément refusé de lâcher l’affaire. Le Haut Représentant étant vice-président de la Commission, le Florentin tenait à avoir une personne de confiance “dans la place”, au côté du président Juncker, issu du centre droit. Fort de sa position de “coming man” de la gauche européenne, il a convaincu les dirigeants de son camp de soutenir sa protégée. Amenuisant, du coup, les chances de la sociale-démocrate danoise Thorning-Schmidt pour le Conseil européen.
Le temps, ensuite, jouait en faveur de Federica Mogherini. Le président élu de la Commission doit présenter son équipe dans les prochains jours. Or, la nationalité, la couleur politique et le sexe du HR ont une influence sur l’attribution des autres “gros” portefeuilles.
Combinés, ces éléments ont conduit les Vingt-huit à privilégier l’Italienne à des candidats dotés de plus solides références, comme la commissaire européenne bulgare Kristalina Georgieva ou le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski. Bien que la candidature de ce dernier se soit avérée être un leurre, Varsovie poursuivant une autre ambition : celle d’installer le Premier ministre Tusk dans le siège du président du Conseil européen.
Tusk, question d’équilibre
Les pays d’Europe centrale et orientale entendaient obtenir un poste en vue. Moins pour le symbole, dix ans après l’élargissement de l’Europe à l’Est, que par souci d’avoir à la tête de l’UE quelqu’un à même de saisir les enjeux de la politique étrangère russe pour l’Europe. Dans l’ancien bloc communiste, on a souvent pesté contre la naïveté, sinon la complaisance, des chancelleries occidentales envers Moscou.
Le Luxembourgeois Juncker à la Commission, Federica Mogherini haute représentante, le Conseil européen était promis à une personnalité de l’est de l’Europe, afin de respecter l’équilibre géographique – relatif : le Nord repart encore bredouille. Restait à savoir laquelle, le Letton Dombrovskis et l’Estonion Ansip étant aussi sur les rangs. Avec le désavantage, pour le second, de ne pas être membre, comme Donald Tusk, du Parti populaire européen, poids lourd politique de l’UE, qui visait le poste.
Bien connu de ses pairs – il siège au Conseil européen depuis sept ans – le Polonais a bénéficié de l’image favorable de l’économie polonaise, qui résiste à la crise avec insolence. Qu’il provienne d’un Etat non membre de la zone euro n’était plus vu comme un obstacle d’autant que la Pologne a vocation à y entrer. Son discours sur la nécessité de ne pas relâcher la discipline budgétaire fait écho à celui de Berlin – cela dit, M. Tusk peut s’attendre à être mis sous pression par Paris et Rome, d’un avis contraire. Son profil libéral plaît au Royaume-Uni, qui a poussé sa candidature – mettant au placard le différend entre Londres et Varsovie sur la libre circulation des travailleurs d’Europe centrale et orientale. Samedi soir, Donald Tusk a renvoyé l’ascenseur à David Cameron. “L’UE, et moi personnellement, allons prendre en compte les préoccupations exprimées par le Royaume-Uni”, a assuré le président désigné, soulignant qu’il ne pouvait “imaginer”, un Brexit.
Sur le plan personnel, enfin, cette nomination permet à Donald Tusk de quitter la scène politique polonaise par la grande porte. Plutôt que de courir le risque d’être renvoyé dans l’opposition par son vieux rival, Jaroslaw Kaczynski, l’an prochain.