Frans Timmermans, l'homme fort de la Commission
Si Jean-Claude Juncker a assuré qu’il n’y aurait pas de commissaires "plus égaux que d’autres" et qu’aucun vice-président ne disposerait d’un droit de veto, il en est néanmoins un, parmi les sept membres de sa garde rapprochée, qui disposera d’un pouvoir considérable : le premier vice-président Frans Timmermans. Portrait.
- Publié le 06-10-2014 à 21h31
- Mis à jour le 07-10-2014 à 08h33
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L'homme fort, ce sera Timmermans
(Portrait d'Olivier le Bussy)
Mais quels seront, à la fin, les rôles et les tâches des vice-présidents de la Commission ? Comment s’articuleront leurs relations avec les autres commissaires ? Depuis le début des auditions des commissaires désignés devant le Parlement européen, et plus encore depuis l’entame de celles des vice-présidents ce lundi, ces questions taraudent les eurodéputés. Même si, en présentant son équipe, le 10 septembre dernier, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a assuré qu’il n’y aurait pas de commissaires "plus égaux que d’autres" et qu’aucun vice-président ne disposerait d’un droit de veto.
Il en est néanmoins un, parmi les sept membres de sa garde rapprochée, qui disposera d’un pouvoir considérable : le premier vice-président Frans Timmermans. En charge de la Meilleure réglementation et des Relations institutionnelles, le travailliste néerlandais "pourra arrêter n’importe quelle initiative, dont les initiatives législatives, lancée par un commissaire" s’il juge inutile que l’Union européenne intervienne dans tel ou tel domaine, a précisé Jean-Claude Juncker. Ou si l’initiative va à l’encontre de l’Etat de droit et de la charte des droits fondamentaux, dont Frans Timmermans sera également le gardien.
Européen convaincu, mais réaliste
Que cette mission ait été confiée à un Néerlandais, alors que le gouvernement des Pays-Bas a ouvert une réflexion sur les compétences européennes et le principe de subsidiarité, n’a rien de fortuit. Dans une tribune conjointe avec le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier, publiée par le quotidien allemand "Handelsblatt", Frans Timmermans, alors chef de la diplomatie, écrivait en mars que "l’Europe doit être grande pour les grands problèmes, petite pour les petits" . Message depuis abondamment repris par le président Juncker.
Ne pas en déduire que Franciscus Cronelis Gerardus Maria (appelons-le Frans) Timmermans est imprégné de l’euroscepticisme qui a gagné les Pays-Bas ces dernières années.
Né à Maastricht-la-frontalière, le 6 mai 1961, il présente plutôt le profil d’un homme qui a opéré la parfaite synthèse entre son identité nationale - locale, même, pour ce petit-fils de mineur limbourgeois, et fier de l’être - et son identité européenne.
L’homme de Heerlen a vécu en Belgique, en Italie et a étudié le droit européen et la littérature française à Nancy. Outre le néerlandais (et plusieurs dialectes limbourgeois), ce diplomate de formation, grand supporter du Roda JC, parle couramment le français, l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol. De même que le russe, appris lors de son service militaire dans les renseignements néerlandais - où il a été formé à interroger les (éventuels) prisonniers de guerre russes - puis pratiqué en tant que secrétaire de l’ambassade des Pays-Bas à Moscou.
Né diplomate, ou presque
Frans Timmermans fut également collaborateur du commissaire européen Hans van den Broek au début des années 90, avant de devenir le conseiller de son mentor Max van der Stoel, Haut commissaire pour les minorités nationales à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
La diplomatie est le fil rouge de la carrière de ce père de quatre enfants, nés de deux mariages. Il faut dire qu’il est tombé dedans quand il était petit. Il a accompagné son père, officier de sécurité de la diplomatie néerlandaise, au gré de ses affectations, à Bruxelles, puis à Rome. C’est dans la capitale italienne que Frans Timmermans vécut un des épisodes les plus sombres de son existence, lorsqu’il fut abusé par un prêtre. Un outrage que ce catholique rendit public en 2002, pour encourager les victimes à témoigner, au moment où l’Eglise néerlandaise tentait de minimiser un scandale de pédophilie.
"Le bras droit" de Juncker
Elu député du Parti travailliste en 1998, Frans Timmermans intégra l’exécutif de 2007 à 2010, en tant que secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères du gouvernement du chrétien-démocrate Balkenende. Lorsque le PvdA revint aux affaires, en novembre 2012, le libéral Rutte le nomme grand manitou de la diplomatie néerlandaise.
Du passage sur la scène politique néerlandaise du Limbourgeois, dont partisans et adversaires vantent la culture et l’envergure intellectuelle, on retiendra notamment ses passes d’armes avec le populiste et xénophobe Geerts Wilders. Mais aussi le discours vibrant d’émotion qu’il prononça l’été dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, après qu’un avion de la Malaysia Airlines, transportant 193 ressortissants néerlandais, a été abattu par un missile dans l’est de l’Ukraine.
Eu égard à son CV, Frans Timmermans ambitionnait de succéder à Catherine Ashton au poste de Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union. L’Italienne Mogherini lui a brûlé la politesse. Mais Jean-Claude Juncker lui a offert bien plus qu’un lot de consolation. "Il sera mon bras droit."
La journée européenne
Alenka Bratusek, hors concours…
Après l’audition chahutée du candidat désigné au Climat et à l’Energie, Miguel Arias Cañete, on attendait avec curiosité l’accueil qui serait réservé par les eurodéputés à Alenka Bratusek, pressentie pour le poste de vice-présidente de la Commission en charge de l’Union énergétique. D’aucuns prédisaient à l’ex-Première ministre slovène un examen de passage difficile, en raison des conditions obscures qui entourent sa candidature de commissaire - une autodésignation, affirment ses détracteurs -, alors même qu’elle a été poussée à la démission par son propre parti politique. Des critiques qu’elle a balayées d’un revers de manche.
…et déconnectée
Mais là n’est finalement pas l’essentiel. Alors que le portefeuille qui lui est confié constitue une pierre angulaire de la politique de Jean-Claude Juncker, Mme Bratusek s’est montrée incapable d’apporter des réponses un tant soit peu convaincantes sur les contours de son (peut-être) futur job et les initiatives qu’elle envisageait de prendre dans ce cadre. Tout au plus a-t-elle expliqué que l’UE devait soigner son indépendance énergétique en renforçant son marché intérieur et ses infrastructures d’interconnexion, en misant sur les économies d’énergie et le renouvelable. Bien, mais un peu court. A part cela, l’intéressée a beaucoup répété qu’elle s’excusait de se répéter souvent.
Pourtant membre du même groupe politique que Mme Bratusek, l’eurodéputée belge Frédérique Ries s’est ainsi fendue de ce tweet assassin : " Ses réponses manquent de substance, j’ai mal pour elle !" Pas mieux.
Mogherini déroule
Obtenue au forceps par Matteo Renzi, la nomination de Federica Mogherini au poste de "ministre des Affaires étrangères" de l’Union européenne avait suscité un certain scepticisme en raison de son inexpérience. Qu’à cela ne tienne, l’Italienne a probablement rassuré tout son monde lors de son audition ce lundi. Jonglant avec aisance entre l’anglais, le français et l’italien, la charmante Mme Mogherini a affiché, sans être guère bousculée il est vrai, la maîtrise de ses dossiers et juste ce qu’il faut de non-dit. Une vraie diplomate.