Les frappes aériennes contre l'EI montrent leurs limites
Le long assaut de la petite ville kurde syrienne de Kobané (Aïn al Arab) l’atteste : les frappes aériennes de la coalition militaire internationale ne parviennent pas à faire reculer ni renoncer l’Etat islamique. Éclairage sur les échecs de ces raids éclairs.
- Publié le 06-10-2014 à 20h56
- Mis à jour le 07-10-2014 à 08h39
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KLUM4X72RJHQFEKAT3R4ZA4WCY.jpg)
Le long assaut de la petite ville kurde syrienne de Kobané (Aïn al Arab) l’atteste : les frappes aériennes de la coalition militaire internationale ne parviennent pas à faire reculer ni renoncer l’Etat islamique. "C’est une stratégie faite pour contenir et affaiblir", analyse le géostratège Gérard Chaliand, spécialiste des conflits internationaux. "C’est donc une stratégie limitée qui vise à empêcher toute nouvelle offensive, comme celle de juin; à gêner considérablement la liberté d’action et de déplacement de cette organisation dans des pays désertiques et plats; et à détruire ses sources de financement, dont le pétrole."
Ces raids aériens éclairs frappent "les points clés des forces de l’ennemi sur l’ensemble d’un théâtre d’opérations : ses dépôts de munitions, ses aérodromes (s’il a des avions), ses casernements et puis, par tache d’huile, l’infrastructure qui fait vivre le pays, donc les centrales électriques, etc. C’est ce qui a été fait dans les Balkans contre la Serbie, et aussi en Libye contre Kadhafi", détaille le général français Jean-Claude Allard, aujourd’hui directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à Paris.
Mais "cette stratégie n’est pas efficace contre une armée du type de celle de l’Etat islamique", affirme l’ancien officier à la direction opérationnelle des armées, "parce que c’est une armée qui est sortie de la clandestinité, qui a récupéré du matériel et qui s’est réorganisée en une armée à peu près conventionnelle, avec des chars, etc. Mais dès qu’elle a vu qu’elle était frappée à cause de la formalisation de sa force, elle s’est repliée dans la semi-clandestinité, pour se cacher et se protéger au cœur des villes et des populations."
A Kobané, dit M. Allard, il y a aussi "une extrême difficulté pour réaliser le ciblage, donc la recherche et l’identification des cibles à frapper. Et puis, si une cible militaire est enchâssée dans un faubourg d’une ville, on va s’empêcher de la frapper".
Pas d’objectif clair
Ce profil de "guérillero" aujourd’hui adopté par les combattants de Daech complique la situation. "Pour combattre une guérilla de ce type, il faut aller au sol", indique le général, sans aller jusqu’à préconiser cette option.
Des combattants au sol pour une offensive généralisée contre Daech, Gérard Chaliand n’y croit pas. "Du côté occidental, il n’y en aura pas : les Américains ont dit qu’ils n’en voulaient pas, les Européens n’en ont pas les moyens. Quant aux pays arabes et à la Turquie, ils ne feront rien en dehors de ce qui est dans leurs intérêts propres."
Et, surtout, "il n’y a pas d’objectif clair", observe le général Allard. "On a l’impression que l’on réagit pour faire quelque chose sur le moment. Or, la montée en puissance de l’Etat islamique est connue depuis longtemps", souligne le haut gradé. "On doit savoir que tout Etat failli - donc à partir du moment où un gouvernement n’assure plus la gouvernance sur son pays - sera la proie des forces islamistes. Cela s’est passé en Libye, au nord de la Centrafrique, au nord du Mali où cela recommence malgré l’intervention (française, NdlR), en Syrie, Irak, dans une partie du Liban."
L’ex-secrétaire américain à la Défense (et ex-patron de la CIA) Leon Panetta a estimé lundi, dans un entretien accordé au quotidien "USA Today", que la lutte contre l’organisation jihadiste pourrait durer trente ans.
"Je ne mets pas de date, mais ce sera un conflit prolongé", estime M. Chaliand. "Cela continuera tant que l’idéologie de type jihadiste enflammera une partie des jeunes. A mesure que les échecs vont s’accumuler, l’appel peut devenir de moins en moins excitant."