Rabat s’attaque au recrutement des réseaux jihadistes
Au Maroc, un projet de loi incrimine tous ceux qui tenteront de rejoindre un groupe terroriste, d’enrôler d’autres personnes ou de suivre un entraînement. Il signe un virage dans la politique marocaine de lutte contre le jihadisme. Eclairage.
Publié le 09-10-2014 à 17h23 - Mis à jour le 10-10-2014 à 09h20
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Maroc Un projet de loi incrimine ceux qui tentent de rallier un groupe terroriste ou les aident.Jusqu’ici, le Maroc préférait laisser partir (les prétendants jihadistes) plutôt que de les garder car, de toute façon, ce sont des gens qui auraient fini pas agir où que ce soit. A présent, le Maroc veut s’attaquer aux nouvelles cellules qui pourraient se former", explique Romain Caillet, doctorant associé à l’Institut français du Proche-Orient et spécialiste du jihadisme marocain. Le projet de loi n°86.14, qui amende les dispositions du code pénal relatives à la lutte contre le terrorisme, sera l’un des premiers à être voté à la rentrée parlementaire marocaine, mi-octobre.
Le texte, déjà adopté par le gouvernement le 18 septembre, incrimine tous ceux qui tenteront de rejoindre un groupe terroriste, d’enrôler d’autres personnes ou de suivre un entraînement. Il signe un virage dans la politique marocaine de lutte contre le jihadisme.
Selon les informations qui ont filtré de l’exposé du patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), Mohamed Yassine El Mansouri, devant le Comité contre le terrorisme des Nations unies où il est intervenu le 30 septembre, 1 193 Marocains combattent pour l’Etat islamique. Après avoir laissé les jihadistes marocains quitter le pays, puis les avoir systématiquement arrêtés et condamnés à plusieurs années de prison lorsqu’ils remettaient les pieds au Maroc, l’Etat marocain se donne à présent toute latitude pour s’attaquer à l’amont des réseaux jihadistes.
Un projet flou et général
"Tout a changé depuis que le porte-parole de l’EI a appelé tous ses sympathisants de par le monde à frapper leurs ennemis, la veille de l’enlèvement du Français Hervé Gourdel en Algérie, le 20 septembre. L’EI passe d’une stratégie locale focalisée sur la Syrie et l’Irak, à une stratégie globale. Parmi les pays visés dans le communiqué, le porte-parole a désigné le Maroc", explique Romain Caillet.
En juillet, le ministère de l’Intérieur avait déjà relevé le niveau d’alerte. En août, un voyant et puissant dispositif militaire anti-aérien avait encore été disposé le long de la côte atlantique et même en plein cœur de Casablanca. Récemment, le Maroc a encore donné la preuve qu’il sera capable d’employer les nouvelles dispositions du code pénal : "Les forces de sécurité (d’Espagne et du Maroc) ont démantelé une cellule terroriste (dénommée Ansar l’État islamique au Maghreb Al-Aqsa, NdlR) dont les membres étaient actifs à Nador et Melilla dans le but de recruter des combattants pour le compte de l’organisation Etat islamique en Syrie et en Irak", a annoncé, vendredi 26 septembre, le ministère de l’Intérieur marocain.
Le projet de loi qui doit renforcer les capacités du Maroc dans cette lutte pose pourtant problème tant il est flou et général. "Le fait de se rallier ou de tenter de se rallier individuellement ou collectivement, dans un cadre organisé ou non, à des entités, organisations, bandes ou groupes, terroristes" sera puni de "cinq à quinze ans (de prison) et d’une amende de 50 000 à 500 000 dirhams", stipule l’un des amendements au code pénal.
Apologie du terrorisme
"Le législateur a réduit l’infraction à la seule intention, au risque de faire fi de l’élément matériel", s’inquiète Rida Benotmane, militant de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). "La majorité des actes incriminés dans ce projet permet aux autorités de bénéficier d’un large pouvoir d’appréciation pour transformer des actes de droit commun en actes terroristes, ce qui constitue une menace sérieuse pour les libertés publiques et les droits des accusés", estime également Lhoussain Azergui, auteur du livre "Le Maroc face à l’islamisme" et militant des droits des Amazighs.
Les personnes reconnues coupables d’"apologie du terrorisme" risqueront les mêmes peines, selon l’amendement prévu à l’article 218-2 du code pénal. Il "doit gagner en précision afin de protéger la presse et pour ne pas se retrouver avec une nouvelle affaire Anouzla", insiste Omar Bendjelloun, avocat du journaliste Ali Anouzla. Ce dernier, connu au Maroc pour ses enquêtes très critiques vis-à-vis de la monarchie, est poursuivi depuis un an pour apologie du terrorisme après avoir mis en lien, dans l’un de ses articles, une vidéo d’Aqmi appelant à commettre des attentats au Maroc
Les risques portés par le projet de loi n’ont rien de virtuels. "Déjà, après les attentats de 2003, le projet de loi antiterroriste, que nous étions parvenus à bloquer auparavant avec le soutien de plusieurs groupes parlementaire, a été voté. Il allonge la durée de la garde à vue, les possibilités d’écoutes, les surveillances…", se rappelle Abdelilah Benabdeslam, vice-président de l’AMDH. Par la suite, des centaines de salafistes avaient été arrêtés, emprisonnés, et condamnés parfois sur la base de procès inéquitables.