L'Etat islamique prend le QG kurde à Kobané, l'ONU craint un "massacre"
La progression du groupe radical n'a pu être freinée par les frappes de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. L'Etat islamique a assassiné ce vendredi un journaliste irakien.
Publié le 10-10-2014 à 21h10 - Mis à jour le 10-10-2014 à 00h03
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Le groupe Etat islamique a pris vendredi le QG des forces kurdes à Kobané et s'est rapproché de la frontière avec la Turquie, l'ONU mettant en garde contre un "massacre" si la ville syrienne tombait aux mains des jihadistes.
Depuis son entrée lundi dans cette ville kurde stratégique du nord syrien, l'EI en a pris 40%, se frayant un chemin vers sa périphérie nord, à près d'un kilomètre de la frontière turque.
La progression du groupe radical n'a pu être freinée par les frappes de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, insuffisantes pour sauver la ville de l'aveu même des responsables militaires américains.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), les jihadistes ont chassé vendredi de leur QG dans le nord de Kobané les combattants kurdes moins nombreux et moins bien armés.
"Ils ont pris le contrôle du 'carré de sécurité'", qui abrite le complexe militaire des Unités de protection du peuple (YPG, principale milice kurde syrienne), le siège du conseil local et la base des Assayech (forces de sécurité kurde), d'après l'ONG, qui précise que des raids de la coalition ont frappé quatre positions dans ce secteur.
Toujours dans la même zone, l'EI a perpétré un attentat suicide, tuant deux combattants kurdes, selon la même source.
Les jihadistes se rapprochent de plus en plus du poste-frontière avec la Turquie, qu'ils cherchent à prendre pour assiéger totalement la ville, mais ils progressent aussi par le sud et l'ouest de Kobané. Des combats très violents ont eu lieu en outre dans l'est de la ville.
Depuis le côté turc de la frontière, une journaliste de l'AFP a entendu des bruits d'armes automatiques et d'obus de mortier et vu d'épaisses fumées au-dessus de la ville.
L'ONU craint un "massacre"
A Genève, l'émissaire spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan De Mistura, a dit craindre un "massacre" semblable à celui de Srebrenica dans l'ex-Yougoslavie.
Selon lui, jusqu'à 700 civils se trouvent encore dans le centre-ville, dont une majorité de personnes âgées, et entre 10 à 13.000 autres sont rassemblées tout près de la frontière. Si la ville tombe, ces civils seront "très probablement massacrés", a-t-il averti.
Il a en outre appelé la Turquie, qui interdit aux Kurdes syriens réfugiés en Turquie de repasser la frontière, à "autoriser le flot de volontaires à entrer dans la ville pour soutenir son action d'autodéfense".
Mais le ministre turc des Affaire étrangères, Mevlut Cavusoglu, interrogé par France 24, a estimé que renvoyer des civils vers la guerre était "un crime".
Le chef du principal parti politique kurde de Syrie a lui pressé la Turquie de laisser passer des armes.
"Ce serait très bien qu'elle ouvre le plus vite possible sa frontière au passage d'armes", a déclaré à l'AFP Salih Muslim, président du Parti de l'union démocratique (PYD).
Mais dans une interview à la télévision Al-Mayadeen basée à Beyrouth, il s'est opposé catégoriquement à une entrée de l'armée turque à Kobané, qui s'apparenterait selon lui à une "occupation".
Selon Mustafa Ebdi, un militant kurde interrogé par l'AFP qui effectue des allers-retours entre la Turquie et Kobané, les forces kurdes, de plus en plus désespérées, voient leurs munitions diminuer et réclament plus de frappes contre le groupe extrémiste.
"Certains combattants m'appellent en pleurant", confie-t-il, en expliquant les jihadistes ont désormais recours à la ruse, en mettant notamment "des drapeaux kurdes sur leurs véhicules pour leurrer les avions".
La Turquie est également l'objet de pressions pour son implication dans la lutte contre les jihadistes de la part de Washington, qui a envoyé jeudi et vendredi à Ankara le patron de la coalition internationale, le général américain à la retraite John Allen.
"La Turquie est d'accord pour soutenir les efforts d'entraînement et d'équipement pour l'opposition syrienne modérée", a déclaré à ce sujet la porte-parole du département d'Etat Marie Harf.
Ankara conditionne sa participation à la lutte anti-EI à la création d'une zone tampon -visant à protéger les secteurs tenus par la rébellion modérée contre le régime syrien et les populations fuyant la guerre-. Mais cette proposition n'est pas à l'ordre du jour selon Washington et l'Otan.
Les Etats-unis accueilleront en outre la semaine prochaine une réunion des chefs militaires de la coalition.
Profitant de la guerre civile qui ravage la Syrie depuis plus de trois ans, l'EI s'est emparé de larges pans de territoires dans le nord et l'est du pays.
Le groupe extrémiste, fort de dizaines de milliers d'hommes, contrôle en outre de grandes zones dans l'Irak voisin, où il a exécuté treize personnes vendredi, dont un journaliste irakien.
Le groupe Etat islamique exécute un journaliste irakien
Le groupe Etat islamique (EI) a exécuté vendredi en public un caméraman irakien, son frère et deux autres civils dans un village au nord de Bagdad, a indiqué un membre de la famille de la victime.
L'EI a par ailleurs exécuté vendredi dans le nord du pays neuf personnes qu'il soupçonnait de liens avec des groupes sunnites anti-jihadistes, selon des sources de sécurité et des témoins.
Les jihadistes ont tué Raad al-Azzawi, un caméraman de 37 ans qui travaillait pour la chaîne de télévision locale Sama Salaheddine, et les trois autres personnes à Samra, à l'est de la ville de Tikrit.
"L'EI l'a exécuté lui, son frère et deux autres personnes aujourd'hui en public", a indiqué un membre de la famille parlant sous couvert de l'anonymat.
Selon l'organisation Reporters sans frontières, ce journaliste, père de trois enfants, avait été enlevé par le groupe jihadiste le 7 septembre.
"Ils sont venus chez lui et l'ont emmené avec son frère", selon le membre de la famille. "Il n'a rien fait de mal, son seul crime a été d'être caméraman, il faisait juste son métier".
"Il y a dû y avoir des gens dans le village qui l'ont accusé de travailler pour le gouvernement et qui l'ont dénoncé aux jihadistes", a-t-il ajouté.
Selon un communiqué de RSF le mois dernier, l'EI avait menacé d'exécuter le caméraman sous prétexte qu'il avait refusé de travailler pour le groupe.
L'UE appelle à renforcer la coopération internationale
L'Union européenne a appelé vendredi à renforcer la coopération internationale dans la lutte contre le groupe Etat islamique. "Nous sommes profondément préoccupés par la situation sécuritaire et humanitaire à Kobané et dans le reste de la région kurde auto-proclamée en Syrie", écrit dans un communiqué le porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton.
"Les habitants de Kobané ont démontré à la communauté internationale leur détermination à utiliser tous les moyens pour protéger leurs droits fondamentaux et leurs valeurs, et à résister à l'oppression", a-t-il ajouté.
L'UE "condamne fermement le groupe Etat islamique et son offensive à Kobané, et reste déterminée à jouer pleinement son rôle dans le combat contre l'EI", a-t-il poursuivi.
"L'UE, la Turquie et les autres partenaires régionaux et internationaux doivent coopérer davantage, pour isoler et contenir la menace de l'EI", et l'UE "continue à soutenir pleinement les efforts diplomatiques de l'émissaire spécial de l'ONU pour la Syrie Staffan De Mistura en vue d'une solution politique en Syrie", a-t-il insisté.
Ce dernier a dit vendredi craindre "un massacre" et appelé la Turquie à autoriser les Kurdes syriens réfugiés en Turquie à repasser la frontière pour aller combattre afin de défendre la ville.
L'UE se dit par ailleurs "très préoccupée par les récentes violences en Turquie", liées à la situation en Syrie, "et par les pertes de vies humaines", et appelle "toutes les parties au dialogue". Elle "travaille aux détails d'un nouveau plan d'aide important" dans la région.
Réunion aux USA mardi des chefs militaires de la coalition anti-EI
Les chefs militaires de 21 pays de la coalition menée par les Etats-Unis pour lutter contre le groupe Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie se réuniront mardi à Washington, selon un responsable américain de la Défense vendredi.
Le plus haut gradé de l'armée américaine, le général Martin Dempsey, et le commandant pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale, le général Lloyd Austin, "ont convoqué une réunion de plus de 20 chefs militaires étrangers la semaine prochaine dans la capitale fédérale Washington pour discuter des efforts de la coalition dans la campagne actuelle contre l'EI", a indiqué un responsable de la Défense sous couvert d'anonymat. Cette réunion extraordinaire aura lieu mardi à la base aérienne d'Andrews, dans la banlieue de Washington.
Elle rassemblera des représentants de tous les partenaires européens de la coalition ainsi que des cinq pays arabes qui jouent un rôle actif dans les frappes aériennes menées par contre l'EI --Bahreïn, Jordanie, Qatar, Arabie saoudite et Emirats arabes unis--, ont précisé des responsables américains à l'AFP. L'Australie devrait également envoyer son chef militaire, ont-ils ajouté. Cette rencontre intervient alors que la campagne aérienne menée contre les jihadistes ultra-radicaux de l'EI est entrée dans son troisième mois en Irak et dans sa troisième semaine en Syrie. Vendredi, les Etats-Unis ont dit redouter des attentats contre des intérêts occidentaux à travers le monde, en représailles aux opérations militaires contre l'EI.