Des instituts Confucius au rachat du Club Med, la Chine à la conquête de l’Europe
La Chine a commencé à investir à son tour hors de ses frontières. Le phénomène est encore modeste, en dépit de quelques coups médiatiques spectaculaires, mais il est appelé à prendre de l’ampleur et, dans cette stratégie pékinoise, l’Europe est une cible prioritaire. Explications au travers du livre "L’Offensive chinoise en Europe" de Philippe Le Corre et Alain Sepulchre.
Publié le 16-02-2015 à 15h38 - Mis à jour le 16-02-2015 à 15h39
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Le rachat du Club Med par un investisseur chinois, confirmé la semaine dernière, a rappelé la puissance de la Chine et la volonté de ses acteurs économiques de s’internationaliser. La Chine, qui a bâti sa phénoménale croissance des trois dernières décennies en attirant massivement des investissements étrangers et est ainsi devenue la première destination des "foreign direct investments" (FDI) dans le monde, a en effet commencé à investir à son tour hors de ses frontières.
Le phénomène est encore modeste, en dépit de quelques coups médiatiques spectaculaires, mais il est appelé à prendre de l’ampleur et, dans cette stratégie pékinoise, l’Europe est une cible prioritaire. C’est ce que montrent Philippe Le Corre et Alain Sepulchre dans "L’Offensive chinoise en Europe" (Fayard). Le premier est un ex-correspondant de la presse française en Asie, le second un ancien cadre belge de Total en Chine. Tous deux travaillent dans la recherche et la consultance.
Ces auteurs conjuguent leurs expériences respectives pour analyser la montée en puissance de la Chine sur la scène européenne. Ils retracent des épisodes connus (comme la colonisation de la petite ville toscane de Prato par des immigrants venus de Wenzhou ou la pénétration chinoise dans les Balkans à la faveur de la crise grecque), mais en cernent d’autres qui le sont moins comme ce singulier intérêt de Pékin pour le Portugal - au-delà de Lisbonne, c’est un marché de 220 millions de lusophones que convoite la Chine, amenée à relancer avec les Portugais des échanges noués… il y a cinq siècles à Macao.
L’enquête est bien sûr l’occasion de présenter ces "multinationales (chinoises) d’un genre nouveau" qui partent à la conquête du monde, les Fosun, Haier, Lenovo, Wanda, Huawei, Dongfeng et autres Alibaba. Les auteurs esquissent une comparaison entre ces groupes chinois et les multinationales occidentales, japonaises, coréennes et chinoises de Hong Kong.
Le Corre et Sepulchre décrivent aussi le parcours de ces capitaines d’industries, pour la plupart âgés de 45 à 70 ans, originaires le plus souvent de provinces pauvres et reculées, partis de rien, mais dotés d’une force de travail peu commune. Des opportunistes aussi, qui ont racheté à vil prix les bases de leurs futurs empires (les débris d’une industrie communiste hâtivement privatisée), et que rien ne semble pouvoir arrêter - hormis peut-être les aléas de la vie politique à Pékin, rythmée aujourd’hui par une campagne contre la corruption assez sélective.
Ces colosses ne sont, toutefois, pas sans faiblesses. L’une d’elles est la résistance à l’ouverture multiculturelle qu’impliquent des acquisitions à l’étranger. Les managers chinois répugnent à partager le pouvoir avec des étrangers et ne font que difficilement confiance à leur personnel non chinois.
L’ouvrage dépasse précisément les enjeux strictement économiques pour embrasser la problématique plus générale du "soft power" chinois, l’ensemble des moyens que Pékin met en œuvre pour séduire et influencer ses "amis" étrangers.
Au cœur du système, les quelque six cents instituts Confucius qui, sous couvert de promouvoir l’apprentissage de la langue chinoise, servent surtout à transmettre la bonne parole du parti communiste au sein même des universités étrangères. Cette intention est devenue au demeurant si transparente que, des Etats-Unis à la France, la cohabitation a plus d’une fois tourné au vinaigre, les autorités académiques ne se résignant plus toujours à sacrifier tout ou partie de leur indépendance pour prix de la généreuse assistance financière de Pékin.
Quand les auteurs concluent que l’image de la Chine partie à l’assaut de l’Europe est "perfectible", cela ressemble donc bel et bien à un euphémisme.
-> Philippe Le Corre et Alain Sepulchre, "L’Offensive chinoise en Europe", Paris, Fayard, 2015, 195 pp., env. 17 €.