Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga: "J'ai un mandat à terminer"
Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, épié de toutes parts dans la perspective des présidentielles de 2017... Rencontre.
- Publié le 20-02-2015 à 18h18
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Kasumbalesa, poste frontière entre la Zambie et la République démocratique du Congo. Sur des kilomètres, les camions sont agglutinés en attendant le sésame qui leur permettra de franchir la douane, véritable tiroir-caisse pour le Congo. “En moyenne, ici, ce sont près de 80 millions de dollars qui rentrent chaque mois dans les caisses de l'Etat”, explique Mike Katende, fonctionnaire de cette institution. Ce jeudi, toute la frontière a été prise de court par la visite imprévue du gouverneur Moïse Katumbi. “Je n'étais pas encore venu depuis mon retour. Si j'avais signalé mon passage, tout aurait été frotté, nettoyé, récuré. Je préfère leur faire la surprise. Pendant mes voyages en Europe, en un mois, les rentrées du poste frontière ont diminué de près de 50%. Etonnant, non ?”, lâche-t-il en observant tout le personnel qui se trouve dans la salle de contrôle hyper moderne.
Justement parlons-en de votre absence. Elle a duré plusieurs mois, toutes les rumeurs ont couru. On vous a annoncé partout. A Londres, Bruxelles, Paris et même Lourdes...
Pour les rumeurs, il est vrai que je me suis rendu à Londres pour des examens de santé suite à un empoisonnement. Mais je vais bien. Pour ce qui est des déplacements, je ne me cache pas. Oui, je suis allé à Lourdes. Je suis chrétien, je suis catholique et dès que j'en ai la possibilité, je fais mon pèlerinage.
Votre rentrée, le 23 décembre à Lubumbashi n'est pas passée inaperçue. Vous avez lancé une mise en garde à peine voilée au président Kabila pour qu'il ne soit pas tenté de changer la Constitution et de s'imposer pour un troisième mandat non admis dans l'actuelle loi fondamentale.
Quand je suis rentré d'Europe, il y avait des dizaines de milliers de personnes qui m'attendaient à la sortie de l'avion. Ils attendaient que je parle. Je suis gouverneur, je suis démocrate et j'ai dit ce que je pensais.
Pourquoi avoir utilisé l'image des penalties et du troisième qui ne serait pas accepté en référence au troisième mandat?
D'abord le fait de parler en images fait partie de la culture congolaise et, plus généralement africaine. Ensuite, regardez dans la Bible, toutes les paraboles, ce sont aussi des formes d'images. Je savais ce que je faisais. Une fois de plus, on est en démocratie et on peut donc tout dire. La liberté d'expression est un acquis fondamental. A ceux qui m'écoutent d'interpréter ce que j'ai dit. Je ne renie rien.
Il s'agissait d'une mise en garde au président Kabila ?
Notre Congo est un pays immense mais très fragile. C'est encore une jeune démocratie. Elle a à peine dix ans. Ce qui est fondamental à mes yeux, c'est que tout le monde respecte la Constitution. Maintenant, la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) a sorti son calendrier qui doit notamment amener aux élections municipales et présidentielles mais aussi provinciales. Il est temps que ces scrutins aient lieu. Cela fait 3 ans que mon mandat de gouverneur est terminé et pourtant je suis toujours en place faute de nouvelles élections. Ce n'est pas sain pour la bonne marche de la démocratie. Vous remarquerez d'ailleurs que le président Kabila n'a jamais déclaré qu'il allait changer la Constitution. Finalement, il y a eu beaucoup de palabres pour rien. Dans une jeune démocratie, il faut éviter les dérapages qui sont souvent synonymes de violences. A Kinshasa et dans le Nord-Kivu, il y a eu des morts en ce début d'année quand certains ont voulu voter une loi qui liait les élections au recensement. On ne règle rien en essayant de passer en force ou par la violence.
Vous pensez que le calendrier de la Ceni est tenable avec des élections urbaines, municipales et locales le 10 décembre 2015 et la présidentielle et les législatives le 27 novembre 2016?
Il y a des contraintes. Elles ont déjà été signalées. Il faut que tout le monde, majorité, opposition, société civile et Eglise, se mette autour de la table pour tenter de trouver des solutions. Il faut aussi y associer les bailleurs de fonds internationaux.
Vous ne craignez donc pas un report vu le timing serré ?
La Ceni ne parle nulle part de report. Elle a fixé les dates et il n'y a aucun report en vue.
Un scénario à la Burkina Faso est-il envisageable ?
Plus maintenant. Au Burkina, le pouvoir a voulu changer la Constitution. Ici, en RDC, on a dépassé ce stade. Tout est sur les rails dans le cadre de notre Constitution.
Vous êtes candidat à la présidentielle?
(Sourire) Je suis encore gouverneur de la province du Katanga. J'ai encore énormément de travail à accomplir en peu de temps. Il reste un peu moins de deux ans au président Kabila pour achever son travail dans le cadre de son mandat légitime. Terminons nos mandats et retroussons-nous les manches pour sortir le peuple congolais de la misère.
Une fois votre mandat terminé, vous serez candidat ?
J'ai un mandat à terminer avant de penser à autre chose.
Que vous le vouliez ou non, certains vous considèrent déjà comme le principal candidat à la présidentielle et les attaques commencent à fuser...
J'ai l'habitude des attaques. Ce fut le cas en 2006. En 2009, j'ai même eu droit à un procès en Europe. Cela doit faire partie du jeu politique.
On vous reproche notamment le fait que le Katanga soit une région immensément riches et que la population y soit pourtant toujours aussi pauvre?
C'est la réalité. Mais le gouverneur n'a pas tous les pouvoirs. Je tente chaque jour d'améliorer le quotidien des Katangais. Le sous-sol de la province n'a pas attendu que je devienne gouverneur pour être aussi riche. Moi, j'ai essayé de développer ma province avec le budget dont je dispose. Quand je suis arrivé, le Katanga était, avec les mêmes richesses, le troisième contributeur de l'Etat. Deux ans plus tard, nous sommes devenus le premier. Mais nous ne recevons rien en retour. Légalement, l'Etat central doit rétrocéder 40% de ce que les provinces perçoivent. Désormais, nous faisons rentrer entre 4 et 5 milliards de dollars par an. Le retour de Kinshasa est quasiment nul. Maintenant que la guerre dans l'est est finie, j'espère que nous pourrons enfin recevoir ce qui nous est dû, soit 2,7 milliards de dollars. On m'attaque aussi sur les contrats miniers. Mais ce n'est pas la province qui les accorde, c'est l'Etat central. La redevance minière, c'est aussi dans l'escarcelle de l'Etat central. Grâce au Katanga, le Congo est devenu le deuxième producteur mondial de cuivre mais nous ne percevons pas les dividendes de nos efforts. La route qui permet d'évacuer toutes ces richesses, nous l'avons faite construire avec les fonds de la province. Fonds obtenus grâce au péage routier. Une fois encore, le péage existait avant que j'arrive. Il rentrait 300 000 dollars par mois. Aujourd'hui, avec une bonne gestion et une chasse à la fraude, nous faisons rentrer 6 millions par mois dans les caisses de la province sans avoir augmenté les tarifs et avec moins de camions. Ça situe le niveau de la fraude qui existait auparavant.
On vous reproche aussi l'insécurité qui règne dans votre province.
L'insécurité est un vrai souci au Katanga. Le problème, c'est l'impunité. Gédéon (Ndlr : le leader Maï Maï de la milice des Kata Katanga) s'est évadé, le 7 novembre 2011, en pleine journée de la prison de Lubumbashi. Entre 2006 et 2011, la province a vécu en paix. Depuis son évasion, on connaît beaucoup de troubles. Plus de 500 000 personnes ont dû fuir leur territoire par la faute de ces conflits, des centaines de personnes ont été tuées. Gédéon doit être arrêté et déféré à la CPI. On le présente comme un rebelle mais c'est un criminel. La vraie rébellion, ici, c'est la démocratie. La sécurité des Congolais, de tous les Congolais est du ressort du ministre de l'Intérieur.
Certains vous reprochent aussi d'être président d'un grand club de football.
C'est une passion. J'avais 17 ans quand j'ai commencé à présider un club de foot. Pas le Tout-Puissant Mazembe, une petite équipe alors.
Un jour, in tempore non suspecto, on vous a posé la question : Et si vous aviez le choix entre une victoire en finale de la ligue mondiale des clubs champions et la présidence de la République...
Je n'ai pas oublié la réponse et elle est toujours la même. Le titre mondial des clubs. Ce serait aussi une consécration pour le Congo et un ciment formidable pour l'unité du pays. Vous avez vu la Coupe d'Afrique des nations. Le Congo est arrivé en demi-finale. Ce jour-là, tout le monde était Congolais, les particularismes étaient aux oubliettes.
Guerre ouverte
Même s'il a réservé sa réponse dans la course à la présidence, Moïse katumbi est dans le collimateur de l'actuelle majorité présidentielle, famille à laquelle il appartient pourtant. “Depuis le discours du 23 décembre (voir interview), le divorce est consommé entre Kabila et Katumbi. Plusieurs proches du gouverneur ont été arrêtés, comme le directeur provincial de l'office congolais de contrôle Fofo Konzi”, explique un élu, pourtant issu lui aussi du parti présidentiel. “On ignore toujours les motifs de son arrestation le 5 février. Il a été transféré à Kinshasa. Depuis, plus rien. Et ce n'est pas fini. On s'attend au retour de l'instabilité dans la province. Tout sera fait pour tenter d'abattre le gouverneur. C'est une guerre sans merci qui s'ouvre.”
Un magistrat confirme et confie, sous le couvert de l'anonymat, que “les pressions sont énormes de la part de certains proches de la maison civile du chef de l'Etat. Pour eux, c'est la guerre. Attendez-vous à voir des accusations tomber sur le gouverneur de la part de certains pseudo-repentis qui auront négocié leur libération contre ces accusations. Ils sont aussi trop heureux de règler leur compte avec le gouverneur qui est, selon eux, responsable de leur arrestation. Dans un cas précis, l'homme, un agent en douane, a été appréhendé en flagrant délit de fraude massive”.