Aucun des deux camps burundais ne veut céder
Le Président sortant refuse de revenir sur sa candidature à un troisième mandat. Les protestations - et leur répression - continuent à Bujumbura, tandis que des milliers de provinciaux fuient vers le pays et que les écoliers quittent les internats. Le Conseil de sécurité de l'Onu devrait évoquer le cas burundais cette semaine.
Publié le 28-04-2015 à 18h29 - Mis à jour le 06-11-2015 à 16h17
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Déterminé à rester au pouvoir, le président burundais Pierre Nkurunziza ne recule devant aucun moyen pour accroître le nombre de ses partisans. Il a fait fermer lundi la principale radio indépendante du pays, RPA, et empêche les autres radios privées d’émettre au-delà de Bujumbura - à l’exception notable de Radio Rema. Or, cet émetteur privé, qui appartient en sous-main au CNDD-FDD, le parti présidentiel, tient des propos tendant à rallumer les tensions ethniques.
Parti essentiellement hutu, le CNDD-FDD est ainsi en train de saper le principal acquis de ses dix années au pouvoir : la disparition du sanglant conflit ethnique Hutus-Tutsis, grâce au système d’équilibres et garanties instauré par l’Accord de paix d’Arusha (2000). Celui-ci avait mis fin à la guerre civile ethnique commencée en 1993 et considérée comme close en 2005, avec les élections gagnées par le CNDD-FDD.
Durant ces dix ans, les Tutsis ont eu peu à souffrir - au contraire des membres du FNL, parti hutu rival du CNDD-FDD, et, dans une bien moindre mesure, du Frodebu (qui, au contraire des deux autres, n’a jamais été un mouvement armé).
Le discours ethniste de Radio Rema
Cependant, comme il est impossible d’avoir un emploi dans le public sans être membre du CNDD-FDD (et que 95 % des emplois formels au Burundi sont contrôlés par le gouvernement), les Tutsis sont très présents dans les ONG. Or, la société civile a massivement appelé au respect de l’Accord d’Arusha et, donc, rejeté la perspective d’un troisième mandat du président Nkurunziza.
Bien que de nombreuses figures de proue de la société civile soient des Hutus, les partisans du chef de l’Etat affirment que la campagne contre le troisième mandat est en réalité "un complot pour que les Tutsis reprennent le pouvoir" qu’ils avaient détenu sous les dictatures militaires tutsies, jusqu’en 1993. Le président Nkurunziza lui-même a affirmé, le 5 février dernier - devant le monument à l’Unité nationale ! - que les Tutsis voulaient reprendre le pouvoir.
Ces derniers jours, Radio Rema - aujourd’hui la seule à être entendue en province, avec la radio de l’Etat - assure, en dépit de la vérité des faits, que les manifestations contre le troisième mandat et l’armement d’une milice ont lieu dans les quartiers tutsis de Bujumbura. Des dirigeants politiques hutus d’opposition ont dénoncé mardi avec virulence cette dangereuse manipulation.
Les menaces et violences de la milice pro-Nkurunziza, les Imbonerakure, dans les provinces, ont déjà fait fuir, depuis trois semaines, quelque 20 000 Burundais vers le Rwanda voisin, environ 3 000 au Congo et plusieurs milliers vers la Tanzanie. Les Tutsis seraient particulièrement représentés parmi ces fuyards.
Empêcher les fuyards de passer
La seule réaction des autorités a été d’assurer que les gens fuyaient "en raison de fausses rumeurs que fait circuler l’opposition", tandis que le gouverneur de Kirundo, province particulièrement touchée par les fuites, remplaçait les militaires de garde aux frontières par… des Imbonerakure, chargés d’empêcher les gens de quitter le pays, nous a indiqué Jean Minani (opposition), député de Kirundo.
Cette semaine, les lycées-internats se vident à Gitega, Ngozi, Rumonge et Muyinga, les parents préférant garder leurs enfants en raison de la tension.
La campagne ethniste ne peut manquer d’inquiéter l’armée, constituée pour moitié de Tutsis, conformément à l’Accord d’Arusha.
D’autant qu’une récente anomalie n’est pas passée inaperçue : lors de l’entrée au Burundi, à la fin décembre, d’un groupe armé burundais non identifié, en provenance du Congo, les militaires envoyés pour les combattre étaient exclusivement commandés par des Hutus, au contraire de ce qui est normal. Selon les défenseurs des droits de l’homme, certains des assaillants capturés ont été tués sommairement - et l’ont été notamment par des Imbonerakure, illégalement en opération avec les militaires déployés. Signe de la tension que cette situation a créée : certains militaires présents ont filmé des scènes compromettantes, arrivées ensuite aux défenseurs des droits de l’homme.
Des Hutus et des Tutsis de plus en plus nombreux s’inquiètent de l’utilisation de la fibre ethnique, qui rappelle les prémices du génocide rwandais.
Une opposition peu unie, qui a du mal à offrir une alternative construite
L’opposition burundaise a du mal à offrir une alternative construite au régime CNDD-FDD. En effet, elle n’est unie que sur le rejet du troisième mandat de cinq ans du président Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, alors que l’Accord de paix d’Arusha interdit "plus de deux mandats présidentiels".
Pas de candidat unique
A deux mois de la présidentielle du 26 juin, les partis d’opposition ne se sont ainsi toujours pas entendus ni sur une candidature unique ni même sur le principe de celle-ci. Certains dirigeants des partis d’opposition nous ont indiqué qu’ils attendaient la première journée électorale, le 26 mai (élections communales et législatives), pour voir quel parti d’opposition était le mieux placé derrière le CNDD-FDD. Ils veulent, en quelque sorte, utiliser ces scrutins comme une primaire.
Les partis d’opposition ne donnent pas non plus satisfaction sur le plan du projet politique. Le parti CNDD-FDD, sortant du maquis en 2005, a gagné les élections avec un programme; aux élections de 2010, il n’y a pas eu de programme adopté par le congrès du parti et, cette fois, le seul programme est "le nom de Nkurunziza", nous dit un frondeur du CNDD-FDD (voir "La Libre Belgique" du 25 avril), malgré un maigre bilan.
La même indigence prévaut dans la plupart des partis d’opposition. Peu sont ceux qui ont un programme et seul le MSD d’Alexis Sinduhije (en exil) expose comment le financer.
Les partis politiques burundais ne se différencient d’ailleurs généralement pas par leur programme mais par leur chef - tant et si bien que des scissions sont souvent nommées du nom de leur dirigeant.
Ces scissions, très nombreuses au sein de l’opposition, ont généralement été fomentées par les autorités CNDD-FDD, qui ont suscité des ailes pro-CNDD-FDD dans plusieurs formations adverses. A chaque fois, l’aile non ralliée au pouvoir du parti d’opposition est dépouillée - par une justice aux ordres - de la propriété du nom du parti. Les principaux chefs de l’opposition désirant se présenter à la présidentielle sont donc contraints de se dire "indépendants" et ne peuvent commencer leur campagne que quinze jours avant le vote, alors que "le président Nkurunziza est en campagne permanente depuis dix ans" , selon un observateur à Bujumbura.
Un CNDD-FDD amputé
Si beaucoup admettent en privé que sans union de l’opposition, le parti CNDD-FDD emporterait les scrutins même sans tricher, ce dernier est aujourd’hui lui aussi plombé. Parce qu’il n’a pas trouvé la force de s’opposer aux quatre personnes issues du maquis qui prennent toutes les décisions et accumulent les richesses. Et parce que la purge des "frondeurs" en cours prive le parti des quelques intellectuels qui lui restaient après la mise à l’écart progressive de nombre d’entre eux par les maquisards. "Ceux appelés aujourd’hui pour remplacer les frondeurs limogés sont tous des jeunes à peine formés ou juste sortis de formation, sans avoir jamais rien géré" , s’inquiète une source CNDD-FDD.