Comment Tsipras a gagné la guerre de la communication
Publié le 07-07-2015 à 07h20 - Mis à jour le 07-07-2015 à 10h57
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KQ4WBHXLDJGY7KR72PITRZNIUA.jpg)
Le gouvernement grec a réussi à "retourner" l’opinion publique grâce à des techniques de communication modernes. Une leçon pour les dirigeants européens.Dans la catégorie "ils auraient mieux fait de se taire", voici le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et le social-démocrate allemand Martin Schulz, président du Parlement européen. Pour rappel, les deux hommes politiques ont appelé les Grecs à voter "oui" aux mesures de la Troika. Des sorties totalement contre-productives et maladroites, selon Nicolas Baygert, expert en communication et en information. "À chaque sortie communicationnelle, Juncker et Schulz, qui représentent ce visage froid de la technocratie européenne, n’ont fait que renforcer l’approbation des Grecs envers leur gouvernement. Quand Juncker dit aux Grecs : ‘Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort’, il fait preuve d’un manque d’empathie assez formidable."
Selon M. Baygert, les dirigeants européens ont largement perdu la guerre de la communication face au gouvernement du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, un "expert" en la matière. "Il a réussi à réintroduire une forme d’émotion et d’empathie dans le débat, ce qui lui a permis de retourner un rapport de force clairement en sa défaveur avant le référendum."
Les médias, fans de l’histoire grecque
Ce référendum serait d’ailleurs un coup de com’ "sans précédent" et qui a retourné une grande partie de l’opinion publique en faveur de Tsipras. "Il suffit de voir les ‘Unes’ des journaux européens : elles reprennent majoritairement la lecture grecque de la crise. Il y a désormais une bienveillance envers le peuple grec qui n’existait pas auparavant." Tsipras aurait ainsi "hystérisé" un débat très complexe, en réduisant cette complexité par une simple question, "oui" ou "non", via ce référendum. "Un moment donné, le chaos est tel, qu’on a besoin de simplicité", explique M. Baygert.
La force de Tsipras ? Donner aux médias ce qu’ils attendent, les "tenir en haleine", en leur proposant un récit "plein de rebondissements" (référendum, démission du ministre Varoufakis…), avec des protagonistes clairement identifiés, soit ici le sauveur Tsipras face à la chancelière allemande Merkel, qui incarne l’austérité. Bref, des techniques utilisées par des pros de la communication.
L’avantage communicationnel devient un avantage politique. "Ce sont les Grecs qui sont les metteurs en scène, et donc eux qui donnent le tempo des négociations, ce qui n’était pas le cas avant l’arrivée de Tsipras. On a, par exemple, vu Juncker très peu à l’aise face à ce récit émotionnel imposé par le gouvernement grec", relate l’expert.
Varoufakis sur Twitter, l’arme ultime
Pourtant, le Luxembourgeois a eu une occasion de contrer les Grecs à leur propre jeu, mais il ne l’a pas saisie entièrement. "Il avait deux possibilités : soit il restait en retrait et faisait monter d’autres leaders européens pour contre-communiquer à la manière de Tsipras, soit il personnalisait lui-même la communication et rentrait dans le jeu. Il a commencé à le faire, en disant qu’il avait été personnellement trahi par Tsipras, puis il s’est soudainement arrêté. Il aurait dû continuer et ne pas avoir cette distance typique des institutions européennes, faite de communication via des communiqués."
Car sur la forme aussi, les Grecs l’ont largement emporté. "Il y a sans doute une rupture générationnelle. Tsipras et Varoufakis sont des experts des réseaux sociaux, et spécialement de Twitter". À ce niveau, Varoufakis était "l’arme de destruction massive communicationnelle" du gouvernement grec. "Il sait ce qu’attendent les citoyens qui veulent un rapport interactif immédiat et commenter en temps réel ce qui se déroule devant leurs yeux. Varoufakis, tout comme Tsipras, a cette volonté de transparence totale, qui est bien sûr une mise en scène, car la transparence n’est jamais gratuite ou naïve. L’ancien ministre des Finances réussissait ainsi, via Twitter, à emporter avec lui l’ensemble de ses followers (abonnés) dans les coulisses des négociations, en dévoilant certains documents, manipulations, etc." En participant, l’observateur devient ainsi un allié presque naturel du gouvernement grec.