Un succès puis une relaxe pour Marine Le Pen ?
La fille de Jean-Marie Le Pen encourt théoriquement jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende. Correspondant permanent à Paris
Publié le 20-10-2015 à 20h05 - Mis à jour le 21-10-2015 à 09h28
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Marine Le Pen pourrait bien conclure les élections régionales de début décembre avec, outre de beaux résultats (si l’on en croit les sondages), une victoire judiciaire. A la mi-décembre, en effet, elle pourrait bénéficier d’une relaxe pure et simple. Et donc être à même de se présenter, plus que jamais, comme la victime innocentée "d’une véritable persécution judiciaire" ourdie par le pouvoir.
Mardi, en tout cas, la présidente du Front a joué à fond cette carte victimaire. Lors de sa comparution devant le tribunal correctionnel de Lyon, pour provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion.
"Soviet Suprême" et "pensée unique"
La fille de Jean-Marie Le Pen encourt théoriquement jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende. Pour des propos qu’elle tint dans la capitale des Gaules en 2010, lorsqu’elle était en campagne pour la succession de son père à la présidence du FN. Elle tentait alors de séduire l’électorat frontiste le plus ultra, qui penchait plutôt pour son rival : le Lyonnais Bruno Gollnisch. A l’époque, à plusieurs reprises, des musulmans privés de mosquées assez grandes pour les accueillir en étaient réduits à prier aux abords de leurs lieux de culte. Marine Le Pen avait eu ces mots, les concernant : "Je suis désolée, mais, pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit de parler d’Occupation, on pourrait en parler, pour le coup. Parce que ça, c’est une occupation de pans du territoire, des quartiers dans lesquels la loi religieuse s’applique. Certes, il n’y a pas de blindés, pas de soldats, mais c’est une occupation du territoire."
Ces déclarations lui avaient valu, en 2013, la levée de son immunité d’eurodéputée. Bruno Gollnisch avait alors jugé cette mesure "digne du Soviet Suprême" , et Marine Le Pen avait accusé les parlementaires de "se soumettre à la pensée unique" . Un argument qu’elle répète en boucle, depuis cinq ans, assurant que ses propos "déplaisent au politiquement correct, mais pas au peuple - car le peuple, lui, est d’accord avec moi" .
"Figure de style" et "liberté d’expression"
De même, mardi, la n°1 du FN s’est drapée dans les habits de la responsable politique venue "défendre la liberté d’expression" . Venue aussi - n’étant, elle, pas "dans le déni" - remplir son "devoir" de dénoncer l’illégalité des prières de rues. Et de soutenir n’avoir "commis aucune infraction" . Car ses propos n’auraient pas ciblé une religion, mais un comportement. Et, au-delà de l’impression qu’a pu donner sa "figure de style de meeting" , elle ne parlait "pas de l’Occupation avec un grand O" (sujet qui a déjà valu une condamnation à son père), mais de "l’accaparement" de l’espace public par la "visibilité conquérante" de l’islam.
Les associations de lutte contre le racisme n’ont évidemment pas été convaincues. Elles n’ont pas oublié que l’intéressée, en 2010 toujours, dans un discours célébrant l’anniversaire de l’appel gaullien du 18 juin, avait explicitement lié immigration et Occupation : "Très clairement, comme en 1940, certains croient pouvoir se comporter dans la France de 2010 comme une armée d’occupation." Le parquet, par contre, a visiblement été séduit par l’argumentation lepéniste, puisqu’il a requis une relaxe. A ses yeux, de tels propos, s’ils peuvent être perçus comme choquants, ne tombent pas sous le coup de la loi. Car "ils ne visent pas l’ensemble de la communauté musulmane" , et relèvent en plus "de la liberté d’expression" .
Décision, le 15 décembre.
Elle a ses chances, au vu de la jurisprudence fluctuante
Les tribunaux français ont déjà dit tout et son contraire, ou à peu près, dans des dossiers d’incitation ou provocation à la haine raciale. Dès lors, rien ne dit que Marine Le Pen subira d’office le même sort que son père. Jean-Marie Le Pen, en effet, au-delà du lourd casier judiciaire dû à ses dérapages négationnistes répétés, fut plusieurs fois condamné pour propos haineux. Ainsi, en 2003, après avoir déclaré que, "quand nous aurons en France non plus 5 mais 25 millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont, et les Français raseront les murs" . Ou en 2013, quand il compara les Roms aux oiseaux, qui "volent naturellement" .
"Liberté d’expression" ou "débat d’intérêt public"
Pareillement, ont été mis à l’amende deux maires qui avaient trouvé "dommage qu’on ait appelé trop tôt les secours" , après l’incendie d’un campement de Roms, ou jugé qu’ "Hitler n’a peut-être pas tué assez" de gens de cette communauté. En revanche, n’ont pas abouti les plaintes déposées contre Manuel Valls. Selon qui les Roms "ont vocation" à rentrer dans leur pays, vu leurs "modes de vie extrêmement différents des nôtres [et] en confrontation" avec ceux des Français. Des propos qui "s’insèrent dans un débat d’intérêt public" , a estimé la justice.
Une telle faveur n’a pas été faite au magazine "Valeurs actuelles". "Roms : l’overdose" , avait-il titré. Les juges ont condamné cet emploi de "termes évocateurs de maladies ou de catastrophes" ("fléau", "overdose", "plaie" ou "invasion"), qui font que "la communauté visée est appréhendée sous un prisme uniquement négatif" . Le même hebdo a tout autant été mis à l’amende pour une couverture montrant une Marianne voilée, sous le titre "l’invasion qu’on nous cache" .
Le magazine y vit une "régression du débat d’opinion" , et une "entrave grave à la liberté de la presse" . Sur le même mode, plus récemment, le polémiste Eric Zemmour plaida - avec succès - "la liberté d’expression" .
Quand il fut jugé pour sa dénonciation des "bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent" . Le tribunal a considéré que, "aussi excessifs, choquants ou provocants que ces propos puissent paraître" , ils ne s’appliquent "qu’à une fraction des communautés visées, et non à celles-ci dans leur ensemble" .
En 2011, par contre, l’homme fut bel et bien condamné . Après avoir publiquement asséné que "la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait" .
B.DL. , à Paris