Paris: En salle d'op', "à chaque balle extirpée, les insultes fusent: 'les enculés'…"
Récit d’une nuit dans l’un des grands hôpitaux parisiens, les équipes médicales s’activent sans compter. Témoignage.
Publié le 15-11-2015 à 18h14 - Mis à jour le 19-01-2017 à 18h13
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"Trash, c’était vraiment trash.” Jamais, c’est évident, cette externe n’oubliera la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre 2015 qu’elle a passée dans l’un de ces grands hôpitaux parisiens, où ont été dirigées les victimes. Une expérience inoubliable, à jamais gravée dans son esprit. Pour elle, comme sans doute pour tous les médecins chevronnés, infirmières et infirmiers, et tous les soignants qui auront vécu cette effroyable situation de guerre. On les a entendus, on les a lus : aucun d’entre eux n’avait encore connu pareille horreur. Et ne souhaiterait probablement revivre cet événement “apocalyptique”, comme le qualifiait notre interlocutrice.
Elle, précisément, avait entamé sa garde à 18 h 30. “Nous devions déjà faire face à une affluence anormale de malades, nous dit-elle, suite à la grève des médecins qui ont vu plusieurs centres hospitaliers rediriger les patients chez nous. Entre deux opérations, en pause dîner avec les différents services de réanimation et chirurgie, nous avons été contactés par le SAMU, qui nous annonçait des explosions au Stade de France, sans beaucoup plus de précisions. En l’absence de patient et d’information supplémentaires, nous avons attendu et pris des forces, sachant que la nuit allait être longue”.
Et de fait, il y eut un second appel du SAMU. “Il était question d’un “pluri-attentat” sur Paris. Dès ce moment, les urgences devaient être vidées, et l’hôpital prêt à accueillir d’éventuelles victimes. Nos premières réactions furent de prévenir nos proches, qui se trouveraient dans les rues de Paris, et leur conseiller de rentrer. Ensuite, on a commencé à se préparer. Nous avons vidé les urgences des cas non compliqués pouvant être pris en charge plus tard pour hospitaliser les patients qui devaient l’être”.
Vient alors le moment de prévenir les collègues. “Les administrateurs, chirurgiens, réanimateurs, anesthésistes, infirmiers et infirmières, aide-soignants, urgentistes, internes, externes… tous sont venus en nombre, on a même vu des gynécologues ou médecins des alentours proposer leurs services à l’hôpital.”
A ce moment-là, on ne se rend pas vraiment compte
Quant au sentiment alors ressenti par notre jeune externe : “A ce moment-là, on ne se rend pas vraiment compte de l’ampleur des attaques. Mais l’esprit de groupe était vraiment impressionnant, et les différents services n’ont, d’après plusieurs chefs de clinique, jamais aussi vite et bien collaboré qu’à ces heures.”
Arrivent enfin les premières victimes, après un tri minutieux des équipes du SAMU. Elles viennent du Stade de France. Dès ce moment-là, tout s’enchaîne à toute vitesse. “Les urgences sont pleines, les patients, arrivés par cars entiers, sont dans les couloirs, poursuit notre interlocutrice. Les services d’imagerie médicale fonctionnent à plein régime. Il faut en effet pour chaque patient polytraumatisé – surtout avec plaies par balles dont l’état le permet -, effectuer un body scan pour évaluer l’ampleur des dégâts; connaître les points d’entrée et de sortie, identifier les corps étrangers. Les salles de réanimation se remplissent de patients avec des numéros sur la tête pour toute identification…
Nous sommes parfois 15 à 20 par salle d’opération – anesthésistes, réanimateurs, chirurgiens orthopédiques, thoraciques, abdominaux – pour nous occuper d’un blessé qui a plusieurs sites d’impact. Pas une salle de chirurgie qui ne soit pas ouverte, en pleine activité.”
En cette nuit de vendredi à samedi, il y a bien plus d’effervescence qu’un jour de semaine. “C’est une situation de guerre que l’on vit, des blessures de guerre que l’on soigne, s’exclame encore cette externe. C’est sûr, personne n’oubliera jamais cette nuit-là, mais dans la carrière de médecin ou futur médecin, d’infirmier ou d’infirmière, c’est peut-être plus encore une étape inoubliable”.