Pourquoi les mosquées sont aussi responsables

En Belgique, de nombreux lieux de cultes sont incapables de proposer un contre-discours.

Bosco d'Otreppe
Pourquoi les mosquées sont aussi responsables
©Bernard Demoulin

C’était une des questions de ce lundi. Les mosquées en Belgique sont-elles responsables de la radicalisation violente de certains jeunes ?

Directement, il est clair que non. Sauf de très rares cas isolés, il n’y a jamais d’appels à la violence dans les mosquées reconnues en Belgique. Tout simplement parce qu’elles ne prônent pas de telles interprétations de l’islam, mais aussi parce qu’elles se savent surveillées et que ce n’est nullement dans leur intérêt.

Indirectement cependant, la réponse est plus nuancée. Ce qui se passe aujourd’hui est également un constat d’échec pour l’islam "organisé" en Belgique. "Les jeunes ne se radicalisent pas au sein des mosquées, explique l’islamologue Michaël Privot , mais c’est justement parce qu’ils ne trouvent pas en leur sein des réponses à leurs questions."

Trop souvent, en effet, les imams ne connaissent plus rien de la réalité que vivent les jeunes générations. Les mosquées ont quelque chose de "poussiéreux" nous expliquait une islamologue. "Elles sont trop souvent aux mains de la première génération", et les jeunes qui entament une quête religieuse s’en écartent vite. En d’autres mots, les mosquées sont incapables d’éviter la radicalisation de certains jeunes.

L’influence des groupes parallèles

Il est important d’analyser le phénomène de la radicalisation sous un prisme identitaire insiste de son côté Corinne Torrekens, islamologue à l’ULB. Beaucoup de ces jeunes sont bousculés par des questions de géopolitique, ou par les discriminations qu’ils subissent en Belgique. Ils se tournent alors vers les mosquées, qui sont cependant incapables de leur offrir un discours satisfaisant. A la sortie de ces mosquées, dans les quartiers ou sur les réseaux sociaux, se tiennent alors d’autres prédicateurs qui attirent ces jeunes, qui les encadrent en organisant des groupes et en étant capables de répondre à leur soif de reconnaissance, ou à leur soif d’identité.

Le discours qui leur est alors proposé est régulièrement celui d’un "salafisme djihadiste" insiste Corinne Torrekens. "C’est un discours avant tout politique et violent qu’ils ont entouré d’une enveloppe religieuse." Si, au sein de ces groupes, l’aspect politique recommande la violence comme moyen d’action, l’aspect religieux s’inspire lui d’interprétations littéralistes, orthodoxes et extrêmement conservatrices du Coran. "On assiste donc à une instrumentalisation de la religion à des fins identitaires et politiques", insiste la Bruxelloise.

C’est donc au sein de tels groupes, auprès de tels prédicateurs (à l’instar de Jean-Louis Denis arrêté pour avoir tenu des prêches violents), que la plupart des jeunes partis en Syrie se radicalisent.

Un contexte propice

Michaël Privot s’inquiète, quant à lui, d’un paysage musulman en Belgique plus "salafisé", et de plus en plus propice à ce genre de groupes et de discours.

Dans notre pays, explique-t-il, le discours salafiste issu d’Arabie saoudite est de plus en plus prégnant (dans toutes les déclinaisons pacifistes ou violentes qu’il connaît).

A travers des livres, à travers des sites Internet très efficaces, à travers des mécènes ou des bourses étatiques qui permettent à de nombreux jeunes d’aller se former en Arabie, le salafisme a pu diffuser son idéologie "par le bas".

Cette lecture très conservatrice, très binaire, très littéraliste n’est sans doute pas toujours violente en elle-même, "mais elle est un substrat nécessaire sur lequel viennent se greffer facilement une idéologie violente, et donc ces groupes violents", explique l’islamologue.

"Du coup, en Belgique, le curseur a bougé de place. De même que l’on pourrait dire que les idées d’extrême droite influencent de nombreux discours politiques qui se droitisent, on peut dire que le bruit de fond de l’islam en Belgique s’est tourné vers des lectures plus salafistes. Dans le quotidien le plus banal (puis-je écouter telle ou telle musique par exemple), c’est un changement très visible depuis dix ans."

Miser sur la formation des imams

Corinne Torrekens est plus partagée, et pointe aussi l’influence des Frères musulmans, plus réformistes, même si cela est parfois à des fins politiques. Mais elle reconnaît cependant que dans la lutte de pouvoir à laquelle se livrent en Belgique les salafistes et les fréristes, la riche Arabie saoudite joue un rôle proactif au service des premiers.

Quoi qu’il en soit, que ce soit face à un discours religieux ultraconservateur, ou face à un discours idéologique qui mêle la religion à des ambitions politiques, les mosquées belges sont incapables d’opposer un contre-discours, mais surtout "incapables de proposer de réels horizons à la jeunesse belge", insiste Corinne Torrekens.

Offrir en Belgique une formation aux futurs imams pour qu’ils ne doivent plus aller se former à l’étranger est donc un des premiers objectifs, pour lequel le ministre de l’Enseignement supérieur Jean-Claude Marcourt (PS) a mis en place une commission. Elle devrait d’ailleurs rendre ses conclusions d’ici peu.

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