Iran: les modérés devront convaincre
Malgré leur renforcement au Parlement, les alliés de Hassan Rohani n’auront pas la vie facile. Analyse.
Publié le 02-03-2016 à 14h46 - Mis à jour le 02-03-2016 à 14h49
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Le camp des modérés et des réformateurs a nettement renforcé ses positions au Parlement iranien mais n’aura pas les coudées franches. C’est le principal enseignement du scrutin législatif de vendredi dernier. Les alliés du président Hassan Rohani, qui concouraient sur la liste Omid (espoir, en persan), ont obtenu 95 sièges sur les 290 que compte l’Assemblée consultative islamique (Majlis), l’unique chambre du Parlement iranien. C’est trois fois plus que leur représentation au Parlement sortant. Mais avec un tiers de l’Assemblée, ils restent à la merci des conservateurs qui totalisent 103 sièges, quatorze autres échéant à des élus indépendants. La septantaine de sièges restant à attribuer lors d’un second tour le mois prochain ne devrait pas changer la répartition des forces.
Bien sûr, ce succès électoral du camp modéré confirme la percée de cette voie centrale incarnée depuis deux ans et demi par Hassan Rohani, qui a obtenu l’été dernier un règlement du contentieux nucléaire. Son gouvernement devrait donc être en mesure de poursuivre le redressement économique du pays. Une politique soutenue par une population très jeune où l’espoir d’un meilleur niveau de vie est revenu suite à la levée des sanctions internationales en janvier. On le perçoit pleinement dans la capitale Téhéran où la liste Omid a raflé les trente sièges mis en jeu.
Victoire des pragmatiques
"C’est une condamnation du conservatisme le plus dur et un message de modération de la part des électeurs", observe Thierry Kellner, spécialiste de l’Iran et de la Chine et professeur à l’ULB. Les conservateurs les plus radicaux tels l’ayatollah Mohammad-Taqi Mesbah-Yazdi, 82 ans, président du Conseil des gardiens de la Constitution, et l’ayatollah Mohammed Yazdi, 84 ans, président de l’Assemblée des experts, ont été éliminés dans l’autre élection visant à renouveler cette dernière. L’influence des conservateurs est donc aussi réduite dans ce conseil de 86 religieux, élu tous les huit ans et qui devrait selon toute vraisemblance désigner le prochain guide suprême.
C’est aussi une "victoire des pragmatiques" qui "rouvrent le jeu politique vers les modérés", poursuit M. Kellner. Mais cette ouverture se fait "au maximum de ce que le guide a permis", note le sociologue Majid Golpour, spécialiste de l’Iran contemporain. "(Ali) Khamenei souhaitait une recomposition large afin de laisser les deux grandes ailes politiques se confronter au Parlement pendant qu’il règle sa succession en arrière-plan", estime M. Golpour.
L’influence du guide suprême est considérable en Iran. D’une manière ou d’une autre, il contrôle à peu près toutes les institutions du pays. Il a aussi la capacité d’orienter le paysage politique et électoral. Car les élections ne sont pas libres en Iran. Les candidats sont soumis à une présélection draconienne de la part du Conseil des gardiens - dont les membres sont choisis ou validés par le guide. Cette fois, cette procédure a pris des allures de purge pour le camp réformateur.
Le redressement économique du pays promis par l’équipe de Rohani, entre autres grâce à une ouverture aux investisseurs étrangers, ne signifie pas un blanc-seing pour les choix de Hassan Rohani. Cette ouverture va à l’encontre de nombreux intérêts sur la scène nationale, en particulier ceux des Pasdarans (les Gardiens de la révolution) et des fondations religieuses qui contrôlent des pans entiers de l’économie iranienne, ainsi que leurs relais au niveau politique.
Un "noyau dur" toujours présent
Les conservateurs gardent ainsi le contrôle sur d’importants leviers de pouvoir dans les différentes institutions. "Le noyau dur est toujours là", résume M. Golpour.
L’ouverture économique promise par Rohani pourra sans doute se réaliser dans une certaine mesure mais elle ne devrait pas s’accompagner d’une évolution politique notable, ni en ce qui concerne les libertés publiques et encore moins en ce qui concerne la nature du régime politique.
Dans ce contexte, "les attentes de la population étant fortes, Rohani pourrait décevoir rapidement", note Thierry Kellner. Du moins, s’il ne parvenait pas à améliorer la situation de manière sensible d’ici la fin de son mandat, mi-2017.