Tortures, persécutions : "Même les Chinois qui vivent à l'étranger se sentent muselés"
Alors qu'elle devait représenter le Canada au concours Miss World, Anastasia Lin n'a pu pénétrer en territoire chinois, où se déroulait la finale. La raison ? Cette actrice d’origine chinoise milite pour le respect des droits dans le pays qui l'a vu grandir. Enfant, se sentait-elle restreinte dans ses libertés ? A-t-elle peur pour son père, qui vit toujours en Chine ? Quelles sont les persécutions subies ? Anastasia Lin est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
- Publié le 24-04-2016 à 12h42
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Alors qu'elle devait représenter le Canada au concours Miss World, Anastasia Lin a eu la désagréable surprise de se voir interdire l'accès au territoire chinois, où se déroulait la finale, en décembre dernier. La raison ? Cette actrice de 26 ans, d’origine chinoise, milite pour le respect des droits dans le pays qui l'a vu grandir. Peu après avoir été désignée persona non grata par la République populaire, la jeune femme a été alertée par un sms de son père. "Il m'a prévenue qu'il avait été menacé et que si je ne cessais pas mes actions pour des gens que je ne connaissais même pas, il allait en subir les conséquences", explique-t-elle. Anastasia Lin est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Quel est le principal reproche que vous adressez au gouvernement chinois ?
L'interdiction de liberté de conscience ! Je pense à des personnes comme mon père qui ont vu leur famille, leurs amis être enfermés, persécutés, humiliés publiquement parce qu'ils ont parlé librement. Il y a désormais une prudence générale qui fait que les gens n'osent pas défendre ce qu'ils pensent. L'endoctrinement au communisme est très fort : les membres d'une même famille se retournent les uns contre les autres, les enfants sont encouragés à dénoncer leurs parents s'ils ne suivent pas la ligne de conduite du pouvoir...
Quand avez-vous pris conscience de cela ?
J'ai expérimenté personnellement ce que je dis puisque, étant enfant, j'endoctrinais moi-même d'autres élèves. Je m'en suis rendu compte lorsque je suis arrivée au Canada, à 13 ans. Ma mère m'a fait découvrir ce qu'est la société occidentale, ses valeurs. J'ai alors beaucoup étudié les persécutions subies par les minorités en Chine. Plus tard, je me suis engagée dans des projets de films relatifs aux droits de l'homme et qui se focalisent sur ces persécutions.
Vous parlez surtout des persécutions envers les adeptes du Falun Gong, ce mouvement spirituel plutôt décrié, c'est bien ça ?
Oui, mais aussi des autres minorités, comme je l'ai fait devant le Congrès américain. Lors du tremblement de terre au Sichuan, en 2008, de nombreux élèves sont morts à cause de l'état calamiteux des bâtiments scolaires. Pour un film, j'ai accepté de jouer le rôle de l'une de ces élèves qui a succombé sous les décombres. Cela m'a permis de rencontrer des témoins et des victimes qui m'ont expliqué à quel point les autorités avaient fait pression pour ne pas qu'ils parlent, pour ne pas qu'ils se révoltent. Les médias ont censuré cela. La plupart des organes de presse se contentent de relayer les déclarations officielles. Il n'y a pas vraiment de liberté d'expression.
Vous l'avez déjà expliqué par le passé, vous pratiquez le Falun Gong. Or, ce mouvement pseudo-religieux et méditatif est considéré par certains comme une secte...
En arrivant au Canada, j'ai lu un livre sur cette pratique. Ce qui y était inscrit ne correspondait absolument pas à l'image qu'en donnent les autorités chinoises, qui présentent ses adeptes comme des gens qui se tuent entre eux, qui s'immolent par le feu, qui tuent des bébés... Si l'on ne l'associait pas constamment aux persécutions, le Falun Gong serait considéré comme une sorte de yoga chinois. C'est très populaire. Environ un Chinois sur dix le pratique. Moi, je m'en sers comme pratique de méditation, pour ma concentration. Mais je ne tiens pas à être identifiée comme un membre du Falun Gong. D'autant que le Falun Gong ne se décrit pas comme une organisation...
(Bruxelles, mars 2014. Protestation pour la défense des droits de l'homme en Chine)
Des acteurs comme Brad Pitt, Christian Bale or Harrison Ford figurent sur la liste noire du gouvernement chinois. Leurs actions ne changent rien. Les prises de position d'artistes n'ont donc qu'une valeur symbolique ?
Je suis bien entourée ! (rires) Mais je ne suis pas d'accord, c'est efficace. La notoriété de tels acteurs fait qu'ils sont davantage écoutés que des personnes que le grand public ne reconnait pas et qui parlent de manière trop sophistiquée. Ce n'est pas pour rien que des ONG s'associent à de telles célébrités... C'est beaucoup plus porteur pour informer le grand public. En outre, contrairement à ce que les gens pensent, les Chinois parviennent à contourner la censure d'Internet. Et lorsqu'ils voient ces célébrités ou des gouvernements les défendre, c'est très encourageant pour eux.
Souhaitez-vous que les gouvernements occidentaux mettent un terme à leurs relations avec les autorités chinoises ?
Certains pensent que le gouvernement communiste va graduellement reconnaître les valeurs occidentales et que la libéralisation politique va suivre la prospérité économique. Mais cela ne s'est jamais produit en Chine ! Ce changement est hypothétique. D'innombrables citoyens chinois ont péri dans les camps pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.... Pendant que nous attendons cette transition, des centaines d'innocents continuent à périr ! Les gouvernements occidentaux n'ont jamais fait payer la Chine alors qu'elle bafoue les droits de l'homme. Cela se fait en toute impunité !
Lorsqu'il est question d'échanges commerciaux conséquents, les droits de l'homme sont généralement délaissés, y compris par les démocraties occidentales...
Beaucoup de gouvernants estiment que fermer les yeux sur les tortures, les meurtres est le prix à payer pour assurer leurs intérêts ! Vu l'importance du marché chinois, ils mettent de côté leurs principes et valeurs. Et ce n'est pas comme si les Chinois n'avaient pas tout tenté pour avertir le monde de leur situation critique...
(Washington, avril 2016. Le président chinois Xi Jinping lors d'une réunion avec les principaux leaders mondiaux)
Du côté d'Hollywood aussi, on accepte la censure pour pouvoir pénétrer le marché du film chinois.
Cela m'effraie ! Toutes les personnes qui acceptent de telles entorses se rendent complices des abus perpétrés. Nous sommes la voix des opprimés. Et je ne parle pas que des minorités emprisonnées, je parle pour la nation chinoise tout entière. Ces gens qui ne savent pas qu'ils ont une voix et qu'ils peuvent s'en servir pour prendre position.
Avez-vous peur pour votre père, qui vit toujours en Chine ?
Oui... C'est très difficile pour moi. Si je ne parlais pas, personne ne le ferait pour lui. Et même si aujourd'hui je me taisais, les autorités ne rendraient pas pour autant la vie de mon père plus simple. En outre, ce serait envoyer un très mauvais signal. Le gouvernement chinois veut faire de moi un exemple pour tous les dissidents (acteurs, journalistes, académique, athlètes) : "Si vous faites comme elle, on vous empêchera de venir en Chine. Et le résultat pourrait même être pire..." Une expression chinoise dit : "Tuer le poulet pour effrayer le singe". Mais je me sens trop investie pour reculer. L'espoir est plus fort que la peur !
Quel est l'état d'esprit de votre père ?
Il a peur, évidemment, tout comme le reste de ma famille qui vit toujours là-bas ! C'est le résultat d'années, de décennies d'endoctrinement et de campagnes politiques. Les chocs électriques, les pointes de bambou placées sous les ongles, les viols, les agressions sexuelles... : ces tortures sont redoutées.

Lors de votre enfance en Chine, vous sentiez-vous restreinte dans vos libertés ?
Je ne réalisais pas ! C'est en arrivant au Canada que j'ai compris à quel point j'avais subi un lavage de cerveau. Lorsque j'étais enfant, il me semblait que penser par soi-même était mal. J'ai même aidé le pouvoir en endoctrinant d'autres étudiants à la pensée communiste. Bien sûr, à cause du manque de liberté d'expression, beaucoup de choses sont ignorées par la société chinoise. Or, la répression est extrêmement étendue.
Comment la Chine se décrit-elle dans les livres d'Histoire ? Confirmez-vous que certains faits sont effacés ?
La manipulation de l'Histoire est l'une des pires pratiques qu'ait produites le communisme. Avant d'arriver au Canada, je n'avais jamais entendu parler du massacre de la place Tian'anmen... Cette manipulation altère nos valeurs traditionnelles et vide les fondements de notre société.
Vu vos critiques, êtes-vous mise au ban de la communauté chinoise au Canada ?
Oui, une partie de la diaspora exclut de me voir et je ne suis plus invitée aux événements liés à l'ambassade et au consulat de Chine. Les autorités envoient des fonctionnaires lors de ces événements, ce qui est une forme de surveillance. Alors bien sûr que les Chinois qui vivent à l'étranger se sentent muselés. Même au Canada ! La communauté chinoise ne se sent pas libre, elle n'ose pas s'exprimer, même dans le pays d'adoption. Or, les gouvernements étrangers doivent faire en sorte que les citoyens se sentent libres. C'est important de faire savoir aux autorités chinoises que c'est un principe fondamental ! C'est aussi pour cela que je me suis présentée au concours Miss World.
Vous défendez les droits de l'homme tout en participant à un concours considéré, par beaucoup, comme rétrograde pour l'image des femmes. Vous acceptez le paradoxe ?
Le vrai pouvoir apparaît lorsque vous brisez les stéréotypes et que vous surprenez les gens qui vous ont sous-estimé. J'ai toujours refusé de participer au spectacle de miss en maillot de bain. Et mettre la pression sur les organisateurs en affirmant que je ne paraderais pas dans une telle tenue a payé. Cette année, ils ont annulé toute la partie en maillots. Et moi je me suis servie de la tribune que constitue ce concours pour parler de ce qui se passe en Chine.
Entretien : @Jonas Legge