Didier Reynders réagit au Brexit: "Il y a des contacts pour réunifier les deux Irlande"
Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), tire les premiers enseignements du Brexit. "Soyons constructifs", dit-il.
- Publié le 26-06-2016 à 10h52
- Mis à jour le 26-06-2016 à 18h02
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Je suis déçu", confesse Didier Reynders (MR). "Je regrette la décision prise par les Britanniques, mais je la respecte parce qu’elle émane d’un processus tout à fait démocratique qui a abouti à un résultat clair." Le ministre belge des Affaires étrangères était au Luxembourg, vendredi midi, pour un premier débriefing sur le Brexit avec ses collègues européens (lors d’un conseil des affaires générales).
Quelles conséquences voyez-vous au choix du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne ?
C’est, en premier lieu, un problème pour les Britanniques eux-mêmes. Ils vont devoir réaliser ce que représente la sortie de l’Union, notamment sur le plan économique. Puis, ils vont être confrontés à des problèmes internes. On sent bien qu’il y a déjà des tensions au sein du pays parce que plusieurs des nations ont choisi de voter en faveur de l’Europe - en Ecosse, en Irlande du Nord. Ce vendredi midi, le ministre irlandais (de la République d’Irlande) disait que, avec l’Irlande du Nord, il y a déjà eu des contacts pour réunifier les deux Irlande. On sent bien que le premier problème est au Royaume-Uni.
Quelle attitude vont maintenant adopter les Vingt-sept pays à l’égard des Britanniques ?
On va devoir se demander comment garder un partenariat très fort, que ce soit sur le plan économique avec une zone de libre-échange, ou sur le plan culturel, sportif, etc.
A vous entendre, ce serait une erreur de vouloir les "punir".
On doit être constructif. Les Britanniques doivent comprendre qu’ils sont dehors, qu’ils n’auront plus rien à dire sur le fonctionnement de l’Union. Mais ce n’est pas parce qu’un pays est dehors qu’il n’est pas partenaire. On essaie d’avoir d’excellentes relations avec la Norvège, avec la Suisse, on vient d’avoir un accord de libre-échange avec le Canada (le Ceta) - j’espère d’ailleurs que tout le monde comprendra qu’il faut le mettre en œuvre (référence au blocage PS-CDH-Ecolo au Parlement wallon, NdlR). On va être confronté aux mêmes questions avec le Royaume-Uni. On a énormément d’entreprises belges qui exportent et investissent là-bas; et inversement.
Les Bourses ont dévissé ce vendredi en réaction au Brexit. C’est inquiétant, d’après vous ?
Les marchés sont très volatils. Il faut attendre pour voir si ça va vraiment se traduire par une récession ou si on peut contrer cette situation par une bonne relation et le maintien des échanges. J’espère que les Britanniques comprendront qu’ils doivent entrer très vite dans une négociation sur la manière de sortir de l’Union européenne et sur la manière de négocier en même temps de bonnes relations.
Y a-t-il déjà eu des premiers contacts à ce propos ?
Au conseil des affaires générales, ce vendredi, on a été un peu étonné d’apprendre que le gouvernement britannique ne déposerait pas la notification de sortie de l’Union européenne tout de suite. Il faut pourtant démarrer au plus vite la négociation - quitte à avoir un calendrier de négociation avec peut-être un nouveau gouvernement - sinon on va rester dans une situation invraisemblable.
Quels problèmes pourraient apparaître ?
Par exemple, la présidence slovaque va démarrer le 1er juillet. Mais avec quelle capacité de décision ? Il doit aussi y avoir un travail pour préparer la présidence britannique de l’Union l’année prochaine. On a du mal à imaginer qu’on va la mener…
Vous trouvez que les Britanniques ne devraient pas avoir la présidence tournante de l’Union et passer la main à un autre pays ?
Il faut en tout cas qu’ils assument leur décision, qu’ils la notifient à l’Union européenne, que l’on commence les négociations sur la sortie, et que l’on voie comment on va gérer la situation dans les deux ans qui viennent (c’est-à-dire la durée de la négociation telle que prévue par les traités européens, NdlR).
Comment l’Union européenne pourrait-elle sortir par le haut du Brexit alors qu’il y a de plus en plus de poussées nationalistes et populistes dans ses Etats membres ?
On doit relancer la dynamique européenne. J’ai une réunion ce samedi, à Berlin, avec les six pays fondateurs (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, France, Italie, Allemagne, NdlR) après déjà deux autres rencontres à Rome et à Bruxelles. L’idée est de travailler sur trois volets. Premièrement : montrer que l’on peut avancer de manière concrète et pratique sur une série de dossiers qui renforceront l’action européenne. Ça peut être sur le marché intérieur (économie digitale, énergie, etc.), sur l’union économique et monétaire (politiques fiscales et sociales, union bancaire), sur la migration, sur la politique de sécurité et de défense, etc. On doit essayer de travailler sur ces thèmes à 27, ou, à défaut, avec des groupes plus restreints, comme les 19 pays de la zone euro, l’espace Schengen, ou les six pays fondateurs.
Quels sont les deux autres volets de ce processus visant à redynamiser l’Europe ?
Le deuxième consiste à avoir une réflexion sur la légitimité démocratique de l’Union, renforcer le lien entre les citoyens et les institutions afin de lutter contre le sentiment actuel de rejet - on l’a vu au Royaume-Uni, mais pas seulement… Je souhaiterais qu’aux prochaines élections européennes (en 2019), on puisse avoir un certain nombre de députés du Parlement européen élus sur l’ensemble de l’Union. On aurait une circonscription électorale européenne, à l’image de la circonscription fédérale pour laquelle je plaide en Belgique. On sortirait alors du débat pays par pays pour avoir une campagne électorale sur l’ensemble de l’Europe. Enfin, le troisième volet, c’est celui des valeurs. J’ai proposé que, à côté du contrôle des budgets, on ait aussi un contrôle de l’état de droit dans les Etats membres.
Vous visez la Hongrie et la Pologne, là ?
On ne doit pas uniquement s’énerver quand il y a un problème en Hongrie ou en Pologne. Je pense qu’on doit pouvoir parler de la démocratie, de l’état de droit, de la façon d’organiser les libertés dans l’ensemble de l’Union.
Après le Brexit, craignez-vous un effet domino dans d’autres pays européens ? Marine Le Pen en France ou Geert Wilders aux Pays-Bas, donc dans deux des six Etats fondateurs, ont déjà réclamé un référendum de sortie chez eux.
J’ai toujours une inquiétude. On sait très bien qu’il y a énormément de mouvements qui sont opposés au projet européen. Il y a aussi une crise économique qui dure depuis dix ans, une crise de la sécurité, de la migration… Ce sont des sujets fertiles pour les mouvements populistes, tant d’extrême droite que d’extrême gauche. Cela montre bien qu’il faut trouver une formule pour avancer sur des projets concrets et montrer des évolutions.
Existe-t-il un consensus sur le projet européen au sein du gouvernement belge ? Jeudi, à la Chambre, on a pu constater que la vision fédéraliste du MR est très différente de celle de la N-VA, plus souverainiste.
Le consensus, il peut se trouver lorsque l’on discute de thèmes concrets sur lesquels on peut avoir une position commune. Au niveau du gouvernement belge, on arrive à partager une vision sur des thèmes comme la sécurité, les mesures de relance économique ou de réformes sociales, les mesures de lutte contre les dérapages en matière d’immigration et en même temps sur l’accueil des réfugiés. Si on est très concret, ce sera plus évident de construire le projet européen.