"A l’âge de 20 ans, les Chinoises ont déjà avorté 2 fois"

L’amour existe-t-il en Chine ? Comment fonctionnent les ‘marchés de célibataires’ ? Les parents interviennent-ils encore dans le choix et les critères des futurs époux ? Vivre son homosexualité, est-ce socialement accepté ? Dans le livre ‘China Love’, le grand reporter et spécialiste de la Chine, Dorian Malovic, dresse un portrait de la vie intime des Chinois et évoque leur manque d’éducation sexuelle. Entretien avec Dorian Malovic.

Dorian de Meeûs

L’amour existe-t-il en Chine ? Comment fonctionnent les ‘marchés de célibataires’ ? Les parents interviennent-ils encore dans le choix et les critères des futurs époux ? Vivre son homosexualité, est-ce socialement accepté ? Dans le livre ‘China Love’, le grand reporter et spécialiste de la Chine, Dorian Malovic, dresse un portrait de la vie intime des Chinois et évoque leur manque d’éducation sexuelle. Entretien avec Dorian Malovic.

Pour enquêter sur les relations amoureuses des Chinois, il fallait qu’ils se confient à vous. Avez-vous eu du mal à les convaincre ?

Non, les femmes chinoises n’éprouvent aucune difficulté à se confier sur leurs relations amoureuses. Dès que la confiance est créée autour de l’objet de mon enquête, elles sont ouvertes à la discussion. Les paroles de femmes représentent même 80% des témoignages individuels recueillis. Dans les ‘marchés de célibataires’, il est aussi facile d’aborder ce sujet ouvertement.

"A l’âge de 20 ans, les Chinoises ont déjà avorté 2 fois"
©DR

Comment fonctionne un tel marché de célibataires en Chine ?

Comme son nom l’indique, c’est un lieu à ciel ouvert dans les parcs des grandes et petites villes de toutes les provinces chinoises où se rendent le week-end les parents ou les jeunes pour poser des affichettes présentant les profils de jeunes femmes et hommes qui recherchent leur âme-sœur/frère. Les Chinois viennent y consulter les dernières petites annonces. C’est un moyen d’entrer en contact avec des célibataires.

En Chine, est-ce mal vu d’être célibataire ?

C’est une question fondamentale, car la famille est le socle de la société chinoise… et un célibataire se retrouve vite tout seul. Cette solitude est perçue comme une forme de déséquilibre par rapport aux autres. Les Chinois estiment qu’on ne peut pas fonctionner en restant seul. Le mariage est au cœur de la culture chinoise, il faut donc y fonder une famille et trouver son équilibre. Si l’actuelle révolution sexuelle permet une forme de concubinage, elle reste largement minoritaire. Les jeunes ne l’avouent pas toujours ou alors les parents finissent par imposer le mariage.

Les parents interviennent-ils encore dans le choix de l’époux ou de l’épouse ?

Ils poussent les profils qu'ils jugent idéaux: fonctionnaire, soldat, docteur... Une fille peut refuser à plusieurs reprises mais elle devra bien céder si la situation s’éternise! Imposer son choix est possible sauf si le décalage social est trop grand. Les parents arrangent et multiplient les rencontres qu'ils choisissent. Par contre, ils interviennent très fortement dans le choix de se marier. Ils estiment qu’à un moment donné, il faut perpétuer la famille. Marier ses enfants est socialement perçu comme un devoir. En dépit de la modernisation de la société chinoise et de l’explosion des nouvelles technologies, ils interviennent, presque par tradition.

Par contre, dans le choix de l’époux, des critères matériels semblent l’emporter sur les sentiments…

La tendance lourde aujourd’hui, c’est que cette société chinoise qui s’est enrichie ne se sent pas encore sécurisée. Par conséquent, le mariage -soit l’alliance entre deux familles- est une façon de sécuriser le couple. En ce sens, le critère de base ne tient pas compte des sentiments. Ce qui importe, c’est de posséder un appartement, une voiture, un travail et un salaire. Si les sentiments viennent après, tant mieux, mais ce n’est pas essentiel. Cela explique aussi l’immense succès des agences matrimoniales et des sites internet de rencontres. Le gouvernement reconnaît et soutient ce business qui rapporte beaucoup d’argent.

Vous écrivez d’ailleurs que les femmes chinoises ne peuvent pas aborder un inconnu en rue sans être perçue comme une prostituée…

Cela fait partie de cette vision culturelle qui fait qu’on ne parle pas à un inconnu dans la rue, sauf si c’est pour demander le chemin. Contrairement à chez nous, en Chine, les filles et les garçons ne draguent jamais spontanément dans des lieux publics.

La loi sur l’enfant unique a fait qu’il y a plus d’hommes que de femmes. Cet écart de 10% influence-t-il aussi la vie affective des Chinois ?

Il y a un déséquilibre de fait, mais aussi de répartition car les femmes désertent les campagnes massivement. Les opportunités de travail sont plus importantes en ville. Cela a pour conséquence que des millions d’hommes se retrouvent seuls et célibataires à la campagne. En ville, les filles sont très heureuses d’avoir un choix important. Par conséquent, que ce soit en ville ou à la campagne, les hommes sont un peu perdants sur le plan sentimental.

Quelle est la législation actuelle sur l’enfant unique ?

Cette loi, lancée en 1979 lorsque l’on a réalisé que la politique nataliste de Mao avait fait exploser la natalité du pays, a fini par poser un problème face à l’augmentation de l’espérance de vie et le nombre important de personnes âgées. Au départ, tous les fonctionnaires ne pouvaient avoir qu’un seul enfant, mais cette règle n’a pas été appliquée de manière uniforme. Pour renflouer la masse des jeunes, tout le monde peut à présent avoir deux enfants. Ce changement de loi ne va pas forcément révolutionner les choses, car avoir plusieurs enfants représente un coût important pour les familles (enseignement, soins de santé et immobilier). De plus, quelle que soit la législation, en Chine, tout est possible, même ce qui est interdit !

Bref, tout s’achète ?

Il existe une façade avec le règlement officiel qui est très stricte, mais derrière cette façade, il y a plein de moyens de contourner la règle. Et tout le monde parviendra à contourner les lois les plus strictes. La corruption existe à tous les niveaux du pouvoir et les Chinois l’ont parfaitement intégré. Les campagnes anti-corruption frappent fort depuis trois ans, mais il est encore possible d’obtenir des tas de choses par la corruption.

Les homosexuels sont-ils acceptés dans la société chinoise ?

La communauté homosexuelle est massive et visible. Les couples gays se promènent dans la rue, mais pas forcément main dans la main, et fréquentent des bars gays. Cela ne pose aucun problème réel en matière de choix sexuel, car en l’absence de religion moralisante, toutes les sexualités sont acceptables en Chine. Puis, le bouddhisme ne s’exprime pas sur la vie sexuelle des gens. Par contre, le problème des homosexuels est qu’ils doivent avoir un enfant pour répondre à l’obligation sociale de fonder une famille. Du coup, cette difficulté se présentera bel et bien à eux. Ils devront dès lors contourner le problème en s’arrangeant discrètement entre couples lesbiens et gays, ou en faisant appel - illégalement et discrètement - à une mère porteuse. Comme chez nous, l’homosexualité n’est pas toujours aussi bien acceptée dans les provinces éloignées et rurales, mais la cause homosexuelle évolue clairement…

Pourquoi dites-vous que la société chinoise est sexuellement infantile ?

Même s’il n’existe pas de statistiques officielles du gouvernement chinois en la matière, il ressort de mes rencontres avec de nombreux médecins et jeunes, que les Chinoises avortent énormément vers 17-20 ans. A l’âge de 20 ans, elles ont déjà avorté deux fois en moyenne. L’avortement est considéré en Chine comme un moyen de contraception classique, il peut donc se faire très tardivement lors d’une grossesse. Il permet à certains aussi de préférer la future naissance d’un garçon. Quand on entre dans une maternité, on trouve systématiquement deux portes, celle pour l’accouchement et celle pour l’avortement. Les jeunes sont très peu informés sur la sexualité en général, que ce soit en ville ou à la campagne. Les parents n’éduquent pas leurs enfants à la sexualité et les mères ne préparent pas leurs filles à l’arrivée des règles.

L’enseignement officiel ne prévoit rien en la matière ?

Dans les cours de sciences naturelles, les éducateurs expliquent certaines fonctionnalités sans entrer dans les détails. Les jeunes hommes ne savent pas trop comment sont faites les femmes. A travers la loi de l’enfant unique, la pilule est répandue mais déconseillée pour sa médiocre qualité et ses effets physiques sur le corps. Certains essaient aussi de respecter le calendrier des menstruations pour prévoir des rapports aux bons moments sans contraception. Le manque d’éducation sexuelle leur fait faire de nombreuses erreurs. De plus, il n’y a pas de religion moralisante pour influencer ce phénomène.

Donc, ils ont des rapports sexuels particulièrement jeunes ?

La révolution sexuelle est en cours et s’installe largement. On constate ainsi qu’une grande majorité des Chinois ont dorénavant des relations sexuelles avant le mariage. De plus, de nombreuses étudiantes utilisent leurs corps pour gagner de l’argent pendant leurs années d’études à travers la prostitution, des massages érotiques ou des rôles de courtisanes. Cela explique en partie pourquoi les ‘kits de virginité’ se vendent bien dans certaines boutiques. Ce drôle d’objet, sorte de stérilet très fin avec une dosette de liquide rouge, permet de simuler la perte de sang lors du premier rapport sexuel avec l’homme de leur vie. C’est une façon de tirer un trait sur un passé trouble.

Entretien : Dorian de Meeûs

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