Pourquoi Poutine menace Washington
Le président russe liste une série de demandes insensées. Analyse.
- Publié le 05-10-2016 à 07h37
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Vladimir Poutine vient de présenter à la Douma, qui pourrait se prononcer ce mercredi, un projet de loi suspendant jusqu’à nouvel ordre l’accord, signé en 2000 entre lui-même et Bill Clinton, sur le recyclage des quantités excédentaires de plutonium. Cette initiative s’explique, selon le président russe, "par l’émergence d’une menace sur la stabilité stratégique en raison des actions inamicales des Etats-Unis à l’égard de la Russie".
Pour éviter le triste sort fait à cet accord de non-prolifération nucléaire, Washington est appelé à faire une série de concessions qui ont tout de fourches caudines. Tout d’abord, Vladimir Poutine réclame des Etats-Unis qu’ils ramènent leurs forces dans les Etats baltes, en Roumanie et en Bulgarie au niveau de l’année 2011. Ensuite, il exige l’abolition de la loi Magnitski (qui prévoit des sanctions financières et des interdictions de visa contre les fonctionnaires russes suspectés d’être impliqués dans le décès de l’avocat), ainsi que de celle sur le soutien à la liberté de l’Ukraine adoptée en 2014.
Mais ce n’est pas tout. La Russie exige aussi l’annulation des sanctions contre les personnes physiques et morales russes, ainsi que le paiement d’un dédommagement pour les souffrances encourues. Elle veut de surcroît être indemnisée pour les pertes entraînées par les contre-sanctions qu’elle a elle-même ordonnées contre Washington, alors que le gouvernement russe ne cesse de répéter que l’économie nationale n’a nullement souffert à la suite de ces mesures.
Et enfin, Moscou veut que les Etats-Unis lui présentent un plan de recyclage irréversible du plutonium.
Quelle stratégie ?
Mais que cherche le président Poutine en présentant des requêtes tellement rocambolesques qu’on ne peut les taxer d’ultimatum sérieux ? Cherche-t-il à provoquer une rupture définitive de la coopération avec les Américains pour avoir les mains libres en attendant la victoire éventuelle de Donald Trump ? Ou s’agit-il de la manifestation d’une déception générale face au comportement des partenaires occidentaux ?
Par son geste, la Russie entend signifier qu’elle est profondément blessée, considère Alexeï Makarkine, du Centre de technologies politiques. Il ne croit pas, pour autant, qu’il existe un quelconque plan stratégique derrière la démarche russe.
Cependant, si l’on prend en considération les problèmes intérieurs de la Russie, cet ultimatum apparemment insensé, lancé aux Etats-Unis, est plus rationnel qu’il n’y paraît. La semaine passée, les habitants de Moscou ont appris qu’ils pouvaient subir sans dommage n’importe quel bombardement, dans la mesure où le métro de la capitale peut abriter toute sa population. Jamais encore dans l’histoire postsoviétique le métro n’avait été envisagé sous cet angle.
En plus, mardi dernier, ont commencé les manœuvres de la défense civile à l’échelle nationale qui vont mobiliser pendant quatre jours quarante millions de citoyens.
Le plus paradoxal dans cette série de mesures auxquelles les autorités voudraient donner un caractère de plus en plus belliqueux, c’est la profonde indifférence de la population qui semble comprendre qu’elle participe à un jeu. Certes, l’euphorie patriotique n’a pas disparu et la majorité de la population reste persuadée que tout l’Occident déteste les Russes, mais les problèmes sociaux et matériels sont de plus en plus présents dans la vie quotidienne. Si cela continue trop longtemps, le pouvoir aura à choisir entre un retour au bon sens et un isolement complet…