En Bulgarie et en Moldavie aussi, il existe un rejet de l’establishment
Les gagnants des présidentielles en Europe orientale ont bénéficié du rejet des partis au pouvoir. Analyse.
- Publié le 16-11-2016 à 14h10
- Mis à jour le 16-11-2016 à 14h14
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"La Russie remporte les élections en Bulgarie et en Moldavie", annonçaient plusieurs médias au lendemain des scrutins présidentiels qui se sont déroulés dans les deux pays ce dimanche. Côté bulgare, le candidat socialiste Roumen Radev, qui considère la Crimée comme "de facto russe" et appelle à la fin des sanctions contre Moscou, s’est imposé contre toute attente face à Tsetska Tsatcheva, la pro-européenne radicale soutenue par le Premier ministre Boïko Borissov. A Chisinau, "l’homme de Poutine", Igor Dodon, qui propose un référendum sur l’orientation géopolitique du pays, a obtenu 52 % des voix, écrasant la réformatrice libérale Maia Sandu. De quoi conclure que Bulgares et Moldaves plaident pour un rapprochement avec la Russie ? L’analyse de ce vote est un peu plus complexe.
1. Un enjeu géopolitique modéré. Certes, la Moldavie, petit pays de 3,5 millions d’habitants, est depuis toujours déchirée entre le camp pro-européen - comprenant ceux qui rêvent de s’unir avec la Roumanie - et celui pro-russe. "Nous avons une population polarisée, dont l’obsession pour la géopolitique s’exacerbe au moment des élections. Ceux qui pensent qu’ils peuvent mettre de côté cet aspect, en parlant plutôt de politiques sociales ou économiques, se trompent", tranche Igor Munteanu, directeur du centre d’études Idis de Chisinau. Reste que "cette présidentielle n’a pas été une confrontation entre l’Est et l’Ouest", affirme Iulian Chifu, directeur du Centre roumain pour la prévention des conflits. "Car Maia Sandu ne s’est pas affirmée comme une candidate pro-européenne. Tandis qu’Igor Dodon dit être pro-moldave avant tout." Ce dernier n’a d’ailleurs jamais fait campagne sur un rejet radical de l’Europe, plaidant plutôt pour des bonnes relations avec l’Union et avec Moscou. Concilier les deux est également le souhait du socialiste bulgare Radev qui soutient qu’une "appartenance de la Bulgarie à l’Otan" n’exige pas d’être "un ennemi de la Russie". Dans un pays anciennement surnommé "la 16e République de l’URSS", "la russophilie est une tradition", indique Parvan Simeonov, directeur de l’institut Gallup en Bulgarie. La preuve : "Si Radev est différent de l’actuel président qui est strictement pro-européen, il se rapproche de Borissov qui fait de l’équilibrisme entre Moscou, Bruxelles, Washington et Ankara", précise M. Simeonov. Voir la Moldavie, liée à l’UE par un accord de libre-échange, et la Bulgarie, membre de l’Union, se jeter dans les bras de la Russie n’est donc pas pour demain, d’autant que, dans ces deux pays, les présidents ont des pouvoirs limités.
2. Un vote de sanction. Mais les citoyens n’en ont pas moins profité du vote pour exprimer leur déception à l’égard des partis au pouvoir. Côté moldave, la "casse du siècle" - désignant l’évaporation d’un milliard de dollars des caisses de trois banques - a eu lieu sous le nez des partis dits "pro-européens", censés moderniser le pays, consolider l’Etat de droit et la démocratie. "Ces partis ont perdu leur crédibilité. Ils ne sont même plus pro-européens. Ils forment une bande de fous qui ont déçu. Et le vol du milliard a été une opportunité pour la Russie pour démoraliser l’électorat pro-européen et soutenir ceux qui s’associent au Kremlin", regrette M. Munteanu. "Dans un autre contexte, Dodon n’aurait pu se baser que sur l’électorat pro-russe; cette fois, il a pu bénéficier aussi de la déception à l’égard des partis pro-occidentaux", affirme l’analyste politique moldave Igor Volnitchi. La Bulgare Tsetska Tsatcheva a, quant à elle, subi les foudres d’un peuple insurgé contre le parti de Boïko Borissov, le GERB, dont les efforts en matière de lutte anti-corruption et de réforme du secteur public ont été jugés trop lents. "Le vote pour Radev est un vote de contestation de Borissov et anti-système. Un vote contre son orgueil, contre cette croyance qu’il allait rester au pouvoir pour toujours", affirme le politologue bulgare Antony Todorov. Ainsi, ce lundi, le chef du gouvernement, qui espérait asseoir son pouvoir avec la victoire de sa candidate, a-t-il démissionné, lançant sur un ton revanchard : "Vous avez voulu une crise, vous l’avez." Mais la population bulgare a surtout voulu du changement. Roumen Radev n’a rien de l’élite politique traditionnelle ou d’un politicien tout court. Cet ex-général de l’armée de l’air âgé de 53 ans est donc apparu comme une bouffée d’air frais aux yeux des électeurs. "Les votes moldave et bulgare démontrent un dégoût à l’égard de l’establishment, de ceux qui dirigent le pays. Ils s’inscrivent dans la montée du populisme en Europe", affirme M. Munteanu.
3. L’Union en proie à des crises. L’on ne peut s’empêcher de se demander si les victoires de Radev et de Dodon ne seraient pas aussi un signe de désenchantement vis-à-vis de l’Occident. Si le projet européen a toujours la cote auprès d’une majorité des Bulgares et des Moldaves, l’UE apparaît affaiblie par de multiples crises. "On voit la crise d’identité que traverse l’Union, la crise migratoire, le défi du terrorisme. Et on voit l’incertitude qui règne désormais aux Etats-Unis. Tout cela aboutit à une contestation du consensus pro-occidental et pro-libéral" , analyse M. Simeonov. Sofia, espérant toujours intégrer l’espace Schengen, et Chisinau, hanté par la guerre ukrainienne, se sentiraient presque abandonnées par une Union qui aurait d’autres chats à fouetter. Comme l’explique M. Volnitchi, "ceux qui cherchent à discréditer l’idée de l’intégration européenne disent : ‘l’UE vous laisse sur le côté, donc soit vous vous débrouillez tout seul soit vous vous tournez vers d’autres partenaires’".