Législative en Roumanie, la tentation des extrêmes
Publié le 09-12-2016 à 07h50 - Mis à jour le 09-12-2016 à 09h36
"Nos membres n’ont aucune expérience en politique." Tel est l’argument brandi par l’Union Sauvez la Roumanie, née il y a quelques mois à peine, pour rivaliser avec les partis traditionnels lors des élections législatives du 11 décembre. Après tout, dans un pays où le dégoût pour une classe politique perçue comme corrompue, malhonnête et incompétente ne cesse de grandir, une liste composée de chercheurs, activistes, entrepreneurs et économistes a de quoi séduire. "Chaque électeur doit se demander si être nouveau en politique est plus important qu’être expérimenté et corrompu", tranche Vlad Alexandrescu. Ce professeur de littérature française a d’abord intégré le gouvernement technocrate de Dacian Ciolos en tant que ministre de la Culture avant de rejoindre les rangs de l’USR.
"Je ne me serais pas lancé en politique si ce parti, qui lutte simplement pour une victoire de la normalité dans la vie publique, pour une politique plus honnête, n’avait pas existé", explique-t-il. Avec un financement basé sur des dons, des nouveaux visages de différentes sensibilités politiques et des listes excluant toute personne ayant un passé judiciaire, l’USR est un ovni sur la scène politique roumaine. En quelques mois, ce parti, créé par Nicusor Dan - mathématicien qui, en 2008, luttait pour sauver le patrimoine architectural de Bucarest de la gourmandise des promoteurs immobiliers - aurait réussi à rallier près de 5,7 % des électeurs à sa cause. Et s’il se retrouve dans la coalition de majorité, l’USR propose, tout comme les Libéraux, de garder Dacian Ciolos à la tête du gouvernement pour continuer sa politique "zéro corruption, zéro populisme, zéro mensonges".
Mais la lutte contre la tradition du bakchich, censée occuper le centre des débats, doit désormais rivaliser avec le vent nationaliste et conservateur qui souffle sur la Roumanie. Aucun parti n’a osé, par exemple, s’aliéner des électeurs en s’opposant à une éventuelle modification de la Constitution, proposée par 26 associations, pour y inscrire le principe de la famille "traditionnelle". Pas même l’USR, un de ses membres, la Française Clotilde Armand, se déclarant favorable au modèle "une maman, un papa". "Ce débat a imposé une ligne conservatrice aux débats politiques de 2016. C’est une victoire des ultraconservateurs. La Roumanie est la dernière en date à subir ce phénomène que l’on observe déjà en Pologne, en Slovaquie, en Hongrie, en Croatie", observe le politologue Cristian Pirvulescu.
Le populisme pointe son nez
L’émergence sur la scène politique du Parti Roumanie unie (PRU), formé par des "dissidents" du Parti social-démocrate (PSD), en est la preuve concrète, même si rien ne dit qu’il parviendra à dépasser le seuil obligatoire des 5 % pour entrer au Parlement. Ce parti extrémiste, xénophobe et pro-russe s’oppose aux minorités hongroises présentes sur le territoire et propose de créer une milice dénommée "la Patrouille de Vlad Tepes", du nom de Vlad l’Empaleur, empereur à l’origine de la légende de Dracula. "Le PRU dit tout haut ce que nous pensons tout bas", a récemment déclaré l’ancien Premier ministre socialiste Victor Ponta.
De quoi laisser entendre que les socialistes - crédités de 44 % des intentions de vote malgré leur incapacité à proposer un nom pour la fonction de chef du gouvernement après le refus du président Klaus Iohannis d’y nommer une personne inquiétée par la justice - n’échappent pas non plus à la tendance populiste. "Ils défendent des idées proches de l’illibéralisme, inspirées du style russe, telles que les attaques contre les institutions européennes et les ONG. De plus, les garanties liées à un bon fonctionnement de l’Etat de droit ne figurent pas dans leur programme", souligne M. Pirvulescu. L’ancien président Traian Basescu, désormais membre du Parti du mouvement populaire, surfe également sur la vague populiste, s’insurgeant lui contre l’idée d’accueillir des réfugiés musulmans dans le pays.
Ainsi, la lutte anticorruption, qui dérange plus d’un politicien roumain, se voit-elle quelque peu éclipsée par des messages et des débats aux relents nationalistes. Mais elle reste malgré tout un enjeu crucial dans un pays où plus de 60 jeunes ont péri dans les flammes qui ont ravagé la discothèque Colectiv, dont l’autorisation de fonctionner n’était due qu’aux pots-de-vin distribués aux "bonnes" personnes.