En pleine nuit, le gouvernement roumain dépénalise l'abus de pouvoir
Publié le 01-02-2017 à 01h03 - Mis à jour le 01-02-2017 à 11h19
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Des dizaines de milliers de manifestants avaient envahi les rues, rejoints par le président Klaus Iohannis, des intellectuels avaient écrit et partagé des cartes blanches pour exprimer leur émoi, l’Union européenne avait fait part de ses inquiétudes dans le rapport lié au Mécanisme de coopération et de vérification. Mais rien n’y a fait.
Après avoir feint d’être ouvert au dialogue et même de faire marche arrière, le gouvernement social-démocrate roumain, en fonction depuis moins d’un mois, a adopté, dans la nuit et contre toute attente, deux ordonnances d’urgence qui visent à blanchir les politiciens corrompus. La décision a été annoncée ce mardi soir par le ministre de la Justice Florin Iordache, auteur du fameux “mardi noir”, jour de l’année 2013 où le Parti social-démocrate avait essayé une première fois d’octroyer secrètement une super immunité aux députés.
“Nous avons adopté une série de mesures qui permettent d’éviter une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme”, a-t-il déclaré, avant de rétorquer aux journalistes, étonnés par la précipitation dans laquelle cette décision a été prise, que le gouvernement choisit seul ses priorités et a le droit de modifier subitement l’ordre du jour.
En effet, le Parti social-démocrate a fait grand cas d’une certaine amende que devrait payer la Roumanie à cause du niveau alarmant de la surpopulation carcérale. Ainsi, ces ordonnances ne seraient-elles qu’une mesure destinée à désengorger les prisons. Sauf qu’elles ont également pour effet de modifier la définition du conflit d’intérêts, de dépénaliser plusieurs délits, dont l’abus de pouvoir qui provoque un préjudice inférieur à 45 000 euros, et de gracier quelque 2500 détenus, dont des élus purgeant des peines allant jusqu’à cinq ans de prison.
"Jour de deuil pour l'Etat de droit"
L’annonce a donc eu l’effet d’une bombe en Roumanie. M. Iordache a-t-il à peine terminé sa conférence de presse, que des milliers de citoyens avaient déjà envahi les rues. “Roumanie réveille-toi”, “Démission”, “Nous voulons des élections anticipées”, “Je refuse cet abus”, “Que le Parquet anticorruption vienne vous chercher”, ont-ils scandé aux quatre coins du pays.
A l’heure d’écrire ces lignes, ils étaient 12 000 à manifester dans la capitale, et plus de 10 000 dans les autres grandes villes du pays. Beaucoup espéraient encore empêcher la mise en oeuvre de ces ordonnances d’urgence, mais la publication de celles-ci, peu avant minuit, dans le Moniteur roumain a dissipé presque toutes les possibilités de mettre des bâtons dans les roues des sociaux-démocrates. Sur Facebook, le président Klaus Iohannis a qualifié ce 31 janvier de “jour de deuil pour l’Etat de droit. Cet Etat de droit qui a reçu un coup de la part des adversaires de la justice et de la lutte anticorruption. A partir d’aujourd’hui, ma mission sera de (...) faire de la Roumanie un pays libéré de la corruption. Je me battrai jusqu’au dernier jour de mon mandat pour cela”.
“Acte totalitaire, dictatorial, déclaration de guerre à l’égard de la justice, coup d’Etat”, … les analystes ont rivalisé de formules-chocs pour qualifier cette décision. Laura Codruta Kovesi, chef du Parquet anticorruption, a quant à elle estimé que ces ordonnances d’urgence "privent de sens la lutte anticorruption", entamée il y a dix ans et qui a depuis fait des ravages au sein de la classe politique.