Le Parlement européen approuve le Ceta : Et si le plus difficile ne commençait que maintenant?

Olivier le Bussy

Sans surprise, le Parlement européen a approuvé ce mercredi à Strasbourg l’Accord économique et commercial global (Ceta) entre l’Union et le Canada par 408 voix pour, 254 contre et 33 abstentions.
Le Parti populaire européen (PPE, droite et centre droit), premier groupe de l’hémicycle en importance, a voté ''pour'' comme un seul homme, à quelques rares exceptions, dont les Belges Claude Rolin (CDH) et l'élu germanophone Pascal Arimont.
Les libéraux et démocrates de Guy Verhofstadt ont également soutenu le texte, comme les Conservateurs et réformistes européens. Une large partie des eurodéputés du groupe des socialistes et démocrates (S&D) a également donné son blanc-seing au Ceta.

Dénonçant un traité qui sert, selon eux, les intérêts des multinationales au détriment de l'intérêt général, une soixantaine de socialistes (dont tous les Belges), les Verts et la Gauche unitaire européenne ont voté contre. Tout comme l’extrême droite, pour d'autres raisons. Cette opposition disparate n'a pas fait pas le poids.

Le Parlement européen ayant donné le feu vert au Ceta, l'accord pourrait entrer provisoirement et partiellement (sans le chapitre consacré aux investissements) en vigueur dès le mois d'avril.
Fin de l’histoire ? Pas si vite.

Un long et périlleux processus de ratification

Le Ceta est considéré comme un accord "mixte", c’est-à-dire recouvrant des compétences exclusives de l’Union et des compétences partagées avec les Etats membres. Pour le ratifier, chaque Etat membre devra recevoir l’assentiment des parlements nationaux et régionaux compétents - potentiellement, 38 assemblées parlementaires.

L’épisode belge de novembre - la Région wallonne, la Région bruxelloise et la Communauté française refusaient de "déléguer" au gouvernement fédéral le droit de signer le Ceta pour la Belgique - illustre à suffisance que le processus de ratification sera tout sauf une formalité.
La Région wallonne a d’ailleurs déjà menacé de ne pas ratifier l’accord si le gouvernement fédéral revient sur son engagement de solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du mécanisme d’arbitrage des différends entre investissements et Etats avec les traités européens.

De plus, dans plusieurs pays, les opposants au Ceta vont se mobiliser pour faire pression sur leurs élus. En Autriche, une pétition anti-Ceta ayant recueilli 562 000 signatures a été remise au Parlement. Aux Pays-Bas, des citoyens collectent des signatures pour obliger le gouvernement à tenir un référendum - le précédent, sur l'Ukraine, avait tourné à la confusion de La Haye.
En Allemagne, la Cour de Karlsruhe n’a autorisé l’application provisoire du Ceta que sous condition : l’Allemagne devra s’en retirer si la Cour juge le Ceta incompatible avec la Constitution.

En cas de refus d'un Etat membre, une situation inédite

Bref, les risques que le processus déraille ne sont pas minces. "Nous n’avons jamais été confrontés à un refus formel d’un accord commercial européen par un Etat membre. Ce serait une situation inédite", souligne Marianne Dony, professeur à l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles. "Les velléités d’un parlement national ou régional de faire échec à l’application définitive du Ceta risquent de butter sur l’écueil de l’application provisoire, qui ne sera pas remise en cause", estime le Pr Nicolas de Saedeleer de l’Université Saint-Louis.

La déclaration du Conseil des ministres de l'UE d'octobre 2016 sur le Ceta stipule que "si la ratification […] échoue de façon définitive […] l’application provisoire devra être et sera dénoncée".
Encore faut-il voir pourquoi la la ratification aurait échoué, le cas échéant. "Les Etats membres doivent respecter les compétences exclusives de l’Union", rappelle Marianne Dony. Ils ne peuvent, en principe, dénoncer une disposition du traité relative à ces compétences exclusives (droits de propriété intellectuelle liés à la politique commerciale commune, droit de la concurrence, marchés publics non liés au transport, investissements...).

Mme Dony observe cependant qu’il ne ne semble plus y avoir "aucune rationalité d’aucune sorte" en ce moment, dans les Etats membres, vis-à-vis de la politique commerciale européenne. 'Les Pays-Bas, par exemple, continuent de bloquer l’accord d’association avec l’Ukraine (rejeté par les Néerlandais suite à un référendum consultatif, NdlR), alors qu’ils ont obtenu toutes les garanties qu’ils demandaient" .
Et Marianne Dony d'ajouter : "La politique commerciale européenne, compétence exclusive de l'Union, est prise au piège des démocraties nationales et même de mouvements populistes. J'espère qu'on ne se rendra pas compte trop tard qu'on est en train de la tuer".

Politiquement, on ne serait pas devant le même scénario si le Ceta devait être rejeté par un "petit"  Etat membre - que l'on  pourrait "raisonner" plus facilement par le biais de garanties ou de protocoles - que par un "grand", ou par plusieurs pays. Ou suite au jugement d’une Cour constitutionnelle.
 "L’issue du processus reste tout à fait imprévisible" , prédit Marianne Dony .

La seconde saison de la saga du Ceta va commencer. Elle s'annonce agitée.

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