L’inévitable mise au ban régionale du Qatar
Publié le 07-06-2017 à 11h27 - Mis à jour le 07-06-2017 à 11h28
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Le richissime émirat paie sa politique trop "personnelle" vis-à-vis de ses partenaires de la région. Analyse.Pour brutal qu’il soit, l’isolement du Qatar est l’aboutissement de rivalités perceptibles depuis des années avec ses voisins du golfe Persique. En rompant leurs relations diplomatiques avec le richissime petit émirat et en le soumettant à un embargo total, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et leurs alliés, l’Egypte et le Yémen, entendent faire pression sur la politique très "personnelle" menée par Doha. Véritable électron libre du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le Qatar est connu pour mener une "diplomatie du chéquier" à travers le monde, nouant des relations diplomatiques ou commerciales privilégiées avec beaucoup de monde. Cette attitude adoptée par le Qatar, parfois en dépit de ses alliances régionales, a le don d’irriter ses partenaires. Ceux-ci veulent aujourd’hui le faire "rentrer dans le rang", estime le politologue Mathieu Guidère, professeur à l’université de Paris VIII et spécialiste de l’islamisme.
1 Un émirat connu comme un refuge d’islamistes
Historiquement de culture tribale et wahhabite (comme l’Arabie saoudite), le Qatar est devenu un refuge pour les islamistes, et en particulier les éminences des Frères musulmans (à l’image du prédicateur égyptien Youssef al Qaradaoui) ou les dirigeants de mouvements inspirés par cette confrérie, comme le Hamas palestinien (son chef historique, Khaled Mechaal, qui a récemment passé la main, y vit depuis cinq ans). L’appui financier assuré par le richissime émirat à la confrérie - qui a contribué à la faire apparaître comme l’unique force politique crédible dans la foulée des Printemps arabes - a valu au Qatar les critiques de ses partenaires du Golfe.
Les pétromonarchies considèrent l’idéologie frériste comme un danger pour leur propre survie. "Ce courant est vu comme une alternance crédible, à terme, à ces régimes monarchiques", relève la politologue Fatiha Dazi-Héni, spécialiste des monarchies de la péninsule arabique et chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem), interrogée mardi sur France Inter. Les monarchies du Golfe estiment que la confrérie "a ouvert la boîte de Pandore des islamismes lors des Printemps arabes et qu’elle est la cause de toutes les turbulences observées dans le monde arabe et musulman", souligne Mathieu Guidère, auteur de "La guerre des islamismes" (Gallimard, 2017).
2 Une relation conciliante et intéressée avec l’Iran
Le Qatar, qui partage avec l’Iran la plus grande poche de gaz au monde (sous le golfe Persique), entretient des relations "d’intérêt" avec la République islamique chiite, ennemi juré de Riyad. L’Arabie saoudite, chef de file du sunnisme en tant que détenteur des deux principaux lieux saints de l’islam, a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran en janvier de l’an dernier après le saccage de ses représentations iraniennes suite à l’exécution d’un chef religieux chiite en Arabe saoudite. "Le Qatar ne peut pas se permettre de se brouiller avec l’Iran puisqu’il exploite la moitié du champ gazier et c’est sa première ressource", précise M. Guidère. Les récentes déclarations conciliantes de l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al Thani, à l’égard de l’Iran à l’occasion de la réélection de Hassan Rohani à la présidence ont jeté de l’huile sur le feu.
3 Des accusations d’appui au terrorisme et à l’extrémisme
Le récent voyage de Donald Trump en Arabie saoudite a donné aux monarchies du Golfe le prétexte et les coudées franches pour agir contre le Qatar, accusé d’appui aux groupes terroristes en Syrie. "Quand Trump est allé en Arabie saoudite, il a remis en place le pacte du Quincy (du nom du croiseur américain où fut scellée l’alliance en 1945, Ndlr) qui lie les Américains et les Saoudiens de manière très puissante, grâce à des contrats de plus de 300 milliards de dollars" , rappelle M. Guidère. "L’idée est de réaffirmer une alliance entre les monarchies sunnites et Israël, contre l’Iran chiite", laquelle avait disparu sous Obama.