Le "soft power" chinois va jusqu’à Huy
- Publié le 23-06-2017 à 19h49
- Mis à jour le 16-04-2020 à 15h52
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Des experts sont venus y donner leur vision du Tibet, un exemple des efforts de Pékin pour redorer son blason.C’est une petite réunion, à l’hôtel de ville de Huy, qui n’a l’air de rien mais qui démontre les efforts que les autorités chinoises sont prêtes à mobiliser pour améliorer l’image de leur pays à l’étranger. La salle des mariages a accueilli jeudi une délégation chargée, sous la houlette du président de la société chinoise d’anthropologie Hao Shiyuan, de donner sa vision de "l’histoire et la réalité du Tibet".
Il s’agissait de démontrer que les autorités chinoises avaient sorti les Tibétains du Moyen Age, qu’elles leur avaient apporté l’éducation et offert "une aide généreuse" pour mettre leur région sur la voie de la modernisation. Il s’agissait aussi d’assurer qu’elles respectaient leur liberté religieuse et que, derrière la demande d’une "autonomie véritable" pour tous les Tibétains (la moitié vivant hors de la région dite "autonome"), se cachaient des revendications indépendantistes du Dalaï-lama.
Il n’a, en revanche, pas été question de raconter que le développement bénéficiait bien plus aux Hans qu’aux Tibétains, ni que les nomades étaient sédentarisés de force, ni que le tibétain et le chinois n’étaient pas enseignés à égalité dans le cursus scolaire, ni que les moines devaient dénoncer leur leader spirituel, ni même que les velléités de contestation se terminaient en prison.
La visite de cette délégation d’experts, qui dit avoir aussi rencontré le président de la Chambre, Siegfried Bracke, n’est pas anodine. C’est sur les hauteurs de la cité hutoise que l’institut tibétain Yeunten Ling enseigne le bouddhisme et permet à ses adeptes de pratiquer tous les actes du culte. On se souviendra aussi que feue Anne-Marie Lizin vouait une grande admiration au Dalaï-lama, qui s’est rendu ici à cinq reprises par le passé - la dernière en 2012. Le Prix Nobel de la paix avait même été fait citoyen d’honneur de la ville. Cinq ans plus tard, le son de cloche est donc tout autre, "grâce aux liens de très grande amitié avec l’ambassade de Chine que nous avons retissés par mon intermédiaire et tout le collège", s’est réjoui l’échevin Eric Dosogne.
Un "soft power" efficace
Pékin use avec brio de son "soft power", manière plus ou moins subtile d’influencer le monde sans user de ses armes. La dégradation des droits et libertés, depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, n’empêche pas la Chine de convaincre sur le terrain de la culture, du sport, des idées, de l’économie et de l’information. La parade du Nouvel An chinois, qui égaie les rues de Bruxelles depuis deux ans, en constitue une sympathique illustration. Le développement de réseaux médiatiques multilingues, avec CCTV ou Xinhua, sert cette cause également.
Tout comme les investissements directs que la Chine effectue massivement à l’étranger (ils ont bondi de 77 % en 2016 par rapport à 2015 dans l’Union européenne). Son projet de nouvelles routes de la soie, "One Belt One Road", visant à ressusciter l’antique réseau de voies commerciales entre l’Empire du milieu et le Vieux Continent, s’inscrit dans cette logique et séduit largement, en Europe centrale notamment (lire "LLB" du 1er juin 2017).
L’ouverture d’instituts Confucius, à l’origine culturels et linguistiques à l’image de l’Alliance française ou du British Council, constitue un autre bel exemple de la puissance convaincante chinoise. Il en existe près de cinq cents dans le monde, dont six en Belgique, la plupart liés à des universités (VUB, KUL, ULG, ULB). Sous couvert de promouvoir l’apprentissage de la langue chinoise, ils servent aussi à transmettre la bonne parole du parti communiste au sein même des institutions étrangères, jusqu’à censurer des sujets de discussion ou s’opposer à la venue d’invités, comme l’artiste Ai Weiwei ou le Dalaï-lama. La lecture de l’histoire diverge fortement entre les autorités chinoises et les enseignants occidentaux, au sujet du Tibet, du Xinjiang, de Taiwan ou du massacre de Tian’anmen, par exemple.
Certaines universités, comme Harvard, ont préféré ne pas se compromettre. Certaines , en France et aux Etats-Unis notamment, ont rompu leurs accords pour ne pas devoir sacrifier tout ou une partie de leur indépendance. D’autres encore ne se plaignent d’aucune situation conflictuelle. Une partie du corps professoral de l’ULB s’était fort ému des risques lorsque l’accord a été négocié, mais il n’avait pas réussi à convaincre les autorités académiques de renoncer à la manne financière qui s’annonçait. Il restera donc vigilant, en toute connaissance de cause.
Comme l’indiquait l’échevin André Deleuze lors de la conférence à Huy, "l’ignorance nourrit les préjugés".