Comment Liu Xiaobo est devenu un symbole
Décédé jeudi, le prix Nobel de la paix a consacré sa vie à la démocratie et aux droits humains.
Publié le 13-07-2017 à 19h44 - Mis à jour le 13-07-2017 à 19h49
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Simon Leys, qui savait de quoi il parlait, voyait en Liu Xiaobo, décédé jeudi à 61 ans, "un des esprits les plus brillants et les plus originaux de la nouvelle génération intellectuelle". Ce talent, les autorités chinoises ont estimé devoir le jeter en prison et l’y maintenir jusqu’à sa mort. Ce n’est que la seconde fois dans l’histoire qu’un prix Nobel de la paix meurt en détention - la première infamie de ce genre, c’était Carl von Ossietzky qui l’avait endurée, dans un camp de concentration de l’Allemagne nazie.
Cette comparaison, le régime communiste chinois aura tout fait pour l’imposer. Il est resté sourd jusqu’au bout aux supplications de la famille de Liu Xiaobo et aux appels des pays occidentaux pour que l’écrivain puisse recevoir à l’étranger les derniers soins que son cancer du foie en phase terminale pouvait requérir. Ou, plus exactement, pour qu’il puisse passer en liberté les ultimes moments d’une vie dont la moitié aura eu pour cadre les camps de travail, la prison et la résidence surveillée.
Une hospitalisation carcérale
Car, si Liu a pu quitter, à la fin juin, pour raisons de santé, la prison de Shenyang où il purgeait une peine de onze ans pour "subversion", il a été hospitalisé dans des conditions quasi carcérales. Seule son épouse, Liu Xia, était autorisée à le voir, un dispositif policier interdisant l’accès à toute autre personne, journalistes bien sûr, mais aussi proches et amis. Le personnel de l’hôpital devait même affirmer ne pas connaître de patients du nom de Liu Xiaobo.
Seuls deux médecins étrangers (un Allemand et un Américain) ont été autorisés à examiner brièvement le dissident, le week-end dernier. Ils en ont retiré l’impression que c’était l’appareil de sécurité, et non les médecins, qui décidait du traitement administré à Liu. "Le gouvernement chinois porte une lourde responsabilité dans sa mort prématurée", a estimé jeudi le Comité Nobel, en s’étonnant que le lauréat du prix 2010 n’ait pas été correctement soigné avant que son état ne se dégrade de façon irréversible.
Un homme d’une grande naïveté
C’est l’évidence même, mais ce qui l’est tout autant, c’est que Liu Xiaobo n’aurait pas dû être emprisonné. Lui-même ne l’avait jamais envisagé, a révélé son épouse dans un témoignage vidéo bouleversant parvenu en Occident. Parce qu’il était naïvement confiant dans l’état de droit que le parti communiste affecte de mettre en place parallèlement aux réformes économiques menées depuis la mort de Mao.
Parce que Liu Xiaobo n’a pas recouru à la violence. Il n’a rien détruit, n’a pas commis d’attentats. A la différence du régime communiste chinois, qui a sur la conscience des dizaines de millions de morts (les Cent Fleurs, le Grand Bond en avant, la Révolution culturelle, etc.), il n’a jamais tué personne. Il a, en revanche, écrit des textes qui n’ont pas eu l’heur de plaire au parti unique au pouvoir à Pékin. Mais cela, en principe, la Constitution chinoise le permet.
Liu n’avait, certes, pas le sens du timing. Quand il fut, en décembre 2008, un des inspirateurs de la "Charte 08" (un manifeste pour une Chine démocratique), Pékin baignait encore dans la gloire des Jeux olympiques organisés au cours de l’été précédent. Mais la ville se préparait aussi à affronter, en juin 2009, le douloureux et potentiellement dangereux vingtième anniversaire de la répression de la place Tian’anmen. Il fallait d’autant moins laisser les passions politiques s’enflammer; Liu avait été un des meneurs de la contestation, ce qui lui avait valu un premier séjour en prison.
"Qu’on donne des prix à ceux qui proposent de redresser des abus, de prouver une injustice, de repousser l’autorité qui opprime, qui font une belle action", recommandait le Prince de Ligne en son siècle. Le Comité Nobel considéra que le "long combat pacifique" de Liu méritait un prix. Le lauréat, emprisonné, ne put jamais le recevoir. Malgré quoi, concluait jeudi la présidente du Comité, Berit Reiss-Andersen, "nous sommes profondément convaincus que Liu Xiaobo restera un symbole pour tous ceux qui luttent pour la liberté, la démocratie et un monde meilleur".