RDC : et pendant ce temps-là, le chaos avance
- Publié le 14-03-2018 à 12h00
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Les derniers soubresauts politiques (la loi électorale modifiée en faveur du parti présidentiel PPRD; l'opposition qui se recompose; les marches pacifiques de chrétiens réprimées dans le sang) et économiques (chute du franc congolais de plus de 30% en un an, adoption d'un code minier révisé) en République démocratique du Congo (RDC) ont occupé l'avant-plan de l'actualité, ces derniers mois. Relégués à l'arrière-plan, les soulèvements et crises humanitaires ne se sont pourtant pas effacés pour autant. Au contraire.
Globalement, la situation au Congo confirme sa propension à devenir "la plus forte urgence" dans le monde en 2018, comme le redoutaient les agences de l'Onu fin 2017, année où elle a été comparée à celle de pays en guerre comme la Syrie ou l'Irak. Selon le rapport du 1er mars 2018 du secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, "13,1 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire et d'une protection, soit deux fois plus qu'en 2017". Parmi celles-ci, "7,7 millions de personnes souffrent d'une grave insécurité alimentaire", dont 2 millions d'enfants atteints de malnutrition sévère aiguë, dans un pays qui n'exploite que 10% de ses terres arables (1% seulement du budget est réservé à l'agriculture, dont seule la moitié est effectivement décaissée).
Des conflits de plus en plus nombreux
Au cours des derniers mois, 2,2 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays en raison de plusieurs conflits locaux, note encore M. Guterres, ce qui porte le nombre total de déplacés intérieurs à 4,5 millions de personnes, "un nombre record en Afrique".
Ces conflits intérieurs sont d'abord ceux régnant au Nord- et au Sud-Kivu, où la violence n'a jamais cessé depuis les années 90 et où l'activité de dizaines de groupes armés s'est accrue au cours de la dernière année. Depuis septembre 2017 s'y est ajoutée une insurrection anti-Kabila dans la région d'Uvira (cité qui n'a alors échappé à la capture que grâce à l'intervention militaire des casques bleus), nommée "Alliance article 64" (article de la Constitution qui donne l'ordre aux Congolais de se soulever contre ceux qui exercent le pouvoir en violation de la loi fondamentale, comme le fait le président hors mandat Joseph Kabila) ou Maï Maï Yakutumba ou Maï Maï Alleluia. En janvier, près de 8000 Congolais se sont réfugiés au Burundi et 1200 en Tanzanie pour fuir les combats entre les insurgés et l'armée congolaise - sans compter les déplacés intérieurs - créant une nouvelle crise humanitaire alors que les agences de l'Onu trouvent de plus en plus difficilement des fonds pour nourrir et protéger les déplacés congolais.
Ituri: mystérieux Motorola
Une autre crise a surgi en Ituri (nord-est du pays) depuis décembre 2017, avec des attaques inexpliquées de jeunes Lendus contre des villages d'ethnies différentes. Quelque 40.000 personnes ont fui en Ouganda et 32.000 dans la capitale provinciale de Bunia - dont les habitants redoutent d'être à leur tour victimes d'attaques inexpliquées et non revendiquées. Comme les jeunes assaillants lendus sont équipés de Motorola pour communiquer entre eux - appareils qu'ils sont trop pauvres pour se payer - des sources religieuses locales ont dénoncé une manipulation. La Communauté iturienne de Kinshasa, regroupant des membres de toutes les ethnies d'Ituri, souligne que ces violences "sont assez différentes du conflit qui oppose les ethnies Lendu et Hema depuis plusieurs décennies", conflit que l'on cherche apparemment à réveiller. Le fait que le président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), Corneille Nangaa, ait laissé entendre au début de l'année que ce conflit pourrait retarder les élections que le régime ne veut pas organiser depuis 2016, attise les soupçons de manipulation. A ce conflit s'ajoute, en Ituri, l'insécurité habituelle (pillages, viols, rapts, tortures) provoquée par la milice (essentiellement lendue) du FRPI.
Au Kasaï, les milices Kamwina Nsapu, soulevées depuis la mi-2016 contre l'Etat central qui néglige la région, ont repris du poil de la bête depuis que le gouvernement a annoncé officiellement les avoir défaites, le 1er septembre dernier; le bilan était alors de plus de 3000 morts et 1,4 million de déplacés. Selon le secrétaire général de l'Onu, les Kamwina Nsapu profitent du redéploiement au Kivu et en Ituri d'une bonne partie du contingent militaire envoyé au Kasaï en 2017. A côté des nouvelles attaques rebelles (contre l'aéroport de Kananga, contre un chef local, contre des militaires congolais), il faut déplorer à nouveau la répression aveugle par les militaires (incendie des maisons de ceux soupçonnés d'héberger des rebelles; meurtres gratuits; vols; le tout dénoncé par des abbés locaux). A cela s'ajoutent des affrontements entre la milice ethnique tchokwe Bana Mura - créée par les autorités congolaises en 2017 pour combattre les Kamwina Nsapu - et des populations lubaphones. De nouveaux déplacements "massifs" de populations ont lieu, selon le secrétaire général de l'Onu. L'Angola a expulsé fin février vers la RDC quelque 700 réfugiés kasaïens alors que, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés de l'Onu, les conditions de sécurité ne permettent pas de tels retours.
L'ex-Katanga menacé
Dans le Tanganyika (province issue du démembrement du Katanga) où, avait indiqué en janvier le ministre congolais de la Défense, l'armée a "mis un terme au conflit Bantous-Pygmées", rien n'est réglé, selon le rapport du secrétaire général de l'Onu, qui souligne que la province subit, en outre, "l'extension de la présence des Maï Maï Yakutumba" du Sud-Kivu voisin. Pire: les troubles s'étendent au Haut-Katanga où, indique M. Guterres dans son rapport du 1er mars, on assiste à "des combats entre les FARDC (l'armée conglaise) et le groupe de miliciens Elements". Ce dernier s'est constitué à partir de jeunes Lubas du Katanga en lutte contre les Pygmées; leurs affrontements ont provoqué la fuite de 14.000 Congolais en Zambie. Le Tanganyika seul compte quelque 630.000 déplacés (un habitant de la province sur 5). Plus généralement, beaucoup de gens se sont armés et les groupes armés qui avaient au départ des revendications politiques mélangent de plus en plus celles-ci avec le grand banditisme, comme au Kivu voisin.
Bref: le chaos est en marche.