"Un Brexit dur réintroduirait la question de la frontière avec l'Irlande du Nord"
- Publié le 10-04-2018 à 12h44
- Mis à jour le 10-04-2018 à 13h40
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Spécialiste des questions européennes, David Phinnemore enseigne à la Queen’s university de Belfast, en Irlande du Nord. Le futur retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne l’a amené à se pencher sur les implications possibles du Brexit sur l’Irlande et l’Irlande du Nord.
L’impact du Brexit sur l’île d’Irlande et ses éventuelles implications sur l’accord du Vendredi saint ont-ils été évoqués, lors de la campagne du référendum, au printemps 2016 ?
Je n’ai pas le souvenir que ces questions aient été soulevées au Royaume-Uni, à l’époque. Ce n’est qu’après que la classe politique a progressivement commencé à y réfléchir. Même en Irlande du Nord, la campagne du référendum est passée à l’arrière-plan, parce qu’il y avait des élections pour l’assemblée parlementaire qui retenaient l’attention.
Quel rôle a joué l’Union européenne dans la conclusion et la mise en œuvre de l’accord du Vendredi saint ?
Pour ce qui est de la conclusion de l’accord, le rôle de l’UE a été marginal. Ce qui est évident, toutefois, c’est que ceux qui négociaient partaient du principe que le Royaume-Uni et l’Irlande resteraient membres de l’UE, et c’était un élément important de l’accord. Certaines idées sur la coopération et l’intégration étaient inspirées de l’expérience européenne, comme la création de nouvelles structures pour gérer les relations entre les deux Irlandes. Pour la mise en œuvre, il y a eu toute une série de programmes pour la paix financés par l’UE pour promouvoir la coopération transfrontalière et une task force de la Commission Barroso pour soutenir le processus de paix.
Ces programmes pour la paix vont se poursuivre après le Brexit ?
Oui. L’UE et le Royaume-Uni s’y sont engagés.
Certains, à Londres, affirment que l’Union ne comprend pas la réalité nord-irlandaise et qu’elle joue avec le feu en proposant un alignement réglementaire entre les deux Irlandes après le Brexit…
L’UE comprend le problème de la frontière mieux que le gouvernement britannique, qui a mis du temps à en saisir l’importance. Les Britanniques préféreraient l’option 1 (régler la question de la frontière dans le cadre de l’accord sur la future relation avec l’UE). Ils tentent de détourner leur attention de leur absence d’idée pour régler le problème de la frontière.
Quelles pourraient être les conséquences du Brexit sur l’accord de Belfast ?
Beaucoup dépend de la politique en Irlande du Nord et de la nature du Brexit. Si c’est un Brexit doux, avec une période de transition et des changements minimes pour la frontière, les conséquences seront limitées. En revanche, un Brexit dur, avec une sortie du Royaume-Uni de l’Union douanière et le retour de contrôles, ramènera la question de la frontière dans le champ politique. Et l’expérience nous apprend que c’est une source de tensions. C’est très difficile de prévoir ce qui pourrait advenir. On peut juste espérer que les choses resteront sous contrôle. Mais il faut prendre en compte le risque d’un changement de la dynamique politique en Irlande du Nord.
La clé réside-t-elle dans l’attitude du parti unioniste DUP ?
Leur position se reflète dans le nom "unionistes". Ils veulent continuer à faire partie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et rejette l’idée d’une réunification irlandaise. Ils veulent absolument éviter tout ce qui pourrait amoindrir la position de l’Irlande du Nord en tant que partie du Royaume-Uni. C’est pourquoi ils sont très préoccupés par l’option "filet de secours" proposé par l’Union européenne (l’alignement réglementaire de l’Irlande du Nord sur l’Irlande - et donc sur l’UE - dans plusieurs domaines, ce qui impliquerait l’installation d’une frontière interne au Royaume-Uni en mer d’Irlande, NdlR).
Ils seraient prêts à avoir une frontière dure pour préserver le lien avec le Royaume-Uni ?
Ils ont dit très clairement qu’ils ne voulaient pas de retour d’une frontière dure. Je suppose qu’ils espèrent que le Royaume-Uni assouplira sa position concernant sa future relation avec l’Union et qu’il acceptera un sorte d’union douanière et un alignement réglementaire suffisant de tout le Royaume-Uni, ce qui impliquerait que les choses ne changent pas de façon significative pour l’Irlande du Nord avec le Brexit.
Au-delà du Brexit, le principal problème n’est-il pas le blocage politique en Irlande du Nord ?
Il y a deux raisons fondamentales à ce blocage : on a en présence les deux partis les plus extrêmes des communautés nationalistes (Sinn Fein) et unionistes (le DUP). Ils ont gouverné ensemble, mais cela n’a pas été très productif. Ensuite, il y a toute une série de problèmes sur lesquels ils n’arrivent pas à trouver d’accords pour lancer de nouvelles initiatives politiques, ni n’affichent de volonté d’avancer. C’est difficile d’envisager actuellement la réinstallation d’un exécutif nord-irlandais. La situation est encore compliquée par le Brexit, qui ajoute des éléments de tension.
Est-ce que Londres dispose d’un moyen de pression sur les unionistes ?
Pas vraiment, parce que le gouvernement de Theresa May a besoin du soutien parlementaire du DUP.