La muraille dans laquelle s'est enfermé Tariq Ramadan est en train de s'effondrer
- Publié le 18-04-2018 à 19h20
- Mis à jour le 18-04-2018 à 21h02
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C’est un mauvais vent qui se lève, créant la panique parmi les soutiens de Tariq Ramadan. Jusqu’à présent, le théologien, accusé de viols par quatre femmes (dont l’une en Suisse) a campé sur une ligne de défense radicale : nier en bloc les faits qui lui sont reprochés, jusqu’au simple fait d’avoir eu des rapports sexuels avec l’une ou l’autre des plaignantes. Ramadan avait juste consenti une relation de séduction, un flirt sans conséquence, lors de sa confrontation début février, pendant sa garde à vue, avec celle que la presse a surnommé «Christelle».
La muraille est manifestement en train de s’effondrer. Depuis le week-end dernier, l’un de ses principaux lieutenants a pris contact avec les cercles proches du prédicateur, préparant le terrain à un revirement de situation. «Tariq Ramadan reconnaîtrait avoir eu des relations sexuelles avec le troisième femme qui a porté plainte contre lui», explique, à Libération, une source proche de Musulmans de France (l’ex-UOIF, la branche française des Frères musulmans). Il s’agit de «Marie», une quadragénaire, vivant dans le Nord de la France qui accuse le prédicateur de viols répétés, commis lors d’une douzaine de rencontres entre février 2013 et juin 2014 dans divers hôtels, notamment à Paris et Bruxelles.
A Libération, l’avocat de Tariq Ramadan, Me Emmanuel Marsigny précise que le prédicateur connaît effectivement « Marie ». « Il reconnaît avoir eu une relation avec elle mais elle n’était pas ce qu’elle a décrit, poursuit Me Marsigny. Il s’expliquera quand il sera interrogé par les juges. » Pour le moment, l’avocat refuse de dire si cette relation était ou non à connotation sexuelle. Dans son témoignage, outre les accusations de viols, la quadragénaire a décrit une relation sado-masochiste extrêment violente.
Lorsqu’elle a été entendue par les policiers, « Marie » leur a aussi remis une somme impressionnante de documents, des centaines et des centaines de messages écrits et audios échangés frénétiquement pendant presque deux ans, entre 2013 et 2014. « Il me demandait de lui envoyer des messages au moins trois à quatre fois par jour, des photos et des vidéos … », raconte « Marie » dans le récit qu’elle a transmis à la justice. Libération a pu consulter certains de ses documents.
Leur profusion accrédite une relation suivie, à la connotation sexuelle assez explicite. Sur l’un des enregistrements audio, Tariq Ramadan tient ainsi des propos très crus, pornographiques. Des extraits ont été postés par le paparazzi Jean-Claude Elfassi, intermédiaire sulfureux et proche de deux plaignantes sur son blog.
Dès leur rencontre sur les réseaux sociaux, à l’initiative selon « Marie » de Tariq Ramadan, les deux futurs amants s’envoient des messages enflammés. « J’aime tout ça. Et tes belles photos. C’est bon !!! Tu es mienne. Oui ? », écrit celui qui se présente comme Tariq Ramadan. « Ecris-moi tes fantasmes. Ose, j’ai envie », insiste-t-il dans un autre message. Il signe ces premiers échanges de « baisers sucrés». « Marie » est séduite. Elle ne s’en cache pas, « surprise et flattée qu’un homme aussi célèbre et occupé puisse lui consacrer du temps. » A sa demande, elle lui envoie volontiers des photos. Sur de mauvais clichés, elle apparaît dans de jolis sous-vêtements noirs. En retour, il en réclame d’autres, des plus « hot ». « Je vais en prendre des très hot, mon amour », répond-t-elle. Une semaine plus tard, Tariq Ramadan et « Marie », selon son témoignage, se seraient retrouvés une première fois à l’hôtel Radisson blue de Bruxelles. Les deux amants avaient prévu de passer deux jours ensemble. Mais, à l’issue de la première nuit, « Marie » ayant subi, selon elle, des violences sexuelles répétées, s’enfuit. « J’étais tellement malade que j’ai mis huit heures à rentrer chez moi », raconte-t-elle. Selon les messages communiqués à la police, elle lui écrit : «Je suis malade, je ne suis pas encore chez moi tellement j’ai dû m’arrêter jusqu’à dormir dans ma voiture. »
En retour, le théologien s’inquiète, non pas de sa santé, mais de son départ précipité. Il craint, selon « Marie », d’avoir été piégé et commence à la menacer. « Fais silence vis à vis de moi et de quiconque. Merci pour les cadeaux comptés. On ne me traite pas ainsi », lui lance-t-il . Dans les messages, il insiste : « Tu m’as utilisée. Tu n’es rien. Je paierai si tu veux. Quelle honte. »
Avant leur rendez-vous bruxellois, « Marie » lui aurait livré tout de son passé, notamment celui d’escort girl. Elle a témoigné dans la sulfureuse affaire du Carlton, mettant en cause Dominique Strauss-Kahn qui a finalement été relaxé. De ces confidences, le théologien aurait tiré matière à exercer ses chantages. Dans plusieurs messages, celui qui est présenté comme Tariq Ramadan y revient : « Ah on sait ? Tes enfants et ta maman aussi ? DSK le sioniste ? Les images ? Les vidéos ? Ah ? Salut tu es devenu si petite ». Dans un autre message il écrit encore : « C’est donc terminé, c’était ta dernière chance. Mais les lumières seront jolies sur toi avec le lien révélé avec DSK et les photos et le reste. Ta famille, tes enfants n’auront rien à perdre au milieu du scandale et de ce qui sera montré de toi. Tes propos de cette nuit et tes mensonges sont honteux et tu t’es montré pute à 2000 euros. » Pour le contrer, Marie réplique dans l’un de ces messages : « Ok… Tu parles de honte ?! Peut être oui mais pour toi Tariq car moi, je suis restée fidèle à moi-même jusqu’à ce que je succombe à mon fantasme. Honte parce que tu n’es pas l’homme que tu montres, que tu prétends être.»
En exerçant des pressions, Tariq Ramadan aurait obtenu d’elle qu’elle poursuive, contre son gré, les contacts. « Il me menaçait de détruire ma réputation et de montrer à tous les photos et les vidéos que je lui envoyais », témoigne-t-elle.
Le témoignage de « Marie » et les documents qu’elle a produits vont très probablement mettre définitiviment à bas la réputation de l’un des prédicateurs musulmans les plus influents en Europe et en Afrique francophones. Dans l’entourage du théologien, on s’inquiète aussi de ce que pourrait révéler les expertises des disques durs de Tariq Ramadan saisis par la police. De nouveaux éléments qui viendraient accréditer le fait que Tariq Ramadan menait une double vie connue seulement, ces dernières années, de quelques cercles.
A la fin des années 2000, Majda Bernoussi avait commencé à raconter sa liaison supposée avec le théologien. Selon les informations de Médiapart et de l’hebdomadaire belge Le vif, Tariq Ramadan aurait, en 2015, conclu un accord avec elle, achetant son silence contre une rétribution financière. En 2012, d’anciennes maîtresses avaient, elles, échangé sur un forum de discussions, fermé après par les interventions, selon leurs dires, du théologien. Plus récemment, un petit collectif s’est formé, à l’automne 2016, soutenu par un groupe d’avocats. Il regroupe d’anciennes maîtresses supposées de Ramadan qui, à l’époque, ont étudié la possibilité de porter plainte pour des menaces exercées à leur encontre par le théologien. Cela en était resté là. Il ne s’agissait là d’abus sexuels, les relations ayant été consenties. « Les faits (ndlr des menaces et du chantage) étaient prescrits », précise, à Libération, l’un des avocats. Par ailleurs, selon une source proche du dossier, 19 femmes, ont témoigné au cours de l’enquête préliminaire menée par la police à la suite des deux premières plaintes déposées, fin octobre 2017.
Aux soutiens de Ramadan, il va être désormais très difficile de ne pas admettre que le théologien musulman ne menait pas la vie exemplaire qu’il préconisait selon la stricte morale isalmique. C’est bien un tremblement de terre qui se prépare au sein de l’islam francophone. « La fin d’une hypocrisie », estime, lui, l’un des ses anciens proches du théologien. L’onde de choc pourrait même atteindre d’autres responsables musulmans, notamment dans les milieux proches de l’ex-UOIF, qui auraient été alertés, à plusieurs reprises, du comportement de Tariq Ramadan vis à vis des femmes. «Si la double vie de Ramadan est établi,e et reconnue, nous espèrons que cela ce va aide à libérer la parole des femmes», souhaite l’un des avocats du petit colectif.
Très politisée, l’affaire Ramadan a provoqué des violences à l’égard des trois femmes qui ont porté plainte contre le théologien. Comme pour Henda Ayari et « Christelle », la vie de « Marie » s’est dramatiquement compliquée. Depuis le dépôt de sa plainte, elle a essuyé injures et menaces. Et au sein même de sa famille, l’un de ses frères l’ayant publiquement traitée de « menteuse » . Le 25 mars, « Marie » a finalement porté plainte auprès du commissariat de la ville où elle habite après avoir été agressée, selon ses dires, « dans son immeuble par deux hommes masqués et gantés. » Ces faits seraient liés, d’après elle, avec les accusations qu’elle a portées contre Tariq Ramadan. « Marie » a affirmé, selon la plainte que Libération a pu consulter, que les deux hommes l’ont « agrippée et tirée par derrière jusque dans la cage dd’escalier ». Ils l’auraient ensuite rouée de coups et lui auraient versé de l’eau sur le corps. « Celui qui m’étranglait, a-t-elle précisé, m’a alors dit : t’as de la chance (…), la prochaine fois, ce sera de l’essence. »