France: le lobbying a-t-il eu raison de la loi sur la malbouffe?
- Publié le 31-05-2018 à 10h16
- Mis à jour le 31-05-2018 à 10h17
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La loi Agriculture et Alimentation du gouvernement Macron devait bouleverser les pratiques en la matière et contribuer à combattre la malbouffe. Mais le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. L’opposition dénonce le travail de sape du lobby agro-alimentaire et les promesses non tenues du Président.La montagne aurait-elle accouché d’une souris ? C’était en tout cas le sentiment de nombreux observateurs, à l’issue de la discussion parlementaire sur la loi Agriculture et Alimentation, qui devait être adoptée ce mercredi en première lecture à l’Assemblée nationale.
Depuis plusieurs jours, des députés de tout bord - y compris au sein de La République en marche (LREM) - ont bataillé à coups d’amendements pour muscler un projet gouvernemental plutôt timide. Mais la plupart d’entre eux ont été retoqués.
A cet égard, le recul le plus emblématique concerne le glyphosate. A l’automne dernier, Emmanuel Macron s’était engagé à interdire d’ici 2021 l’utilisation de cet herbicide soupçonné d’être cancérigène. Il surenchérissait alors sur une décision de l’Union européenne, qui avait renouvelé la licence du produit pour cinq ans. Mais l’exécutif s’est cette fois refusé à inscrire cette interdiction dans le marbre de la loi.
Un rétropédalage qui a fait hurler les associations de consommateurs et les écologistes. "Se passer [du glyphosate] est une promesse présidentielle. Ne pas l’inscrire dans la loi est une terrible reculade", a estimé François Veillerette, président de l’association Générations futures.
De son côté, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a assuré que la promesse présidentielle serait bel et bien tenue. "Inscrire dans la loi les choses, c’est formidable. Mais ce n’est pas la garantie que ça arrive", a-t-il justifié.
Mais ce n’est pas le seul dossier sur lequel le gouvernement a fait preuve de frilosité. Ainsi concernant le sujet des publicités alimentaires. Alors que l’exécutif a lui-même lancé en novembre dernier Nutri-Score, un système d’étiquetage avec un code couleur permettant d’indiquer sur l’emballage la valeur nutritionnelle des aliments, il a rejeté l’insertion obligatoire de ce logo dans les publicités.
De même, les pubs pour des produits trop sucrés ou trop gras, à destination des enfants, n’ont pas été interdites ni limitées. Et ce en dépit du dépôt d’un certain nombre d’amendements allant dans ce sens, provenant même des rangs de la majorité.
Enfin, un certain nombre d’initiatives concernant les cantines scolaires ont également été balayées. C’est le cas par exemple de la proposition d’y interdire les contenants en plastique, en raison des dangers liés à la présence de bisphénol A.
Le compte n’y est pas
Les défenseurs de la cause animale sont également - si l’on ose dire - restés sur leur faim. Le gouvernement a en effet reculé concernant l’élevage de poules en batterie, refusant là encore d’inscrire dans la loi un engagement d’Emmanuel Macron : celui d’interdire la vente d’œufs issus de poules élevées en batterie d’ici à 2022.
Enfin, un autre engagement du Président a été renvoyé à plus tard : celui de "mettre en place la vidéosurveillance dans les abattoirs". Finalement, le dispositif ne sera installé que sous forme expérimentale dans les abattoirs volontaires.
L’ensemble de ces reculs serait cependant compensé, aux yeux des soutiens du gouvernement, par certaines avancées : ainsi les députés ont voté le principe d’un objectif de 50 % de produits bio dans la restauration collective à l’horizon 2020, ou encore un renforcement de l’étiquetage, concernant notamment le mode d’élevage et de nourriture des animaux, ou l’origine géographique.
Mais aux yeux de beaucoup, le compte n’y est pas, d’autant que le projet avait suscité de vastes espoirs, portés notamment par l’organisation à l’automne dernier d’états généraux de l’alimentation voués à organiser une véritable révolution des pratiques, avec pour objectif de développer le bio et le local.
Nicolas Hulot mis hors jeu
Pour beaucoup, les renoncements gouvernementaux ont une explication : le lobbying forcené de l’industrie agroalimentaire. "La santé pèse peu de choses face aux lobbies agricoles et chimiques", a ainsi tonné Benoît Hamon, fondateur du mouvement Génération-s.
Même au sein de la majorité, certains ne cachaient pas leur déception. "La représentation nationale cède aux intérêts économiques la santé et l’avenir de nos enfants", a expliqué sans ambages Jennifer de Temmerman, élue LREM du Nord. "On est nombreux à penser que cette loi constitue une vraie occasion manquée", complète un autre élu de la majorité.
Dans ce contexte, beaucoup s’interrogent aussi sur l’utilité du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, mis totalement hors jeu sur ce dossier par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, réputé sensible aux arguments des milieux agro-industriels. Hulot, qui a déjà menacé à de multiples reprises de quitter le gouvernement, a déclaré récemment qu’il prendrait sa décision cet été.
L’épisode de cette semaine pourrait l’y aider.