Comment expliquer que les Marocains soient nombreux à s’embarquer pour l’Espagne?
Publié le 30-06-2018 à 18h27 - Mis à jour le 30-06-2018 à 22h06
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Le Maroc rejette et a toujours rejeté ce genre de méthodes pour la gestion de la question des flux migratoires." Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères marocain, a répondu ainsi, jeudi, à l’idée européenne de créer des "plateformes de débarquement" au sud de Méditerranée.
Le ministre marocain dénonce là des "solutions faciles" et des "mécanismes contre-productifs". "Le Maroc n’est pas seulement un pays de transit vers l’Europe. Il est le seul pays du Maghreb à avoir mis en place une véritable politique d’asile et il accueille aujourd’hui 5 000 réfugiés", rappelle Jean-Paul Cavalieri, le représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’Onu (HCR) au Maroc. Un centre de débarquement au Maroc aurait donc été avant tout synonyme de refoulement des migrants économiques irréguliers.
Si la question de la migration irrégulière par la mer se pose aujourd’hui avec autant d’acuité pour le Maroc et l’Espagne, c’est qu’elle est en train de prendre des proportions historiques. Depuis le début de l’année et jusqu’au 15 juin, 13 442 migrants sont ainsi parvenus en Espagne.
Ce nombre, extrêmement faible au regard des flux migratoires reçus ces dernières années par l’Union européenne, est considérable pour les deux pays méditerranéens. 2018 promet ainsi de devenir l’année de plus forte immigration irrégulière en Espagne depuis la fameuse crise des "cayucos", ces pirogues mauritaniennes et sénégalaises qui traversaient les eaux marocaines pour parvenir sur les plages des Canaries.
En 2006, au plus fort des arrivées, 41 180 migrants irréguliers étaient parvenus en Espagne. Avec l’effondrement du nombre de passages entre la Libye et l’Italie, l’Espagne est donc en passe de redevenir le premier pays d’immigration de l’Union européenne devant l’Italie, la Grèce et la Turquie. "Il y a effectivement beaucoup de départs en zodiaque ces derniers temps, parce qu’avec la construction d’une quatrième barrière, côté marocain, traverser la frontière de Melilla est devenu presque impossible", explique Omar Naji, militant de l’Association marocaine des droits de l’homme à Nador, proche de l’enclave espagnole. "Mais le nombre de migrants subsahariens n’a pas changé. Il n’y a toujours qu’une vingtaine de campements dans les forêts des environs de Nador où vivent 2 000 à 3 000 Subsahariens."
Des Marocains surtout
Avec la fermeture quasi hermétique de la frontière entre le Maroc et l’Algérie, l’augmentation du nombre de départs vers les côtes espagnoles ne s’explique donc pas par un détournement du flux des migrants qui passaient jusqu’ici par la Libye. "Je pense qu’une partie des migrants qui parviennent en nombre aujourd’hui en Espagne sont des Marocains. Avec la crise de 2008, ils étaient plus nombreux à rentrer au Maroc qu’à partir en Espagne mais, aujourd’hui, la reprise de la croissance économique espagnole est un facteur d’attraction puissant", estime Mehdi Alioua, spécialiste des migrations au Maroc et enseignant-chercheur à Science-po au sein de l’Université internationale de Rabat.
Les Marocains ont en effet représenté le plus grand nombre d’arrivées en Espagne cette année, derrière les Guinéens, selon les statistiques de Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières. L’an dernier, alors que le nombre d’immigrés irréguliers parvenus en Espagne avait déjà doublé par rapport à l’année précédente, les Algériens et les Marocains représentaient 40 % des nouvelles arrivées.
Globalement, la reprise de l’émigration marocaine en Espagne a commencé dès 2015. En 2017, selon l’Institut national de statistique espagnol, près de 40 000 Marocains sont arrivés en Espagne, devant toutes les autres nationalités, y compris d’Amérique latine.
Leur nombre a augmenté d’un tiers par rapport à l’année passée. En réalité, ils ne sont cependant que 17 400 de plus à résider en Espagne, derrière les Vénézuéliens, les Colombiens et les Italiens, parce que, dans le même temps, beaucoup de Marocains continuent à quitter l’Espagne.