"La loi allemande sur le regroupement familial est avant tout un compromis symbolique"
Publié le 31-07-2018 à 18h55 - Mis à jour le 31-07-2018 à 21h49
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La coalition d’Angela Merkel s’était déchirée sur le sujet. La loi sur le regroupement familial entre en vigueur.Les partis de la coalition dirigée par Angela Merkel se sont déchirés pendant des semaines sur le sujet en mars dernier. Les nouvelles règles sur le regroupement familial des migrants entrent en vigueur ce 1er août. Pour Jochen Oltmer, professeur à l’Institut pour la recherche sur les migrations et les relations interculturelles (Imis) de l’université d’Osnabrück, ce dispositif est un instrument purement politique qui va réduire les chances d’intégration des réfugiés concernés.
Quelles sont les personnes concernées par le regroupement familial ?
Ce sont surtout des familles syriennes arrivées après août 2015, mais d’autres nationalités sont concernées. Le regroupement s’applique aux proches : épouses, époux et les enfants mineurs. Jusqu’à l’automne 2015, une grande partie des Syriens arrivés en Allemagne obtenaient l’asile au titre de la convention de Genève. Faire venir leur famille n’était pas un problème, ils avaient le droit de rester en principe trois ans et de travailler. A l’automne 2015, les conditions d’octroi de l’asile ont été durcies et les Syriens n’ont plus obtenu qu’une "protection subsidiaire", accordée à ceux qui ne sont pas visés personnellement par une menace. Ils n’ont le droit de rester qu’un an en Allemagne, avec une prolongation éventuelle de deux ans.
Qu’est-ce qui va changer à partir du 1er août ?
Le droit au regroupement familial pour ces réfugiés sous protection subsidiaire n’a existé que durant un laps de temps très court, entre août 2015 et mars 2016. La loi a été suspendue ensuite pour deux ans. Elle devait donc être rétablie cet été. Le contrat de coalition conclu en mars 2018 par les partis du gouvernement a toutefois fixé un contingent de 1 000 regroupements par mois, soit 12 000 autorisations par an.
Combien de personnes sont-elles réellement concernées ?
En 2015, des "chiffres de l’horreur" avaient été lancés. On parlait d’un million de personnes…. En réalité, selon une analyse menée par l’Office fédéral de l’emploi, environ 10 000 personnes seraient concernées. L’hypothèse la plus haute est de 60 000 personnes. Il ne faut pas oublier que 33 % des arrivants de 2015 étaient des mineurs.
Il y a toutefois déjà 34 000 demandes déposées auprès du ministère des Affaires étrangères ou dans les ambassades en Syrie, en Turquie, en Jordanie ou au Liban…
Le nombre de personnes qui postulent est effectivement élevé, mais ça ne dit rien sur le nombre de personnes qui vont effectivement venir. Les abandons peuvent être fréquents. Avec un quota mensuel de 1 000 autorisations et une hypothèse haute de 60 000 familles concernées, le regroupement arrivera à terme dans cinq ans.
Quel sera l’impact pour l’intégration de ces familles ?
Le dispositif est très critiqué parce qu’il étire la réunification dans le temps. Beaucoup de gens arrivés en 2015 ne pouvaient déjà plus faire venir leur famille en 2016. Ils attendent donc depuis deux ans, auxquels pourraient s’ajouter cinq ans avec le système de quota, soit sept ans en tout pour réunir leur famille. Avec un tel délai, les perspectives d’intégration sont très limitées : l’esprit des gens concernés est toujours tourné vers la situation familiale. Ils s’investissent en outre dans un travail peu qualifié, immédiatement accessible, pour soutenir financièrement la famille ou la faire venir, au lieu d’entamer une formation sur le long terme. La loi ne dit en tout cas rien sur la mise en œuvre concrète du regroupement.
Quel est le sens politique de cette loi ?
Après l’automne 2015, l’atmosphère a changé en Allemagne dans les médias et les mentalités. Les gens se sont demandé si, effectivement, on allait y arriver, comme l’avait déclaré Angela Merkel au début de l’été. Les chiffres ont été manipulés politiquement par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) pour montrer que le gouvernement n’était pas en mesure de contrôler la migration. L’accord de coalition sur les quotas permet maintenant à la fois à l’union CDU/CSU de montrer que l’Etat a tout sous contrôle et au SPD qu’il a fait ce qu’il fallait pour faire respecter les règles des Nations unies et les droits de l’enfant. La loi sur le regroupement familial est avant tout un compromis symbolique.