Comment la Chine veut remettre la région du Xinjiang au pas par une campagne de terreur et des camps de "rééducation"
- Publié le 13-08-2018 à 10h09
- Mis à jour le 13-08-2018 à 10h10
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Terre de minorités aux confins occidentaux du pays, le Xinjiang a toujours posé problème à Pékin. La répression est montée d’un cran sous la houlette de Chen Quanguo. Qui a notamment mis en place un réseau de camps de rééducation.
Avec plus d’un million et demi de kilomètres carrés, le Xinjiang est la plus vaste entité administrative de Chine. Située aux confins de l’URSS hier et de ses républiques musulmanes devenues indépendantes aujourd’hui, la "région autonome ouïghoure" est d’une grande importance stratégique, renforcée ces dernières années par le passage des oléoducs qui acheminent le gaz et le pétrole d’Asie centrale. L’ambitieux projet des "nouvelles routes de la Soie" qui, selon le vœu du président Xi Jinping, doit accroître encore les échanges avec les pays voisins, achève de conférer à ce Far West chinois une place de choix sur l’échiquier politique de Pékin.
C’est dire si le Parti communiste chinois, déjà peu enclin à tolérer la contestation de manière générale, est encore moins disposé à s’accommoder de troubles au Xinjiang. Or, si la cohabitation des Ouïghours et des autres minorités musulmanes avec les Chinois de souche, les Hans, dans la région autonome fondée en 1955, a de tout temps été tendue, elle est devenue, depuis vingt ans, carrément explosive.
Le passage de la flamme olympique à la télé
Le 25 février 1997, des attentats à la bombe dans trois bus firent neuf morts et plus de 70 blessés à Urumqi, le chef-lieu régional; ils semblent avoir été perpétrés en représailles à la sanglante répression d’une manifestation spectaculaire à Yining (encore appelée Ghulja), quelques jours plus tôt. La situation au Xinjiang ne cessa alors de se dégrader, à tel point qu’à l’approche des JO de Pékin, les autorités, redoutant des violences, prièrent la population locale de suivre le passage de la flamme olympique à la télévision ! Le 4 août 2008, quatre jours avant l’ouverture des Jeux, dix-sept policiers chinois furent tués dans un nouvel attentat à Kashgar (Kashi en chinois). Le 10 août, à Kuqa, dans le Nord du Xinjiang, plusieurs explosions firent cinq morts. En juillet 2009, le lynchage de deux travailleurs migrants ouïghours dans une usine du Sud de la Chine provoqua des émeutes à Urumqi qui firent officiellement 197 morts et 1 600 blessés.
Psychose dans la population han
Cet incident d’une gravité sans précédent créa un climat de psychose au Xinjiang, bientôt aggravé par des rumeurs accusant les Ouïghours de se livrer à des attaques à la seringue contre la population han. L’anxiété était telle que Pékin limogea en avril 2010 le Premier secrétaire du parti pour la région autonome, Wang Lequan, qui avait pourtant la réputation de ne pas y aller avec le dos de la cuiller pour maintenir l’ordre (il finira sa carrière à la présidence de la Société d’études juridiques de Chine…). Dans l’intervalle, les autorités régionales avaient annoncé le doublement du budget dévolu à la sécurité publique.
Ces mesures n’ont, toutefois, pas permis d’enrayer un cycle de violences qui a largement débordé du Xinjiang - les "terroristes" ouïghours ont été accusés de commettre des attentats ailleurs dans le pays et jusque sur la place Tian’anmen de Pékin, le centre symbolique du pouvoir en Chine. Avec la nomination de Chen Quanguo à la tête du parti au Xinjiang, en août 2016, le régime a donc choisi de passer à la vitesse supérieure.
Des techniques de répression importées du Tibet
Promu au Bureau politique lors du dernier congrès du PC chinois en octobre 2017, le nouvel homme fort du Xinjiang est un proche de Xi Jinping. Il avait été auparavant, pendant cinq ans, le secrétaire du parti au Tibet, où il mit au pas les "séparatistes" qui avaient exposé Pékin à un nouveau défi : des immolations par le feu de moines et de laïcs, moins, toutefois, dans la région autonome tibétaine que dans les provinces environnantes qui appartenaient jadis en tout ou en partie au "Grand Tibet". Cette campagne visait à frapper l’opinion publique et à ternir l’image de la Chine à l’étranger.
Chen a importé au Xinjiang les techniques qu’il expérimenta avec succès au Tibet, comme le quadrillage du territoire pour améliorer la surveillance de la population. Il fait un large usage des nouvelles technologies pour traquer et identifier les suspects, dont la collecte à grande échelle d’échantillons ADN. Il est surtout l’artisan d’une politique de "rééducation" des ressortissants des minorités ethniques jugés déviants dans les camps dont la région autonome s’est couverte. Une politique qui, quoi qu’on en dise à Pékin, donne désormais au Xinjiang des allures de Sibérie soviétique.
Les camps de rééducation ont poussé comme des champignons
Des familles qui disparaissent, des villages qui se vident de leurs habitants dans l’Ouest de la Chine : en dépit des témoignages et des reportages de plus en plus nombreux, Pékin continue à rester évasif sur les arrestations massives de membres de minorités ethniques musulmanes - des Ouïghours, des Kazakhs, des Kirghizes - et leur envoi en camps de rééducation au nom de la lutte antiterroriste. Le "Global Times", dans l’un de ses récents éditoriaux, a déploré "l’interprétation erronée" des médias occidentaux, qui qualifient de "camps de rééducation" des "établissements de formation", et de "détention" ce qui relève de l’"éducation".
Ce qui se passe actuellement au Xinjiang, où vivent 10 millions d’Ouïghours turcophones, s’apparente pourtant, "plus que probablement, à la campagne la plus intense de réorganisation sociale par la contrainte depuis la fin de la Révolution culturelle", assène le chercheur allemand Adrian Zenz. "On peut soutenir que la ‘guerre contre le terrorisme’ menée par l’Etat est de plus en plus un euphémisme pour parler d’une assimilation ethnique obligatoire."
Adrian Zenz a apporté un éclairage inédit et original sur la politique d’internement mise en place par le secrétaire du parti communiste Chen Quanguo, depuis son arrivée au Xinjiang en 2016. En se plongeant dans les offres d’emploi, les avis de marchés publics et les déclarations officielles, ce spécialiste des politiques ethniques chinoises a mis au jour l’ampleur du réseau de camps, qui a poussé depuis un an et demi sur le territoire de la Région autonome ouïghoure pour "rééduquer" ses habitants musulmans.
Des lieux ultra-sécurisés
Dans son étude, publiée par la Jamestown Foundation, Adrian Zenz a examiné plus de septante appels d’offres pour un montant équivalant à 85 millions d’euros. Ils montrent à la fois que des bâtiments déjà existants ont été rénovés et que de nouveaux complexes sont sortis de terre - plusieurs dépassant les 10 000 km2. De nombreux avis, indique le chercheur, "rendent obligatoire l’installation de systèmes de sécurité complets" avec "murs d’enceinte, barrières de sécurité, treillis métalliques, fils barbelés, portes et fenêtres renforcées, systèmes de surveillance, miradors et salles de garde ou installations pour les forces de police" - assez loin de l’idée qu’on se fait d’un institut de formation.
De surcroît, les offres d’emploi, publiées depuis mai 2017 pour travailler dans ces centres, ciblent du personnel sans diplôme spécifique, compétences particulières ni expérience dans l’enseignement, préférant fréquemment recruter des personnes ayant une expérience policière ou militaire, a constaté M. Zenz. L’objectif du gouvernement local est, selon des documents publics qu’il a pu consulter, de "déradicaliser" en opérant - comme au bon vieux temps du maoïsme - une "transformation par l’éducation". Il est bel et bien question, selon le chercheur, de rééducation dans un environnement clos.
"11 % des adultes"
"Plusieurs centaines de milliers de personnes au moins", probablement "plus d’un million", ont été envoyées en rééducation de manière extrajudiciaire. Adrian Zenz évalue à 11,5 % le taux de population adulte ouïghoure et kazakhe détenue au Xinjiang. Le simple fait de prier cinq fois par jour ou de rester en contact avec un enfant installé à l’étranger suffit pour s’y retrouver. Selon un document de la préfecture de Khotan, "participer aux classes de transformation par l’éducation doit être vu comme un traitement hospitalier gratuit pour les masses dotées de pensées empoisonnées".
A l’heure où cette politique de rééducation est mise en pratique à grande échelle au Xinjiang, la question est de savoir si elle restera circonscrite à la région.