Un père harcelé par des complotistes qui ne croient pas au décès de son fils: "J’ai reçu des menaces de mort"
Publié le 09-02-2019 à 11h43
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Insultes, menaces de morts, traque, déménagements forcés... Lenny Pozner vit depuis quelques années un véritable enfer. La raison de ce déferlement de haine ? Des complotistes sont persuadés que le père de famille américain est un acteur et qu'il a inventé la mort de son fils. Noah (6 ans) est décédé dans la fusillade de l'école primaire de Sandy Hook à Newton (Connecticut).
Ce jour-là, le 14 décembre 2012, avant de suicider, le tireur Adam Lanza a tué 27 personnes dont 20 enfants. Mais certains pensent que la fusillade a été mise en scène par le gouvernement pour interdire le port d'armes.
Pour l'"Invité du samedi", LaLibre.be a interrogé ce père qui se bat pour la mémoire de son fils, pour que ses filles ne deviennent pas des cibles et pour toutes les victimes confrontées à la même situation. Interview.
Quand avez-vous compris que certaines personnes pensaient que la fusillade était une mise en scène ?
La première fois que je me suis connecté à internet, environ un mois après l'assassinat de mon fils, j’ai remarqué des publications affirmant que Sandy Hook n’avait pas eu lieu, que mon fils n’avait jamais existé et que nous étions tous des acteurs. Certains de ces messages avaient été écrits quelques heures après la fusillade.
Quels sont les arguments des complotistes ?
Les personnes qui croient en ce type de théories du complot pensent que le gouvernement met en scène des événements horribles afin de manipuler l'opinion publique. Ces personnes sont convaincues que la fusillade de Sandy Hook a été organisée dans le but que les Américains souhaitent abroger le deuxième amendement de la Constitution, qui donne le droit de posséder des armes à feu. Les gens croient aux fake news si elles s’alignent sur les théories auxquelles ils croient déjà. Si vous ne faites pas confiance au gouvernement, que vous pensez qu'on tente de supprimer vos droits, il est plus facile d’être "séduit" par ces histoires.
Comment avez-vous réagi ?
Au début, j'ai essayé de tendre la main aux gens et de leur parler. Je pensais que si ces derniers avaient la possibilité de me poser des questions, d'en savoir plus sur Noah, de voir son acte de naissance, ses dossiers scolaires et ses photos d'enfance, ainsi que l'acte de décès, la logique l'emporterait. Je croyais qu'ils comprendraient que cette tragédie s'était produite, qu'ils nous verraient comme de vraies personnes souffrant d'un drame et qu'ils cesseraient de nous attaquer.
Cela n'a pas fonctionné...
J'ai reçu des messages, des courriels, des posts sur des forums, des appels téléphoniques, beaucoup me réclamant de dire la vérité sur Sandy Hook, d'autres affirmant qu'ils allaient s'en prendre à moi physiquement ou même me tuer, ainsi que ma famille. Une femme est allée en prison l'année passée pour avoir menacé nos vies. Des photos de mon fils et de moi-même ont été dégradées et postées en ligne. Le massacre et la perte de Noah ont été horribles mais les menaces constantes, les attaques en ligne et hors ligne, le harcèlement et la crainte que mes filles deviennent des cibles à mesure qu’elles grandissent font que nos plaies restent à vif.
Vous avez même été obligé de déménager ?
A plusieurs reprises, oui. Certains groupes de théoriciens du complot ont mis nos informations personnelles en ligne en encourageant les autres à nous traquer. Nous avons vu des vidéos de notre maison et des indications pour s'y rendre.
Le complotiste Alex Jones (InfoWars) a joué un grand rôle dans ce harcèlement ?
Alex Jones n'est pas le seul théoricien du complot à nous avoir attaqués mais lui et son émission "InfoWars" ont joué un rôle important en raison de leur popularité. Ses diverses émissions ont des millions d'adeptes. J'ai porté plainte contre lui pour diffamation. Je ne peux pas en dire plus car l'action judiciaire est toujours en cours.
Vous ne montrez pas votre visage dans les médias, est-ce à cause des menaces ?
L'un des meilleurs moyens de donner à mes enfants une vie relativement normale est de les protéger autant que possible du harcèlement et des menaces. Mon apparence a changé en raison de mon âge et de mon poids. Ne pas me montrer aux caméras est l’un des moyens par lesquels je protège ma famille.
Vous avez écrit à Facebook, Twitter ou d'autres réseaux sociaux pour supprimer les contenus? Ont-ils répondu ?
J'ai écrit à toutes les plateformes en ligne utilisées par les théoriciens du complot pour me harceler. Au début, j'ai obtenu peu de réponses, mais au fil des ans, j'ai développé une relation plus positive avec Facebook, Google et d'autres réseaux sociaux. Ils sont beaucoup plus réactifs maintenant.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre association ?
Au départ, je voulais faire cesser ce harcèlement pour protéger et préserver la mémoire de mon enfant. Cependant, des personnes dans la même situation ont commencé à me contacter et à me demander des conseils sur leur propre situation. L'association est devenue une organisation à but non lucratif qui assure la liaison entre les victimes et les réseaux sociaux, informe les internautes de leurs droits et responsabilités en ligne et plaide en faveur de lois plus sévères sur le harcèlement en ligne pour une meilleure protection des victimes. Je souhaite faire en sorte que les autres victimes d'une tragédie similaire n'aient pas à subir les mêmes indignités et les mêmes traumatismes que ceux qu'a subis ma famille.