"La peine de mort rabaisse l’État au niveau du tueur" (INFOGRAPHIE)
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Publié le 01-03-2019 à 13h44 - Mis à jour le 08-03-2019 à 16h12
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La Belgique accueille le Congrès contre la peine de mort, le plus important événement abolitionniste au monde. Malgré une tendance à la baisse du nombre d’exécutions, certains pays, comme l’Égypte, connaissent des inflations marquantes.
Près de 60 % de la population mondiale vit sous la menace d’une justice qui donne la mort, y compris à l’issue de procès inéquitables, sur base d’aveux extorqués sous la torture. De nos jours, on exécute encore des enfants, ou des personnes jugées coupables de crimes financiers, de trafic de drogue, de sorcellerie, d’apostasie, de relations homosexuelles. Le 7e Congrès mondial contre la peine de mort se tient cette semaine à Bruxelles. L’occasion de rencontrer l’Italien Mario Marazziti, membre fondateur de la Communauté de Sant’Egidio et de la Coalition mondiale contre la peine de mort.
Comment expliquez-vous aux personnes favorables à la peine de mort, à des gens qui veulent se venger du meurtre d’un proche ou d’une attaque terroriste, qu’elle n’est pas la solution ?
Premièrement, la peine de mort ne ramène pas l’être aimé à la vie, elle rajoute seulement une mort. Elle ne soulage pas la souffrance, elle gèle les proches de la victime dans l’attente du moment spécial de l’exécution, censée les guérir comme par magie. C’est une fausse promesse vendue aux familles qui souffrent. J’ai rencontré beaucoup de proches de victimes qui étaient pleins de rage, qui voulaient tuer eux-mêmes un assassin, mais qui, après quelque temps, réalisaient qu’ils ne souhaitaient pas un mort supplémentaire, que ce n’est pas une manière de faire leur deuil.
Deuxièmement, la peine de mort légitime, au niveau de l’État, l’idée que la vie n’est pas sacrée, qu’elle peut être enlevée. Cela rabaisse l’État et la société au niveau du tueur. Les terroristes n’ont pas peur de la mort. Appliquer la peine de mort à des gens qui vivent dans la culture du sang et de la destruction montre qu’ils ont raison. C’est ce qu’ils veulent. La seule réponse au terrorisme, c’est de dire : "je ne deviendrai jamais comme vous". La force, c’est d’être différent.
Troisièmement, il n’y a pas de corrélation entre la courbe des exécutions et celle des meurtres. On le voit bien aux États-Unis notamment.
Il existe pourtant, dans les pays abolitionnistes, y compris en Europe, des mouvements favorables au rétablissement de la peine de mort…
L’Europe a été le premier continent à s’en débarrasser. Le mouvement s’est accéléré après la Seconde Guerre mondiale. Une véritable démocratie ne pouvait avoir recours aux exécutions. Aujourd’hui, après tant d’années de paix, des gens - stupides - pensent qu’il faut y revenir ; des groupes essaient d’exploiter les instincts. Quand des enfants sont enlevés, violés, tués de manière horrible, il y a toujours des gens pour réclamer le sang des tueurs. L’argument selon lequel la peine de mort est le seul moyen de rendre justice est complètement insensé. La rage ne fait pas loi. Si nous organisions un référendum après une tuerie ou une attaque terroriste, un bon nombre de gens demanderaient probablement le rétablissement de la peine de mort. Mais, après quelque temps, leur opinion changerait. Nos démocraties sont basées sur l’État de droit et la loi, pas sur de faux plébiscites.
La charte européenne des droits fondamentaux indique que nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. Or, de nos jours, on voit que des traités internationaux ratifiés sont balayés lorsque le gouvernement change. Il existe toujours un risque de faire un pas en arrière.

En Europe, il reste un pays à convaincre, la Biélorussie. Quel argument présenter à Alexandre Loukachenko ?
Des responsables haut placés dans l’entourage du président y réfléchissent. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. La peine de mort est complètement inefficace, même pour le projet du président Loukachenko. Que vingt condamnés soient vivants ou morts, cela ne changera rien à son leadership. L’abolition permet aussi d’améliorer la réputation d’un pays.
Le nombre de pays abolitionnistes baisse-t-il pour autant ?
Il ne reste plus que 56 pays qui appliquent la peine de mort, dont seulement 26 procèdent réellement à des exécutions. On assiste donc à une accélération de l’histoire, dans le sens de la disparition de la peine de mort, même si, à court terme, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue en amène à reconsidérer leur position. Le président des Philippines, où il y a beaucoup d’exécutions extrajudiciaires, veut rétablir la peine de mort. Des pays abolitionnistes, c’est l’un des plus à risque.
Le Sri Lanka, lui, a décidé de relancer les exécutions pour lutter contre le trafic de drogue - la dernière avait eu lieu il y a 40 ans. Il est en train de recruter des bourreaux…
Oui. Notez qu’au Botswana, ils n’en ont pas trouvé. Alors ils utilisent des personnes condamnées à mort… Même s’il y a une pression forte pour réintroduire la peine de mort dans certains pays, je trouve significatif que le vote aux Nations unies pour un moratoire mondial a recueilli 121 voix en décembre. Petit à petit, on avance.
Et qu’en est-il du nombre d’exécutions ?
Il diminue lentement, de 4 % l’an dernier. Mais ce chiffre ne tient compte que des exécutions connues. On n’a pas une vision claire de ce qui se passe en Chine par exemple, bien que certains observateurs pensent qu’il a diminué de 30 %. Aux États-Unis, le nombre d’exécutions baisse : on en a compté 21 l’an dernier, contre une centaine il y a vingt ans. Sept États américains ont aboli la peine de mort depuis 2007, et cette tendance baissière n’est pas finie. Par ailleurs, mon rêve est que le Japon introduise un moratoire pour les JO de 2020. Il y a 120 personnes dans les couloirs de la mort, soit une sur un million. Tuer ces 120 personnes ou pas, cela ne changera rien pour le pays.